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spatiales d’une « archéogéographie des élites »

I- 1.2.a : Facteurs d’implantation, facteurs d’analyse spatiale

2) L’après Archaeomedes : automatismes et déterminismes

Le choix d’examiner les travaux de N. Poirier (Poirier 2010) s’explique en partie par le constat ci-dessus – à savoir l’intérêt mais aussi la difficulté de mise en œuvre des critères sociaux dans les analyses spatiales depuis Archaeomedes – et aussi par le fait que l’auteur énonce et définit clairement les diverses composantes de l’espace qu’il compte analyser. Le sujet et la

méthodologie mise en œuvre sont par ailleurs représentatifs de l’ « après Archaeomedes »18.En

appelant à une « archéologie des espaces ruraux », l’auteur présente les facteurs d’implantation qu’il utilise – facteurs que l’on retrouve dans la plupart des études actuelles (années 2000-2010) sur les dynamiques du peuplement, l’occupation du sol, l’habitat rural et les relations sociétés / milieux à l’interface de plusieurs courants scientifiques (archéologie du paysage, archéologie spatiale, morphologie planimétrique, etc.) qui exploitent plus ou moins les mêmes types de sources et données (archéologiques, cartographiques, textuelles, etc.) compilées et analysées sous SIG. Ce ne sont évidemment pas sur les résultats, ni sur la qualité des analyses produites que la discussion portera mais sur les hypothèses (c’est-à-dire les paramètres d’analyse) qui sous-tendent l’étude, axée sur l’évolution des rapports entre les sociétés du passé et leur espace en milieu rural, l’occupation du sol sur la longue durée (Préhistoire au XIXe siècle) pour aboutir in fine à une modélisation des dynamiques spatio-temporelles.

Pour mener son enquête, centrée sur une fenêtre de trois communes du Cher (micro- échelle donc), N. Poirier s’attache à restituer les « composantes d’un espace anthropisé » (ibid. : 12) qu’il décompose en « espace produit (constitué de paysages, du peuplement, de voies de communication), espace perçu et représenté (qui charge l’appréhension de l’espace d’un contenu), espace vécu (qui correspond à l’aire des pratiques spatiales d’un individu) et l’espace social qui naît de l’imbrication entre des lieux et des rapports sociaux » (ibid. : 131). Au final, trois composantes spatiales organisent la progression de l’étude vers les modélisations finales de l’occupation du sol, à différentes échelles temporelles et spatiales (Fig. I-4) :

- le peuplement, problématisé autour de la question de la dynamique de l’habitat et de l’exploitation du milieu (ibid. : 51-103) ;

- les réseaux et trames, considérés comme les vecteurs de l’insertion des points de peuplement isolés et groupés, analysés pour leur rôle d’irrigation socio-économique et de marqueur de la construction de l’espace anthropisé (ibid. : 104-129) ;

- et les territoires, envisagés comme l’addition de l’espace vécu et de l’espace social, examinés sous l’angle de l’appropriation de l’espace par les sociétés (ibid. : 131-160) .

Le découpage est net, tellement d’ailleurs qu’il déconnecte des objets spatiaux qui interagissent les uns sur les autres, notamment au niveau du peuplement. Ainsi, après avoir analysé son évolution diachronique, l’auteur s’attache à étudier les facteurs d’implantation des 39 établissements inventoriés (gisements archéologiques pour la période allant de la

18 Nous espérons qu’il n’y aura pas de méprise sur la démarche, il s’agit avant tout du compte rendu d’une étude publiée (donc reconnue valide, en l’état de la recherche) pour approfondir notre réflexion sur les critères d’analyse.

