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Vers une incrimination en droit international des infractions graves commises à l’égard des enfants

LES POURSUITES EXERCÉES PAR LES JURIDICTIONS NATIONALES : LA SITUATION BELGE

Section 3. Vers une incrimination en droit international des infractions graves commises à l’égard des enfants

Dans certaines matières, des conventions internationales édictent des règles obligatoires d’extension de la compétence des tribunaux nationaux en imposant aux Etats qui les ont ratifiées de prendre les mesures législatives nécessaires pour incriminer les infractions qu’elles visent, pour les assortir de sanctions et pour instituer une compétence extraterritoriale de leurs juridictions.

Nous avons découvert certaines instruments récents qui traitent sur le plan international de la répression des crimes envers les enfants. Pour être effectifs, ces instruments nécessitent encore une ratification et/ou une loi de mise en œuvre nationale.

Citons ici les instruments suivants :

a. au niveau des Nations Unies

- le Protocole additionnel du 15 novembre 2000 à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants;

Ce protocole facultatif comporte une obligation d’incriminer différents comportements concernant la traite des personnes et des dispositions relatives, d’une part, à l’assistance et la protection accordées aux victimes et d’autre part, à l’échange d’informations et à la formation des intervenants.

- le Protocole facultatif du 25 mai 2000 à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants;

Ce protocole facultatif comporte une obligation d’incriminer différents comportements concernant la vente d’enfants, la prostitution d’enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, une obligation d’extension de compétence et des dispositions relatives à l’extradition et la coopération judiciaire ainsi que concernant les droits et intérêts des victimes.

b. au niveau d’Union européenne

- la Décision-cadre du Conseil du 19 juillet 2002 relative à la lutte contre la traite des êtres humains;

Cette décision-cadre comporte une obligation d’incriminer différents comportements concernant la traite des êtres humains, une obligation d’extension de compétence et des dispositions relatives à la responsabilité des personnes morales et à la protection et l’assistance apportées aux victimes.

- la Décision-cadre du Conseil du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie.

Cette décision-cadre comporte une obligation d’incriminer différents comportements concernant l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie, une obligation d’extension de compétence et des dispositions relatives à la responsabilité des personnes morales et à la protection et l’assistance apportées aux victimes.

De lege ferenda, ne pourrait-on pas envisager l’établissement d’une Convention

internationale qui contiendrait un ensemble de dispositions relatives à la prévention et à la répression de la criminalité grave commise à l’égard des mineurs d’âge dont le texte serait soumis à la signature et la ratification des Etats.

La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signée à New York le 10 décembre 1984 et le Protocole facultatif du 25 mai 2000 à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants pourraient constituer d’excellents modèles pour l’élaboration d’un tel instrument international.

Ces conventions contiennent un ensemble de dispositions destinées à faciliter la répression de ce type d’infractions par les juridictions nationales.

En se calquant sur la structure sur ces instruments, le projet de Convention contre les infractions graves commises à l’égard des enfants pourrait traiter, entre autres, les questions suivantes.

A. La définition et l’incrimination des infractions graves commises à l’égard des enfants

Afin de déterminer le champ d’application de la Convention en projet, il est essentiel que les infractions graves commises à l’égard des enfants fassent l’objet d’une définition précise (comportements incriminés, âge des victimes,…).

Il serait opportun de définir les comportements commis à l’égard des enfants qui seraient considérés comme un crime de droit international et qui relèveraient des mécanismes de répression accrue sur le plan international. Nous pensons plus particulièrement à une définition précise de toutes les formes d’exploitation sexuelle des enfants.

A l’instar d’incriminations reprises dans certaines conventions internationales, la définition des incriminations devrait être telle qu’elle serait transposable sans modification en droit interne. A titre d’exemples, la loi belge a emprunté littéralement à la Convention contre le génocide (1948) la définition du crime de

génocide et au Statut de Rome de la Cour pénale internationale la définition du crime contre l’humanité.

Dans la définition des éléments constitutifs de l’infraction, la question du seuil de l’âge de l’enfant en dessous duquel son consentement à l’acte serait non pertinent, constituerait assurément un élément essentiel sur lequel les Etats devraient s’accorder.

