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CHAPITRE 6 – AU TOURNANT DU SIÈCLE : LES RÉALISATIONS

F. Un ministre à Rouen (1921)

L’organisation du centenaire de la naissance du romancier, en 1921, confirme une politique officielle du souvenir de Flaubert renforcée par les efforts de Paris : au sortir de la Première Guerre mondiale, la capitale voit l’écrivain normand comme un véritable héros national. Il est difficile de le définir de cette façon car il a souvent critiqué les autorités de son pays, le fonctionnement du système politique, la démocratisation du suffrage universel jusqu’à ne pas aller voter, le 8 février 1871 par exemple. Pourtant nous avons vu que la guerre de 1870 lui

665Le rideau à l’italienne, Mercure de France, Paris, 1959, p. 200.

666 « F. Masson contre G. Flaubert », Journal de Rouen, 31 janvier 1924. ADSM, J 744. 667 DAUDET Léon, La tragique existence de Victor Hugo, 1937.

donne un élan patriotique non feint et non uniquement causé par la mise en danger de ses créations, aussi bien matérielles (les manuscrits) qu’à venir (la capacité d’écrire).

L’idée du centenaire de la mort de Flaubert prend forme après la Première Guerre mondiale, conflit qui coupe l’élan du premier comité rouennais. L’aversion du prosateur normand pour les grandes célébrations est réelle même s’il trouve souvent cocasse et si riche d’enseignements les mariages ou petites commémorations. D’ailleurs Flaubert n’assiste pas au centenaire de la mort de Voltaire, en 1878. Jean Revel précise, dans une lettre préparatoire, le sens des célébrations littéraires du 21 et 22 mai 1921 qui est d’assigner « une place définitive à Flaubert et à Bouilhet parmi nos classiques, à côté des plus hautes gloires des lettres françaises668 ». Ces mots résument les motivations du nouveau Comité des Amis de Flaubert.

Une grande célébration en l’honneur du prosateur est plus que jamais nécessaire quarante et un ans après sa mort : la quête de reconnaissance guide encore ces cérémonies littéraires. A la fin de la guerre, le comité se réunit dès le 16 mars 1918. Le 9 mai 1919, après avoir sauvé quelques morceaux du buste cassé de Bouilhet, le comité décide de demander à ses membres les cotisations de 1914 à 1919 ; au-delà de l’intérêt financier c’est une façon de reprendre le fil de leur histoire, mettant de côté cette pause de la guerre. Le 6 janvier 1921, après avoir modifié leurs statuts, les amis de Flaubert avancent sur l’organisation du centenaire de Flaubert et Bouilhet et établissent un premier programme. Le 26 février, le président Toutain informe que la municipalité rouennaise refuse de prendre la direction officielle du centenaire et n’offre que 5 000 francs pour l’organisation, subvention réduite car la prochaine visite du Président de la République va déjà être onéreuse. Il faut donc chercher des soutiens et des aides ailleurs, en particulier au Conseil général. Le 25 mars le programme se précise, une liste des invités pour le banquet est établie. Ainsi la municipalité, soutenant les efforts du comité, ne donne pas le premier souffle de cet élan culturel mais ne souhaite que répondre à ce que Paris a prévu pour Flaubert, à savoir le buste au jardin du Luxembourg déjà évoqué. Pour plus de retentissement, le centenaire sera donc double, incluant son fidèle ami Louis Bouilhet. C’est assez logique tant leur amitié aura été forte. « Une collaboration littéraire sans faille, fondée sur une communauté d’idéal esthétique, qui fut la base de cette relation insubmersible. Ils s’aimaient bien, mais ils n’auraient pas eu de lien si solide s’ils n’avaient pas eu besoin l’un de l’autre dans leur travail de création. L’égalité y

présida, quoique l’un restât un maître et l’autre un poète mineur669. » Si nous le constatons

aujourd’hui, voyons comment le centenaire rouennais permet de construire et d’affirmer cet état. La venue de Léon Bérard donne une caution officielle de la part d’un ministre que l’on sait sensible aux écrits du romancier normand. Ce voyage est-il uniquement destiné à célébrer Flaubert ? Il ne faut déjà pas oublier Bouilhet, quelque peu délaissé. « Il est très vraisemblable encore que si, samedi, Rouen n’avait eu à célébrer que le centenaire de Bouilhet, les cérémonies eussent été moins brillantes : Bouilhet fut fêté surtout comme gloire complémentaire670. » Ainsi

