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variations d’échelles

2) Délimitation et mise à l’échelle : des analyses micro à supra-locales

En s’appuyant donc sur le principe général de multiplicité et de variation des échelles, la délimitation des fenêtre d’observation repose sur des seuils de surface, affranchis de toute considération historique, administrative ou géographique. Ces seuils ne reposent sur aucune théorie, il s’agit d’ordres de grandeur qui évoquent avant tout l’idée d’un zoom sur l’espace. L’association de préfixes de grandeur (micro-, supra-) avec l’adjectif local est apparue comme une solution pour se détacher des termes usités en archéologie, comme « grande / petite échelle » qui ne sont jamais vraiment explicités, ni définis clairement. Le choix du qualificatif local s’est fait, quant à lui, en regard de la géographie qui le conçoit aujourd’hui comme « qualifiant un ordre de grandeur spatial relatif à chaque situation [...] observable. Il y aurait donc autant de niveau local que de discours de justification de son existence avérés dans une interaction médiatisée par le langage, au sein de laquelle l’espace est un enjeu et, où le lexique du local constitue une possibilité offerte aux acteurs pour qualifier cet espace en jeu et/ou d’autres espaces de référence. Ainsi, le local est vidé de toute signification a priori et ne prend du sens qu’en tant qu’il est activé par des individus, qui l’étalonnent, en terme d’échelle, le caractérisent et le substantifient en fonction de l’utilisation contextuelle de leurs ressources praxiques et cognitives pour servir leurs actes » (Levy & Lussault 2003 : 573).

Dans cette logique, on a ainsi déterminé trois échelles d’analyse pour les études de cas, envisagées comme des fenêtres d’observation ou des « zones-test » (Fig. I-7) :

- inférieur à 10 km² : échelle micro-locale, resserrée sur quelques communes (moins de 10) :

- inférieur à 150 km² : échelle locale, centrée sur une petite dizaine de communes ;

- supérieur à 150 km² : échelle supra-locale, correspondant à plusieurs dizaines de communes.

Quant à la délimitation des ces espaces de travail, on entend prendre en considération, autant que possible, un territoire (dans le sens défini précédemment), un espace vécu et perçu par les sociétés (Di Méo & Buléon 2005 ; Leturcq 2001 ; Leturcq 2007). La difficulté consiste évidement à délimiter grossièrement cette portion d’espace c’est pourquoi, il s’avère nécessaire de recourir à des postulats d’ordre « anthropologiques », c’est-à-dire suffisamment pragmatiques pour être transposés dans le temps. Ainsi, on peut tenir compte des frontières « naturelles » (colline, vallée, montagne, fleuve/rivière, forêt, etc.) et/ou totalement anthropiques (ville, enceinte, pont, route, etc.) qui ne constituent pas forcement en soi des obstacles infranchissables, mais qui sont généralement vécues et perçues dans la plupart des sociétés anciennes ou actuelles comme des limites mentales au territoire du quotidien, ou tout du moins comme une discontinuité dans l’espace (dé)marquant le paysage (Bromberger & Morel 2001, Paul-Lévy & Segaud 1992).

Parallèlement, les seuils d’analyse définis prennent également en considération une sorte d’aire de voisinage, accessible par des déplacements de différentes importances en termes de distance et de coût en temps, utilisés notamment par les protohistoriens pour comprendre l’organisation et la hiérarchisation des territoires (Brun 2006 ; Brun 2010b) (Fig. I-7) :

- inférieur à 10 km² : allée et venue ordinaire, soit une distance moyenne parcourue à pied, à cheval ou en voiture attelée en moins d’une heure dans un rayon de 5 à 10 km ;

- inférieur à 150 km² : aller et retour possible en une journée de marche, à cheval ou en voiture attelée dans un rayon de 25 à 30 km ;

- supérieur à 150 km² : voyage sur plusieurs journées de marche, à cheval ou en voiture attelée dans un rayon de plus de 30 km.

Il s’agit bien entendu de prendre en considération, et plus encore d’étudier, l’« articulation entre les échelles d’analyses et les problématiques » (Nissen-Jaubert 2003 : 2). Chaque échelle d’analyse possède sa propre logique, de la micro à la macro-analyse, du site aux systèmes spatiaux . Puisque « pour une échelle donnée, on rencontre différentes structures qui s’imbriquent tout en possédant un degré d’autonomie plus ou moins fort les unes par rapport aux autres » (Burnouf2003b : 2). C’est tout particulièrement la question de la mise à l’échelle des axes de recherche sur les élites médiévales et modernes que l’on souhaite mettre en évidence pour chaque échelle d’analyse, à l’aide des études de cas. Qu’apportent les échelles micro-locale, locale et supra-locale à la problématique des pratiques sociales de l’espace, touchant spécialement à la distinction sociale ? D’ores et déjà, les spécificités de chacune permettent de réfléchir à la pertinence des corpus à utiliser et des analyses à mener.