Protohistoire au XIe siècle ; puis prise en compte de la documentation écrite pour les XIe-XIXe siècles), discriminés chronologiquement (6 phases) et classés hiérarchiquement (4 classes). Ces facteurs, pour N. Poirier, répondent à une préoccupation : « s’accommoder de l’espace » (ibid. : 64). C’est là une vision assez déterministe du peuplement, laissant entendre que les sociétés passées s’adaptent avant tout au contexte en présence. La démarche même soutient cette idée, puisqu’il est question de « décrire les facteurs permettant d’expliquer la localisation géographique des lieux habités » : on ne parle pas de stratégies d’implantation relevant de pratiques sociales de sociétés et/ou de groupes sociaux. Ce qui explique sans doute le recours à des facteurs d’analyse somme toute très classiques, dont le choix est argumenté, assez rapidement autant pour ceux ressortant du « naturel » que de « l’humain ». Il s’agit pourtant d’hypothèses – certes testées à maintes reprises depuis les travaux d’Archaeomedes – sur l’espace et les pratiques des sociétés, qui mériteraient d’être justifiées autrement que par des contraintes, à savoir la disponibilité des ressources cartographiques ou les limites du corpus.

 Facteurs « naturels »

Ainsi du coté du « naturel » : « les facteurs liés au milieu d’implantation des établissements interviennent pour expliquer leur survie et leur développement. Les contraintes d’accès à l’eau sont évidemment primordiales. On imagine que celles liées au relief doivent en revanche jouer un rôle plus limité dans cette région peu accidentée. Tout au plus pourra-t-on déduire des choix d’implantation liés au confort des occupants (par les choix de versants abrités des vents dominants par exemple). Quant à la contrainte de la qualité des sols, elle devra être analysée in fine par comparaison avec les choix réalisés pour les espaces cultivés » (ibid. : 64-65). Pour résumer davantage, il s’agit d’analyser la distance moyenne aux cours d’eau, la valeur des pentes, l’exposition des versants et enfin les types et les qualités des sols à l’emplacement des sites – les descripteurs « sitologiques » développés dans Archaeomedes.

 Facteurs « humains »

Pour ce qui est de « l’humain », N. Poirier reconnait la difficulté d’aborder les phénomènes sociaux ou économiques car « cela nécessite une sévère critique du corpus utilisé, la définition de critères mesurables plus sensibles à la critique et à la discussion, dans la mesure où ils constituent une simplification importante de phénomènes souvent complexe. Les phénomènes susceptibles d’être mis en œuvre dans l’explication de la distribution des établissements sont nombreux, mais tous ne peuvent pas l’être dans le cadre de cette étude, en raison même du changement d’échelle. Les limites propres au corpus d’établissements archéologiques (imprécision chronologique, faiblesse quantitative de l’effectif, longue durée concernée) réduisent la possibilité d’utiliser certains critères utilisés par exemple dans le cadre

du programme Archaeomedes [ les descripteurs « situationnels » ]. Il faut donc définir des critères socio-économiques pertinents sur l’ensemble de la période documentée par les données archéologiques et les sources écrites, permettant de contribuer à expliquer les choix d’implantation des points de peuplement » (ibid. : 75).

L’auteur en propose alors trois : la distance au chemin le plus proche, la présence d’établissements agricoles ayant existés antérieurement et l’existence d’une mise en valeur antérieure de l’espace environnant (épandage). Sans remettre en question la pertinence des critères choisis, on regrette que le chapitre IV consacré aux Réseaux et trames n’aient pas été pris en compte dans les critères d’implantation. Car la relation sites / chemins (en termes distance) n’a d’intérêt que dans la mesure où l’on connait la hiérarchisation du réseau viaire19 – celui qui