dans la matinée du 21 mai 1921, les tombes de Gustave Flaubert et de Louis Bouilhet sont fleuries grâce à la municipalité et au Comité Flaubert. Avant cela, celle de Flaubert est nettoyée d’une végétation envahissante. La commémoration permet donc, au moins, de réaliser les actes les plus élémentaires. Léon Bérard, ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, proclame un discours671 à Croisset puis prend la plume d’oie de Flaubert pour signer le livre d’or

entreposé au Pavillon, sans faire d’allocution, comme les proches de Flaubert le jour de son enterrement. Georges Le Roy, nommé conservateur honorifique du Pavillon en juin 1919, remet au ministre le premier exemplaire de la médaille du centenaire, gravée par Gaston Bigard. Un banquet est donné à Rouen, réunissant cent dix couverts au premier étage de l’Hôtel d’Angleterre. Jean Revel accompagne Caroline Franklin-Grout, tandis que les autorités locales entourent Léon Bérard, non loin des membres du Comité des Amis de Flaubert, composé comme suit : Jean Revel, président ; Souriau et Bordeaux, vice-présidents ; Georges Monflier, secrétaire général honoraire ; Jean Lafond, secrétaire ; Macqueron, trésorier. Sont présents les membres Fernand Destin, Gaston Saint, Gruel, Dillard et Monnier. Des pages de Flaubert mais aussi des poèmes de Bouilhet sont déclamés. S’ensuit une séance littéraire au Théâtre des Arts en milieu d’après-midi où le ministre prononce enfin quelques mots très élogieux tant sur l’homme que sur le romancier. Pour la première fois, des pages manuscrites de Madame Bovary sont exposées à la Bibliothèque municipale grâce à l’autorisation de Caroline Franklin Grout672. Inauguré le

30 septembre 1882, le Théâtre des Arts673, créé par Louis Sauvageot, présente un intérêt pour les

669 WINOCK Michel, op. cit., p. 395.

670 Pour confirmer cette hypothèse, l’auteur explique qu’en « juillet 1919, en effet, où tombait le cinquantenaire de la mort du poète de Meloenis, nul bruit ne se fit autour du poète. » TREICH Léon, « Les grandes amitiés littéraires. Bouilhet et Flaubert », in L’Eclair, 21 mai 1921. ADSM J744.

671 Annexe 1. Hors-texte.

672 Autorisation nécessaire car le don datait de 1913 mais son accès était réservé.

flaubertistes. Le plafond de cette salle, peint par Léon Glaize au-dessus de l’ouverture de la scène, est composé de plusieurs figures normandes, tel un « panthéon local674 » dominant les

têtes de leurs concitoyens : Corneille surplombe la scène mais apparaissent aussi Boïeldieu, Géricault, Fontenelle, Gustave Flaubert et Louis Bouilhet. Les célébrités sont donc locales avec un destin -un peu ambitieux pour Bouilhet- national.

Au cours de ces cérémonies, l’omniprésence de Léon Bérard fâche certains chroniqueurs comme Guy de Lourcade, jugeant que « Rouen ne célèbre pas un centenaire, elle reçoit un ministre. C’est quelque chose, mais est-ce tout675 ? » En effet certaines critiques, pas toutes

justifiées, fusent après cette première période commémorative. Si des journaux s’étonnent de ne pas voir invité Georges Dubosc, qui « avait le plus maintenu et développé dans la région676 » le

souvenir de Gustave Flaubert, figure rouennaise étudiée autant que Corneille et Maupassant, nous avons trouvé mention de sa présence autour de la statue de Bernstamm dans la rue Thiers677. La

date du centenaire pose également problème. Le romancier est né le 12 décembre 1821 et ce centième anniversaire se déroule en mai, correspondant au décès de l’écrivain, autre temps de célébration légitime lui aussi. Rouen décide donc de fêter son fils tout au long de l’année, de mai à décembre. Le ton acerbe est davantage justifié vis-à-vis de l’attitude de la municipalité et de la ville de Rouen en général, accusées d’hypocrisie. Quelques articles ne manquent pas de rappeler le peu d’attrait du prosateur pour les cérémonies, ainsi que l’opposition voire l’indifférence des Rouennais à son encontre. On porte un intérêt particulier au numéro 87 du magazine havrais La Cloche, daté du 28 mai 1921. L’auteur de ces quatre pages, Constantin Halfred, détaille les