Une telle définition présenterait l’avantage de devenir commune à tous les Etats qui ratifieraient la convention. Il s’agirait d’une étape importante vers une plus grande harmonisation des législations pénales et elle permettrait de rencontrer de façon adéquate l’exigence de la double incrimination.

A l’instar de l’article 4.1. de la Convention contre la torture du 10 décembre 1984 et de l’article 3 Protocole facultatif du 25 mai 2000, il serait institué dans le chef des Etats une obligation d’incriminer et d’assortir de peines, en droit interne, les infractions graves commises à l’égard des enfants. La tentative, la complicité et les actes de participation pourraient également être incriminés.

Il devrait également être prévu que les causes exonératoires de responsabilité tirées de l’ordre du supérieur ou de l’état de guerre ou de tout autre état d’exception seraient exclues pour les crimes graves commis à l’égard des enfants (voyez les articles 2.2. et 2.3. de la Convention contre la torture).

B. Les règles de compétence et l’institution d’une compétence universelle

Les conflits négatifs de compétence peuvent trouver leur source dans l’impossibilité juridique pour un ou plusieurs juges de connaître de l’affaire (incompétence) ou dans l’incapacité concrète ou de l’absence de volonté des autorités compétentes d’un pays de poursuivre certains crimes.

Un des intérêts de prévoir, sur le plan international, une pluralité de critères de compétence, est de limiter les conflits négatifs de compétence et d’obvier tout déni de justice.

A cet égard, l’article 5 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, signée à New York le 10 décembre 1984 et l’article 4 du Protocole facultatif du 25 mai 2000 à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants sont exemplaires. Ils établissent des règles de compétence15 ayant pour objectif précisément de limiter au maximum les conflits négatifs de compétence :

15 « 1. Tout Etat partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions visées à l’article 4 dans les cas suivants :

a) quand l’infraction a été commise sur tout territoire sous la juridiction dudit Etat ou à bord d’aéronefs ou de navires immatriculés dans cet Etat;

* Compétence obligatoire pour le juge :

- du pays du lieu des faits;

- du pays de la nationalité de l’auteur présumé;

- du pays où l’auteur présumé est trouvé suivant l’adage « aut dedere, aut

iudicare ».

* Compétence facultative pour le juge : - du pays de la nationalité de la victime;

- du pays dont la loi nationale lui reconnaît une compétence (cette disposition ne reconnaît-elle pas implicitement la faculté pour un Etat de se doter en la matière d’une compétence universelle).

Si une Convention contre les infractions graves commises à l’égard des enfants pouvait reprendre ces différents critères, cela permettrait une répression plus large de ce type d’infractions. Particulièrement, l’introduction d’une compétence obligatoire sur la base du principe « soit extrader, soit poursuivre et juger » constituerait un élément très important. Nous nous référons à cet égard également aux articles 6 et 7 de la Convention contre la torture et à l’article 4 du Protocole facultatif du 25 mai 20001617.

c) quand la victime est un ressortissant dudit Etat et que ce dernier le juge approprié.

2. Tout Etat partie prend également les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître desdites infractions dans le cas où l’auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction et où ledit Etat ne l’extrade pas conformément à l’article 8 vers l’un des Etats visés au paragraphe 1 du présent article.

3. La présente Convention n’écarte aucune compétence pénale exercée conformément aux lois nationales. » (article 5 de la Convention du 10 décembre 1984).

L’article 4 du Protocole facultatif du 25 mai 2000 à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants est libellé de façon similaire.

16 L’article 6 de la Convention contre la Torture est libellé comme suit :

« 1° S’il estime que les circonstances le justifient, après avoir examiné les renseignements dont il dispose, tout Etat partie sur le territoire duquel se trouve une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction visée à l’article 4 assure la détention de cette personne ou prend toutes autres mesures juridiques nécessaires pour assurer sa présence. Cette détention et ces mesures doivent être conformes à la législation dudit Etat ; elles ne peuvent être maintenues que pendant le délai nécessaire à l’engagement des poursuites pénales ou d’une procédure d’extradition.