« lie les points de peuplement ». Comme précédemment pour Archaeomedes, on fera remarquer que s’installer à proximité d’un chemin de niveau local ou d’une voie de portée régionale n’est, bien entendu, pas équivalent et on ne peut ignorer cet impact lors du choix du site. Il aurait été d’autant plus intéressant de corréler ce facteur avec les établissements par période et par statut hiérarchique. On pourrait opposer à cette suggestion la question de la contemporanéité du réseau reconstitué avec les sites archéologiques étudiés (de la Protohistoire au XIXe siècle) : évidemment, ce réseau est le produit de siècles de créations, reprises, abandons, transformations à différentes échelles et nous n’aurons jamais la possibilité de reconstituer des états protohistoriques, antiques, médiévaux, etc. Il reste qu’il aurait été pertinent d’observer la distribution des établissements par rapport à cet état transmis, pour en déduire (ou pas) des interactions possibles (attraction, polarisation, etc.). La restitution de l’organisation, de la structuration et de la hiérarchisation du réseau viaire ont pourtant été réalisées dans le chapitre suivant (Réseaux et trames), à partir du réseau subcontemporain documenté par le cadastre napoléonien, la cartographie/planimétrie anciennes et des mentions textuelles. Tout comme il est dommage de ne pas avoir intégré l’analyse du parcellaire dans la partie « Exploitation des ressources et évolution du paysage : modeler l’espace » (chapitre III : Peuplement) puisque l’auteur traite de l’occupation du sol et de mise en valeur des parcelles... De même, le parcellaire, décrit comme « l’unité de base d’appropriation de l’espace » (ibid. : 114), est l’objet d’une succincte analyse morphologique20 : des « unités morphologiques » sont mises en évidence afin

de déterminer l’influence, le rôle morphogénétique du réseau hydrographique, du réseau viaire et des points de peuplement sur les formes du paysage. Pourquoi ne pas avoir intégré ces

19 On renvoie ici aux remarques émises également par M. Watteaux sur la discordance entre les échelles cartographiques choisies par N. Poirier (cadastre napoléonien) et la méthode de hiérarchisation selon les tris numériques développée par E. Vion (repérage des carrefours à partir de cartes au 1/1 000 000) (WATTEAUX 2010)

analyses dans le chapitre traitant des Territoires (chapitre V), consacré justement à l’appropriation de l’espace par les sociétés (ibid. : 131) ?

Finalement, l’examen un peu critique du squelette de ce travail – par ailleurs, très bien documenté et surtout percutant sur la question de la dynamique et la modélisation du peuplement d’une micro-région (Sancergues) à l’échelle régionale (le Berry) sur le temps long – permet le constat suivant sur les facteurs d’implantation utilisés dans les analyses spatiales : les corpus de sites avec des fourchettes chronologiques importantes semblent être vécus comme des freins à l’expérimentation de critères relatifs au « social », au « situationnel ». Peu d’hypothèses sur l’interaction entre les sociétés et leurs espaces sont finalement proposées, et l’on peut aller jusqu’à poser, comme l’a fait M. Watteaux, la question de l’existence d’un objet historique à interroger, documenter, remettre en question (Watteaux 2010 : 263-264) ? La « genèse et l’évolution de chacune des composantes de l’espace rural » (Poirier 2010 : 14) n’en est pas un ; cela explique sans doute que la restitution des trames et des réseaux, permise par l’exploitation du cadastre napoléonien, apparait presque comme une fin en soi dans ce genre d’études. Elle reste souvent déconnectée du semis de points habités et n’entre pas dans les batteries de statistiques spatiales mises en place pour dégager les facteurs d’implantation. Trames et réseaux sont pourtant des objets spatiaux capables d’interagir au moment du choix du lieu d’implantation, quels que soient la période ou le rang hiérarchique.

Sans nier l’apport considérable des études « post-Archaeomedes » d’un point de vue méthodologique, toutes louables pour la rigueur des traitements des corpus de sites (datation, hiérarchisation et modélisation de la dynamique du peuplement) et leur ouverture vers les sciences statistiques et géomatiques, il semble d’un point de vue épistémologique que l’objet d’étude (l’espace) n’est pas encore bien circonscrit pour les périodes historiques. Milieux, paysages et territoires sont portés en tant que paradigmes, mais peuvent aussi se confondre, recouvrir des réalités différentes d’un chercheur à l’autre, sans être suffisamment bien explicités et finalement interrogés en termes d’interactions avec les sociétés passées. Par ailleurs, s’il n’est plus question d’appréhender seulement l’espace comme support physique, la dimension sociale de l’espace, la production et la consommation qu’en font les sociétés anciennes sont encore peu explorées, alors que l’outil (les SIG), les sources (archéologiques, planimétriques, écrites) pourraient le permettre, à l’image des collègues protohistoriens qui testent depuis plus de 30 ans les concepts issus des autres sciences humaines et sociales et proposent des critères et modalités d’analyses pour faire « parler » l’espace, cette dimension plus que silencieuse.