festivités avec une causticité affichée. Il déplore lui aussi l’absence de Georges Dubosc, auteur de dizaines d’articles sur Gustave Flaubert678, tout comme la non-invitation de Robert Pinchon, ami

intime de Guy de Maupassant. Le journal reproche à Léon Bérard de ne pas avoir consacré assez de temps au romancier et d’en avoir donné davantage au Musée d’Art Normand dont les

674 VADELORGE Loïc, Rouen sous la IIIe République : Politiques et pratiques culturelles. Nouvelle édition [En ligne], Rennes, Presses universitaires de Renne, 2005, p. 77. URL : http://books.openedition.org/pur/10987.

675 « Le Centenaire à Croisset. Une visite émouvante à Croisset. La Matinée littéraire du Théâtre des Arts. Flaubert et Bouilhet. », Havre-Eclair, 22 mai 1921.

676 DUBUC André, « Les anniversaires de 1921 et 1930 à Rouen », Les Rouennais et la famille Flaubert, Edition des Amis de Flaubert, 1980, p. 2.

677 « Pour le moment, on n’aperçoit auprès de la statue qu’un promeneur qui fait les cent pas, le visage penché et comme s’il causait avec des souvenirs… On se le montre du doigt. C’est une silhouette connue… Georges Dubosc… », « La Fête du Centenaire de Gustave Flaubert et Louis Bouilhet », Journal de Rouen, 22 mai 1921. ADSM, J 744.

678 A sa mort en 1927, Georges Dubosc, érudit local qui a maintenant son buste en bronze à Rouen, a publié 6234 articles et chroniques dans le Journal de Rouen.

collections appartiennent à Henri Le Secq des Tournelles679. Au grand regret de Constantin

Halfred, le circuit du ministre ne prend pas en compte le bâtiment de l’Hôtel-Dieu, lieu de naissance de Gustave Flaubert. Arrivé au Pavillon Flaubert, l’article est d’une étonnante méchanceté à l’encontre de Jean Revel : « Le pèlerinage fut très émouvant. Quand l’on songe que le président du comité batailla pour qu’il fût supprimé du programme, l’on se demande vraiment s’il a le droit de porter le titre d’ami de Flaubert ; Flaubert n’eut certainement pas été le sien… ». Regrettant l’absence de l’Académie Française, le journal havrais annonce que Paris célèbrera le génie du prosateur normand à la fin de l’année.

Le 14 décembre 1921 au soir se tient un dîner au restaurant de la Cathédrale, à Rouen. Trônant en milieu de table, une petite reproduction de la statue Flaubert exécutée par Bernstamm -érigée devant l’église Saint Laurent- émerveille les convives680. Des portraits de Flaubert et

Bouilhet illustrent les menus, ainsi qu’un fac-similé de l’acte de naissance de Gustave à la date du 13 décembre 1821 d’après les registres de l’état civil de Rouen. Ajoutant au caractère cocasse du cadre, le maître d’hôtel annonce à pleine voix « Monsieur Flaubert est servi ! ». La Grande Salle de la Bibliothèque accueille Flaubert et Bouilhet jusqu’à la fin de l’année 1921, dans une exposition que Léon Bérard inaugure. A la même date, le conseil municipal de Rouen se réunit pour statuer sur une participation financière aux célébrations rouennaises. Le Dr Brunon, rapporteur de la séance, rappelle les relations tendues entre la ville de Rouen et un de ses fils, expliquant ensuite que les années passent en apaisant les esprits. « Le temps guérit tout. Ces vieilles histoires sont oubliées. Rouen (sauf peut-être quelques bourgeois oscillants entre le oui et le non) se fait gloire d’honorer Flaubert ; la ville sera fière de se savoir représentée, dans Paris, par deux de ses fils les plus illustres : le grand poète Pierre Corneille, le grand prosateur Gustave Flaubert.681 » La municipalité rouennaise n’a plus grand rapport avec celle de 1872 qui reçut les

foudres de Flaubert au sujet de la commémoration de son ami Louis Bouilhet. Pour la première fois, l’effort de reconnaissance des édiles se veut franc à comparer au silence des municipalités

679 Placé dans l’ancienne église Saint-Laurent, ce musée devient municipal en 1905 puis exclusivement une vaste collection de ferronnerie à partir de 1920, à la demande formelle du légataire Henri Le Secq des Tournelles (1854- 1925).