2° Ledit Etat procède immédiatement à une enquête préliminaire en vue d’établir les faits.

3° Toute personne détenue en application du paragraphe 1 du présent article peut communiquer immédiatement avec le plus proche représentant qualifié de l’Etat dont elle a la nationalité ou, s’il s’agit d’une personne apatride, avec le représentant de l’Etat où elle réside habituellement.

4° Lorsqu’un Etat a mis une personne en détention, conformément aux dispositions du présent article, il avise immédiatement de cette détention et des circonstances qui la justifient les Etats visés au paragraphe 1 de l’article 5° L’Etat qui procède à l’enquête préliminaire visée au paragraphe 2 du présent article en communique rapidement les conclusions aux dits Etats et leur indique s’il entend exercer sa compétence. »

La multiplication des critères de compétence est certes de nature à créer des conflits positifs de compétence. Peuvent être ainsi également compétents le juge du lieu des faits (principe de territorialité), le juge de la nationalité de l’auteur (principe de personnalité active), le juge de la nationalité de la victime (principe de personnalité passive), le juge de l’Etat où l’auteur se trouve (principe « aut dedere,

aut iudicare »), le juge de la compétence universelle et enfin, les juridictions

internationales (Tribunaux internationaux ad hoc et la Cour pénale internationale). C’est pourquoi, le principe de subsidiarité devrait jouer ici afin d’assurer une cohérence dans la répression des crimes de droit international et d’éviter le forum

shopping : un ordre de priorité devrait idéalement être établi afin de prévenir ou de

résoudre ces conflits positifs de compétence éventuels et les questions pouvant résulter de la concurrence de demandes d’extradition18.

En fonction des règles de compétence, de la capacité et de la volonté des autorités étatiques de mener véritablement à bien les poursuites, nous suggérons que les juridictions du pays du lieu des faits et celles de l’endroit où l’auteur se trouve, se voient reconnaître une compétence prioritaire par rapport aux autres juges (ceux dont la compétence est basée sur la nationalité de l’auteur, la nationalité de la victime ou encore une compétence universelle élargie).

C. Extradition et entraide judiciaire

Si l’on veut favoriser la répression des infractions graves commises à l’égard des enfants sur le plan international, il y a lieu de faciliter également les procédures d’extradition.

Ainsi, une convention internationale contre la criminalité grave commise à l’égard des enfants pourrait contenir des dispositions prévoyant que :

- toute infraction grave commise contre les enfants serait de plein droit considérée comme une infraction pouvant donner lieu à extradition même en l’absence d’un traité d’extradition;

« 1° L’Etat partie sur le territoire sous la juridiction duquel l’auteur présumé d’une infraction visée à l’article 4 est découvert, s’il n’extrade pas ce dernier, soumet l’affaire, dans les cas visés à l’article 5, à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale.

2° Ces autorités prennent leur décision dans les mêmes conditions que pour toute infraction de droit commun de caractère grave en vertu du droit de cet Etat. Dans les cas visés au paragraphe 2 de l’article 5, les règles de preuve qui s’appliquent aux poursuites et à la condamnation ne sont en aucune façon moins rigoureuses que celles qui s’appliquent dans les cas visés au paragraphe 1 de l’article 5.

3° Toute personne poursuivie pour l’une quelconque des infractions visées à l’article 4 bénéficie de la garantie d’un traitement équitable à tous les stades de la procédure ».

18 A cet égard, il convient de mentionner l’article 90 du Statut de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998 et l’article 17 de la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 qui prévoient un ordre de priorité en

- la convention constituerait un traité d’extradition pour les pays qui subordonnent l’extradition à l’existence d’un traité d’extradition avec l’autre pays concerné;

- les cas de refus d’extradition devraient être strictement limités.

Une obligation d’entraide judiciaire entre les Etats devrait également être imposée aux termes de la Convention, notamment sur le plan de l’administration de la preuve.

D. Protection des droits et intérêts des enfants victimes

A l’instar de l’article 8 du Protocole facultatif du 25 mai 2000 à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, des dispositions expresses devraient être prévues pour protéger les droits et intérêts des victimes.