I-1.2.b :

Décomposer

l’espace

des

élites,

composer

une

« archéogéographie des élites »

La décomposition du choix du site en éléments d’analyse requiert donc d’exposer notre conception de l’espace des sociétés anciennes en général, celui des élites en particulier, pour finalement se positionner épistémologiquement, sans pour autant s’enfermer dans un quelconque dogmatisme disciplinaire, puisque par définition ce sujet d’archéologie médiévale et moderne se veut transversal, ouvert sur l’ensemble des sciences humaines et sociales.

C’est néanmoins du coté de l’archéogéographie que l’on trouve des contours suffisamment souples pour contenir l’ambition mais aussi l’esprit général de ce travail de thèse. On l’a vu précédemment, cette discipline récente se donne en effet pour projet « l’étude de l’espace des sociétés du passé et de ses dynamiques, dans toutes ses dimensions [sur la longue durée et à des échelles d’analyse variables] ». Il s’agit finalement d’étudier « l’histoire de la transformation de l’espace géographique en écoumène habité, exploité, aménagé, transmis, hérité » (Chouquer 2004 :17). C’est cette définition, proche de celle développée dans les années 2000 par les tenants du « tournant géographique », largement tournés vers la sociologie et l’anthropologie – tout en apportant une profondeur temporelle essentielle, autour des notions d’héritage et de résilience qui lient le passé et le présent – qui nous permet d’envisager l’espace du passé comme le socle, mais aussi la banque de données des interactions entre les hommes et ce qui les entoure, à différentes échelles de temps et d’espace. L’espace est ici nécessairement envisagé comme un objet hybride, au croisement de faits naturels et sociaux – faits enregistrés dans les composantes et agencements spatiaux, et qui enregistrent eux-mêmes des pratiques sociales, récentes ou anciennes, héritées ou nouvelles. C’est pourquoi, l’archéogéographie étudie à la fois « des objets géographiques ordinaires et planifiés des sociétés passées (morphologie et dynamiques des habitats, voies et parcellaires, par exemple), la plupart sous forme hybridée », mais aussi « les territoires, les représentations que les sociétés anciennes ont de leur espace et de l'influence de ces représentations sur les formes concrètes, […] les modalités non linéaires et non périodisées de la dynamique des espaces, les objets en réseaux et dynamiques de ces réseaux ». C’est finalement une association des « objets de la morphologie descriptive physique et humaine, de l’archéologie spatialiste et de l’histoire des représentations de l’espace » (Chouquer 2003).

Différentes approches et méthodologies21 – menées distinctement ou combinées au sein

d’une même étude – participent donc de cette lecture géographique des sociétés anciennes, qu’elles portent sur l’étude des milieux, des paysages et des territoires. C’est précisément cette décomposition de l’espace que l’on souhaite adopter pour mener les différentes analyses et répondre à notre problématique centrée sur les élites rurales et leurs modes de distinction inscrites dans l’espace, et non, sur l’espace rural au Moyen Age et à l’Époque Moderne. C’est bien cette précision qui fait que la grille d’analyse proposée n’a pas vocation à figer l’espace, en tant qu’objet d’étude. On cherche seulement ici à organiser notre réflexion autour des pratiques sociales, en les articulant avec les positions épistémologiques actuelles d’un pan de l’archéologie médiévale et moderne au cœur du renouvellement des problématiques sur les relations sociétés / milieux (Burnouf 2008) et de l’archéogéographie, qui nous semble être au carrefour des différentes approches existantes sur l’espace des sociétés anciennes. Dans cette perspective, il est question de tenter de « rénover » un objet de recherche relativement « usé », on l’a vu (l’implantation topographique des élites médiévales et modernes), par l’intermédiaire d’hypothèses : des critères et des modalités d’analyse sur le milieu, le paysage et le territoire – des notions aujourd’hui plus que polysémiques (Fig. I-5).

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