680 Certains se sont excusés de ne pas honorer de leur présence ce pittoresque repas : Pol Neveux (grippé), Caroline Franklin-Grout, MM. Albert-Lambert, Louis Bertrand, A. Liard, Jacques Lombard, A. Bisset, Mme Jean Lafond, A. Leblond, J. Soulier, M. Brabant, H. Turpin. Les participants sont donc : MM. Paul Anquetil, Paul Bouju, P. Bouconont, L. Dubreuil, G. Faucon, P. Fraenckel, H. Gadeau de Kerville, R. Garreta, MM. Gomart, G. Gruel, MM. Guilbert, H. Labrégère, C.A. Leroy, MM. Louvet, MM. James, André Maurois, Max-Guy, MM. Nibelle, Mme Pacheco, Rouault de la Vigne, E. Tois, P. Wolf.

précédentes, et cette comparaison est clairement utilisée pour fermer la page d’un malaise qui n’a que trop duré. Le demi-siècle passé depuis la fracture causée par la lettre de 1872 est, au moins dans les mots, suffisant pour vouloir démarrer une relation nouvelle et apaisée.

En somme, les célébrations organisées en cette année 1921 portent Flaubert vers une reconnaissance générale et officielle. Nous pouvons également citer la commémoration tunisienne puisque la démarche consiste à fêter le romancier loin des efforts rouennais qui n’inspirent pas les orientalistes : « il n’y a d’ailleurs rien à retenir de ces fêtes en ce qui concerne la Tunisie682. » Charles Nicolle683 est à l’initiative de ces démarches qui sont aussi l’occasion

d’ancrer cet hommage dans des réalisations physiques : une réflexion s’engage sur le changement de nom de la principale avenue de Carthage pour lui donner celui du romancier mais également sur la pose d’une plaque commémorative dans le nouveau square Flaubert avec la mention prévue « A Gustave Flaubert. Immortel auteur de Salambo. [sic] 1821-1880 » corrigée en « A Flaubert l’immortel auteur de Salammbô ». Déjà le prénom était jugé accessoire.

Un buste doit également être réalisé. La société des Normands de Tunisie, présidée par le ministre plénipotentiaire Lucien Saint, fait ériger une colonne exhumée des ruines de Carthage où une autre plaque est apposée. Ce même 12 mars 1922, Louis Bertrand, en sa qualité de spécialiste de Flaubert et de délégué du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, donne un discours au Théâtre antique de Carthage, qui sera publié par la suite684. Une petite brochure est

distribuée aux participants, contenant portrait et autographe du romancier. En un centenaire, c’est donc un paysage patrimonial complet qui se forme en peu de temps. Sur ces cérémonies, un article de Paul Souday, considéré comme la référence parmi les critiques littéraires de l’après- guerre, écrit : « Flaubert a été extrêmement méconnu ; peut-être l’est-il toujours. […] Il est vrai que Flaubert fut acquitté, et le procureur général d’aujourd’hui, M. Lescouvé, a désavoué le réquisitoire d’Ernest Pinard en se faisant inscrire au comité du monument Flaubert. […] Cependant, sa gloire n’a cessé de grandir, malgré ces traverses. Il y a bien encore quelques opposants, dans les milieux académiques ou néo-classiques. […] C’est, direz-vous peut-être, une

682 Procès-verbal de la réunion pour le centenaire de Flaubert, 29 juin 1921, Municipalité de Tunis. ADSM 146 J 108 « Centenaire de Gustave Flaubert 1821-1921. »