CONCLUSIONS

A l’heure actuelle, on ne peut qu’être frappé par le décalage important subsistant entre les déclarations d’intentions et les réalités de terrain : s’il n’est pas difficile de réunir l’unanimité pour condamner publiquement et sur le plan des principes toutes les formes d’exploitation des enfants, force est de constater que les énergies sont beaucoup plus difficiles à mobiliser lorsqu’il s’agit de se donner les moyens pour poursuivre effectivement les auteurs de tels crimes.

Qu’il est parfois difficile de concilier le vécu des victimes avec les droits de la défense des accusés, l’ampleur de la tâche de la justice avec la limite de ses moyens, les différences linguistiques, sociologiques et culturelles, les réticences de certaines autorités et les rapports de pouvoir avec un souci d’efficacité judiciaire. « Les habits rigides du droit pénal ne sont-ils pas nécessairement trop étroits pour contenir tout à la fois la défense de la règle, les rapports de force, les intérêts politiques, les questions stratégiques, les dimensions symboliques et une réponse digne et suffisante à la souffrance humaine »19.

Cependant, sous peine de voir triompher le cynisme de ceux qui commettent les crimes envers les enfants, il faut assurément ménager une place et un temps pour la justice, même si celle-ci connaît des limites de fait et de droit.

Nous avons vu que la loi belge permet de poursuivre, en Belgique, un Belge ou un étranger venu ou résidant en Belgique soupçonné d’avoir commis à l’étranger des

19 C. DEMAN, «L’impunité est-elle soluble dans le droit pénal international ? », in Politique-Revue de débats, Bruxelles, 2002, numéro 23, p. 31.

infractions graves à caractère sexuel, notamment à l’encontre de victimes mineures étrangères. Il s’agit d’une application de la règle de compétence universelle basée sur le principe « soit extrader, soit juger ». Ce faisant, la loi développe un outil efficace de lutte contre le phénomène du tourisme sexuel20.

A notre sens, l'objectif poursuivi n'est pas qu'un Etat s'institue en gendarme du monde ou que ses juridictions s'érigent en tribunal international mais il faut permettre aux autorités judiciaires nationales d'assumer leurs responsabilités lorsque leur intervention se justifie en raison d'éléments objectifs. S’agissant des crimes les plus graves, les Etats ne partagent-ils pas tous la responsabilité d’en assurer une juste répression ? Le vote du Statut de la Cour pénale internationale témoigne de l’intérêt juridique que les Etats et l’humanité entière ont à ce que ces crimes les plus graves soient réprimés

Dans cette optique, la compétence extraterritoriale offre aux autorités nationales une latitude d’action pour mener une politique criminelle responsable lorsque des éléments viennent justifier une intervention concrète des autorités judiciaires nationales.

L’originalité du principe d’universalité est de trouver son fondement dans la communauté d’intérêts jugés essentiels ou de valeurs à caractère universel dont la protection relève de la responsabilité commune de l’ensemble des Etats. Il n’en reste pas moins que la vraie compétence universelle est celle qui est partagée par l’ensemble des Etats.

Il nous faut être modeste : la justice en la matière reste un exercice difficile et périlleux. Face à la maltraitance commise envers les enfants, la justice doit relever le défi quotidien de bien traiter les dossiers criminels en la matière notamment en contribuant à la « bien-traitance » des victimes impliquées dans le processus judiciaire.

Enfin, ne perdons pas de vue que le volet répressif n’est pas suffisant et qu’un investissement tout aussi important doit être consacré au volet préventif : si le thème général qui sous-tend notre séminaire est la protection, il ne faut pas perdre de vue la nécessité de prévenir cette criminalité par des mécanismes d’émancipation et de prise d’autonomie. C’est en renforçant les populations les plus fragiles et vulnérables (que ce soit les pays du sud ou la catégorie des mineurs d’âge) que l’on pourra également combattre la criminalité contre les enfants.

20 Nous pouvons citer, à titre d’exemple, le dossier d’une personne étrangère chez qui les fonctionnaires de police avaient trouvé, lors d’une perquisition régulière, des cassettes vidéo dans lesquelles elle s’était filmée elle-même

CAMPAGNE INTERNATIONALE DE