 Échelle micro-locale

La plus grande, l’échelle micro-locale, est l’échelle qui parait adéquate pour étudier les sites fouillés en contexte préventif, sur des surfaces supérieures à un hectare ou sur plusieurs dizaines d’hectares.L’intérêt est l’ouverture d’une large fenêtre documentant le site en lui même (datation de l’occupation, niveau de vie, conditions matérielles, relations au milieu, etc.) mais aussi le proche environnement de l’habitat d’élites fouillé via l’exploitation de la documentation cartographique et planimétrique, d’en comprendre l’impact et l’insertion dans le paysage et le maillage territorial – et finalement de participer à l’interprétation archéologique du site, à sa mise en perspective historique.

 Échelle locale

L’échelle intermédiaire, l’ échelle locale, permet elle de travailler sur un semis de points, à partir d’un inventaire de sites fondés sur des documents de qualité et de fiabilité variées (bibliographie, archives, études archéologiques, mentions cartographiques, etc.). C’est à partir de cette échelle que la caractérisation statistique des critères sitologiques, planimétriques et situationnels, entrant dans le choix d’implantation topographique des élites, est possible. Un minimum d’effectifs est toutefois requis (30 sites) pour garantir la représentativité des résultats. L’impact des habitats d’élites sur la structuration du paysage (habitats groupés et dispersés, réseau viaire, trames paysagères) peut être aussi abordé et la question des indices résilient du pouvoir évaluée (emprise territoriale, la densité et l’intensité de voisinage).

 Échelle supra-locale

Enfin, l’échelle supra-locale autorise à soulever toutes les questions évoquées précédemment, avec des effectifs plus importants, ce qui a pour conséquences des statistiques

plus fiables et représentatives – en partant du principe que l’augmentation de la surface étudiée entraîne celle du nombre de sites. Toutefois, le rétrécissement de l’échelle d’analyse oblige à changer aussi l’échelle de la documentation à privilégier : le cadastre napoléonien ne pouvant servir de fond de plan, en raison de l’ampleur du traitement nécessaire (géoréférencement et vectorisation) à ces échelles de cet ordre, mais pouvant ponctuellement être utilisé pour des reports à vue ou des analyses planimétriques ciblées. Les cartes topographiques des XIXe-XXe siècles, tout comme les photographies aériennes, restent les plus adaptées (Watteaux 2009). L’étude du paysage et du territoire, en reposant sur des informations différentes de celle recueillies à l’échelle locale, apportent une autre lecture des trames, formes et relations horizontales. Le changement d’échelle permet notamment d’ouvrir la problématique des interactions élites / espace, en élargissant la notion d’habitat. Pris au sens géographique, l’habitat n’est plus seulement l’habitation (et indirectement le choix du site) mais aussi un « tissu de l’occupation » (Raynaud 2003 : 332). C’est ainsi que l’on peut soulever la question des réseaux de sites d’élites : les identifier, étudier leur organisation, leur hiérarchisation, tenter de modéliser leur agencement en testant des modèles spatiaux, tels que celui des centres et périphéries (Brun 1999), des polygones de Thiessen et/ou le modèle gravitaire – modèles exploratoires fréquemment utilisés à cette échelle en archéologie spatiale, sur des corpus de sites conséquents (Archaeomedes 1998 ; Garmy 2005 ; Temps et espaces de l’homme... 2005 ; Nuninger et alii 2006 ; Archaedyn 2008).

Changer l’échelle, l’emprise de la fenêtre d’observation, « c’est changer l’objet » (Burnouf 2004 : 222 ; Pinoteau 2004) ou plutôt l’angle d’observation sur l’objet, autant que la variation des focales dans une même étude. La multiscalarité est donc posée comme principe d’analyse, même si l’idéal serait que les différentes fenêtres appartiennent à une même logique géographique, où la documentation archéologique, planimétrique et éventuellement textuelle seraient disponible, accessible et homogène – gages de corpus de sites et de bases de données solides. La réunion de toutes ces conditions n’étant pas évidente, il semble plus opportun de cibler avant tout des zones d’étude, où l’on est déjà assuré de bénéficier de bonnes conditions documentaires, dans un ensemble géographique relativement cohérent. C’est ainsi que le Bassin parisien, « un des rares ensembles géographiques dotés d’une unité physique, historique et économique aussi remarquable » (Brun & Soulier 2008 : 3) – objet d’un programme transversal et diachronique au sein de l’UMR 7041 – s’est imposé comme un espace propice pour tester le potentiel de chaque échelle d’analyse, de la plus grande à la plus petite, du micro-local au supra- local.

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