683 Directeur de l’Institut Pasteur de Tunis dès 1902, Charles Nicolle (1866-1936) écrit un long article « la famille médicale de Gustave Flaubert et ses amis médecins » dans le mensuel Tunis médical en janvier 1922. ADSM 146 J 108. Il donne deux lettres inédites de Flaubert au musée du Bardo de Tunis. FLAUBERT Gustave, Correspondance, éditée par Jean Bruneau et Yvan Leclerc pour le tome V, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, T.III, 1991, p. 1184. Il obtient le prix Nobel de médecine en 1928. De son vivant il a son buste le 6 décembre 1930 à l’école de médecine et l’Hôpital prendra son nom en 1953.

singulière façon de fêter un auteur que de rappeler longuement, comme je viens de le faire, les négations et les injures de ses innombrables détracteurs. Mais les plus récentes, qui se raréfient, montrent combien il reste vivant, puisqu’il est encore si furieusement discuté. Et cet amas d’injustices permet de mesurer son ascension. Car c’est chose faite et définitive. A force de lui jeter des pierres, on lui en a composé un piédestal. Flaubert triomphe, et n’a plus rien à craindre. […] En ces temps d’arrivisme, d’industrialisme littéraire et de crise du français, le grand exemple de Flaubert demeure plus que jamais salutaire et réconfortant685. » Ces quelques mots résument

convenablement le chemin parcouru, et illustrent l’honnêteté dont font preuve les conférenciers du début du XXe siècle. En effet il est très fréquent qu’ils se servent des critiques et du chemin tortueux vers la postérité recherchée pour rendre leurs actes nécessaires et les inscrire dans une haute lutte, désormais gagnée semble-t-il.

Après ce centenaire, il semble que le comité se soit à nouveau éteint. Nous avons pu découvrir, aux Archives départementales de Rouen, un procès-verbal datant du 8 octobre 1924 rappelant l’obligation pour toute association de préciser toutes modifications en son sein. Ainsi l’association rouennaise ne se serait pas conformée aux prescriptions de la loi. Les disparitions de Paul Toutain et de Georges Le Roy, en 1925, ont en effet causé l’arrêt des activités. Un nouveau rappel à la loi intervient le 24 septembre 1936 où les changements apportés à la société n’ont pas été transmises à la Préfecture : la raison en est fort simple, elle n’existe plus. L’objectif est atteint, ce double centenaire réussit à mobiliser un nombre important de personnes et notables célébrant la fierté d’avoir pu connaître, lire ou tout simplement vivre dans les traces du romancier. La présence d’un ministre offre une caution nationale pour permettre à cette gloire, essentiellement locale, de prendre une hauteur nécessaire aux ambitions d’une mémoire patrimoniale pérenne. Sans occulter les difficultés et les réticences de certains, ce premier centenaire termine la première période commémorative jetant les jalons d’autres cérémonies à venir.

En somme, cette deuxième partie a révélé des histoires mouvementées ne pouvant faire oublier la détermination de quelques flaubertistes pour établir la reconnaissance du romancier normand. Sans cela, ces lieux de souvenir ne pourraient être légitimés. Loin de chercher à enfermer la mémoire de l’écrivain, ces commémorations ont pour but de maintenir une présence flaubertienne matérielle et physique, à l’inverse de sa propre dimension de son vivant, lui le reclus de Croisset.

Après la mort du littérateur le 8 mai 1880, d’emblée les notices nécrologiques font de Flaubert un artiste spécial, non plus un écrivain dont le statut n’est pas consolidé mais au contraire la figure de l’écrivain total, celui qui est né, a vécu et est mort pour la littérature. Même les journalistes, se permettant quelques digressions sur l’évènement, doivent se plier à une règle - non admise mais convoquée pour l’occasion- de retenue : l’homme est tout entier dans ses œuvres et il s’agit alors d’en faire l’homme-plume. Si cette expression vient du romancier lui- même, il pousse ses critiques à juger les œuvres en fonction de tout le labeur engagé pour conclure. Il représente la figure moderne d’un écrivain inclassable dépassant les querelles d’écoles en cette fin du XIXème siècle. Il semble alors évident que ces écrits soient chargés de poursuivre l’étude et l’intérêt portés aux écrits du romancier. Les différentes parutions renforcent l’image donnée de l’auteur et tendent toujours plus à le déclarer comme le maître du roman moderne. Son enterrement permet de fixer plusieurs thèmes appelés à se poursuivre et à saisir une