• Aucun résultat trouvé

MINEURS ÉTRANGERS NON-ACCOMPAGNÉS ET DISPARITIONS

Entre 15’000 et 16’000 mineurs ont fait une demande d’asile en Europe pour la période 2002-2003. Or ce n’est qu’une partie minime de l’iceberg des

enfants errants, clandestins et victimes de trafics en tous genres. Mais : un mineur

isolé, ou disparu de son pays d’origine, n’est pas nécessairement victime de trafic.

Un mineur peut être victime de trafic en vivant avec des membres de sa famille.

Un mineur isolé n’est pas nécessairement un mineur délinquant.

Mais notre expérience nous a révélé une réalité dont on commence à peine à prendre conscience : la disparition des enfants des institutions publiques ou privées où ils sont placés après avoir été détectés ou interpellés.

Les chiffres sont effarants : il est inutile de stigmatiser tel ou tel pays : tous les pays de destination sont concernés. Quelques exemples :

En Tchéquie, sur 129 mineurs requérants d’asile traités en 2003, 50 % ont

disparu au cours de la procédure.

En Grèce, l’Ombudsman mentionne le chiffre officiel de près de 500 mineurs

disparus sur un peu plus de 600 mineurs placés en institution.

En France, de janvier à septembre 2000, 904 mineurs placés en zone d’attente

ont été comptabilisés par la Police des Frontières à Roissy. Seuls 192 ont été pris en charge par les services d’aide sociale l’enfance en Seine St Denis. Placés en foyers, près de 60% de ces jeunes s’enfuient au bout de 8 jours. A Lyon, en 2001, 108 mineurs isolés demandeurs d’asile de plus de 16 ans sont arrivés. 5 ont été placés, 8 ont entamé une procédure de demande d’asile. Les autres ont disparu… parfois attendus par des voitures non identifiées à la sortie même du centre.

Lors d’un séminaire tenu le 24 juin dernier à Strasbourg, M. Alvaro GIL- ROBLES, Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, estimait que

« la disparition des enfants des institutions est un phénomène plus qu’alarmant ». Un juriste du HCR annonçait une

« véritable catastrophe humanitaire au cœur de l’Europe ».

Mais lors d’un Colloque à Glasgow il y a deux ans, j’ai été interpellé par une responsable de la Police d’Immigration de l’aéroport d’Heathrow à Londres, qui me disait :

« Vous les ONG, comment pouvez-vous nous demander à la fois de ne pas mettre les enfants en détention et nous demander d’assurer une protection maximum de ces mineurs ? Si on les place en institution ouverte, une partie d’entre eux va quitter l’institution… ».

Théoriquement, on peut effectivement penser qu’il y a contradiction entre le

nécessité de protéger sérieusement les mineurs des trafiquants. D’ailleurs, les

trafiquants d’enfants ne s’y trompent pas : s’ils exploitent des mineurs pour les trafics en tous genres, c’est parce qu’ils savent parfaitement que dans nos pays, les mineurs ne seront pas incarcérés, alors que les adultes risquent 5,10 ou 20 ans de prison. On pourrait donc être tenté de penser que la détention est une forme de

protection… Evidemment non : la solution n’est pas dans la détention, qui serait une double victimisation, mais de considérer que dans la plupart des cas, les institutions ne sont pas préparées à accueillir et à gérer ces mineurs, à tous les niveaux, du concept même de l’institution à la formation de son personnel.

Et peut-être qu’avec un personnel spécialisé, il n’y aurait que 50% de réussite, mais sans personnel formé, l’échec est garanti à 100%…

Sans aucunement stigmatiser la Suisse, et en précisant bien que cette citation se rapporte à l’ensemble des demandeurs d’asile, essentiellement adultes, et non pas spécifiquement les mineurs, voici une phrase extraite d’un document de l’Office Fédéral des Etrangers, intitulé « L’Afrique en Suisse : éléments d’analyse et de politique », paragraphe 5.1 :

« Presque 90% des requérants d’asile originaires d’Afrique quittent le domaine de l’asile par des « départs non officiels ». Sans cette soupape, la politique d’asile devrait assumer un fardeau social et financier qu’elle ne pourrait pas porter. Les disparitions – qu’on le veuille ou non – remplissent ainsi une fonction-clé dans la gestion des flux migratoires (…) ».

Ce langage à l’avantage d’être clair, et d’exprimer un non-dit assez général en Europe. En Suisse, il y a, selon les années, entre 800 et 1’200 demandes d’asile par des mineurs par an. Environ 10% obtiennent un permis d’établissement, temporaire ou définitif. Le 90% restant disparaît dans la nature. Le pire n’est d’ailleurs pas

sûr : beaucoup tentent leur chance dans les pays voisins, mais un nombre indéterminé – par définition – n’a pas d’autre solution que de céder aux pressions des trafiquants qui leur offrent logement, téléphone portable, etc… En

étant très restrictif sur les attributions de permis d’établissement, on montre une fermeté qui caresse l’opinion publique dans le sens du poil, mais lorsqu’on retrouve ces mineurs devenus clandestins par obligation dans les trafics en tous genres sur la place publique, on ne manque pas d’argent pour mettre en œuvre les politiques répressives.

Il ne s’agit pas de demander l’intégration systématique de tous les

demandeurs d’asile, ce qui provoquerait un « appel d’air » encore pire. En

revanche, il s’agit d’exiger que ces mineurs soient assurés d’une protection

juridique, psychologique et matérielle et d’une écoute compétente. Une politique d’asile ne peut ignorer les droits de l’enfant.

On peut aussi saisir cette occasion pour dire que l’atmosphère actuelle – et

l’insécurité incite les Etats à y consacrer des budgets beaucoup plus importants et à négliger ces problèmes d’enfance en danger, y compris par la marginalisation de la justice des mineurs.

Dans les pays de destination, et notamment en Europe occidentale, le débat

public est quasi-exclusivement centré sur les questions sécuritaires, alors qu’il devrait porter aussi sur :

- les droits de l’enfant dans la situation concrète où il a été détecté - les solutions à mettre en oeuvre dans les pays d’origine de ces enfants.

Parfois, on croit rêver quand on relit l’Article 22 (2) de la Convention relative aux Droits de l’enfant :

« (…) Lorsque ni le père, ni la mère, ni aucun autre membre de la famille ne peut être retrouvé, l’enfant se voit accorder la même protection que tout autre enfant définitivement ou temporairement privé de son milieu familial pour quelque raison que ce soit ».

Ou encore l’Article 20 :

« Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dan ce milieu, a droit à une aide et une protection spéciale de l’Etat »….