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LES EXPERIENCES BELGES

LIEVE PELLENS

Magistrat federal, Responsable de la traite des êtres humains, Belgique

Résumé

Dans sa conférence, l’auteur explique les problèmes rencontrés lors des poursuites de trafiquants d’êtres humains en se basant sur l’expérience de la Belgique qui est un pays considéré comme une destination ou un pays de transit important pour les trafiquants d’êtres humains. Bien que la Belgique possède une législation spécifique pour combattre ce phénomène, que la justice et les services de police considèrent cette matière comme prioritaire et qu’il existe un statut particulier pour les victimes de la traite servant de modèle pour beaucoup d’autres pays européens, peu d’affaires sont poursuivies dans ce domaine. En effet, les victimes ont peur de prendre l’initiative d’alerter la police elles-mêmes, elles se méfient des représailles. Les services de police doivent ainsi fournir de plus gros efforts et les équipent spécialisées sont parfois débordées. Les procédures nécessitant l’entraide judiciaire internationale sont longues, compliquées et chères. En plus, à l’heure actuelle, d’autres matières tel le terrorisme sont devenues prioritaires et les chefs de corps sont moins enclins à investir beaucoup de moyens pour la poursuite de trafiquants. Malgré l’arsenal juridique mis en place, il reste donc un long chemin à parcourir au niveau de la lutte contre le trafic d’enfants.

Zusammenfassung

In seinem Vortrag erläutert der Autor die Probleme, die bei der strafrechtlichen Verfolgung des Menschenhandels auftreten. Dabei stützt er sich auf die Erfahrungen, die in Belgien gemacht wurden, welches punkto Menschenhandel als Bestimmungs- oder Transitland gilt. In Belgien gibt es zur Bekämpfung des Menschenhandels eine spezifische Gesetzgebung, und Justiz und Polizei behandeln diese Problematik vorrangig. Auch kommt den Opfern des Menschenhandels in Belgien ein besonderer Status zu, was für andere europäische Länder als Modell dienen mag. Nichtsdestotrotz werden nur wenige Fälle von Menschenhandel

strafrechtlich erfasst und verfolgt. Meistens haben die Opfer Angst, selbst die Initiative zu ergreifen und die Polizei einzuschalten, weil sie Vergeltung befürchten. Somit haben die Polizeidienste vermehrte Anstrengungen zu unternehmen. Folge ist, dass die Spezialeinheiten dann eben oft überlastet sind. Verfahren, welche internationale Rechtshilfe erfordern, sind lang, schwierig und kostspielig. Ausserdem sind in letzter Zeit andere Probleme wie der Terrorismus vorrangig geworden. Man ist auch nicht mehr gewillt, mehr als soviel Geld in die Strafverfolgung der Menschenhändler einzusetzen. Also bleibt trotz der zahlreichen eingeführten Gesetze in der Bekämpfung des Kinderhandels noch ein langer Weg zu gehen.

Resumen

En su conferencia, el autor explica los problemas encontrados con las persecuciones de traficantes de seres humanos basándose en la experiencia de Bélgica, país considerado como destinación o país de tránsito importante para los traficantes de seres humanos. Aunque Bélgica posee una legislación específica para combatir este fenómeno y la justicia y los servicios de policía consideran esta materia como prioritaria además de que existe un estatuto particular para las víctimas de la trata sirviendo de modelo para muchos autros países europeos, pocos son los casos seguidos en este área. En efecto, las víctimas tienen miedo de tomar la iniciativa de alertar a la policía sobre sí mismas, pues no se fían de las represalias. Los sevicios de la policía deben proveer de esta manera esfuerzos mucho más grandes y los equipos especializados están a veces desbordados. Los procesales que necesitan la ayuda judicial internacional son largos, complicados y caros. Además, en este momento, otras materias tales como el terrorismo se han convertido en materia prioritaria y los jefes del cuerpo están menos inclinados a invertir en muchos medios para la persecución de traficantes. A pesar del arsenal jurídico puesto en marcha, queda sin embargo un largo camino que recorrer en el área de la lucha contra el tráfico de niños.

Summary

In her lecture, the author explains the problems met during prosecutions of human beings’ traffickers, by focusing on the example of Belgium, a country considered an important destination or transit country for the human beings traffickers. Although Belgium hold a specific legislation in order to fight this phenomenon, although justice and police services see this matter as a priority and although traffic victims have a particular status used as a model for many other European countries, very few cases are prosecuted in this field. This is due to the victims’ fear to take the initiative to alert the police themselves, since reprisals may be taken. The police services have thus to make an effort in this way and the

specialized teams are sometimes overwhelmed. The procedures requiring international judicial cooperation are long, complicated and expensive. In addition, other matters such as terrorism became a priority and the chiefs of body are less inclined to invest means for the prosecutions of traffickers. Despite the might of the law instruments set up, there is still a long way to go concerning the fight against child trafficking.

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Depuis des années, la Belgique est considérée comme une destination importante ou un pays de transit pour les trafiquants d’êtres humains ou pour les auteurs de la traite d’êtres humains.

Cela s’explique, entre autres, par la position centrale qu’occupe la Belgique, son réseau routier développé et ses systèmes de sécurité sociale attrayants.

Pourtant, la Belgique dispose d’un certain nombre d’instruments pour engager le plus efficacement possible la lutte contre la traite et le trafic d’être humains.

Depuis 1995, il existe une législation spécifique pour combattre ce phénomène qui, grâce à l’importance que le défunt Roi Baudouin lui a accordé, jouissait d’une attention publique et politique particulière.

Encouragés par cet intérêt, tant la justice que les services de police considéraient cette matière comme prioritaire, ce qui est très important. En effet, même si une législation existe, elle reste lettre morte si les poursuites et les condamnations ne suivent qu’au compte goutte.

En plus de son cadre légal adéquat, la Belgique dispose également d’un statut spécifique pour les victimes de la traite, servant de modèle pour beaucoup d’autres pays européens.

Si une victime accepte de collaborer avec la Justice et fait un témoignage accablant, elle reçoit d’abord un permis temporaire de séjour dans notre pays, voire un permis définitif par la suite.

Pour éviter une confrontation entre la victime et les auteurs, il est possible d’enregistrer les déclarations de la victime sur vidéo, de déposer un témoignage anonyme et, dans des cas où la vie de la victime est menacée, celle-ci peut obtenir le statut de témoin protégé.

Si la victime le souhaite, il est possible d’éviter une confrontation directe avec les auteurs, en toute circonstance, même à l’audience au tribunal correctionnel.

Cette technique a été empruntée à une méthode de travail analogue, appliquée aux victimes de délits sexuels, plus particulièrement aux mineurs.

Une directive du Ministre règle d’autres aspects en vue d’harmoniser et de coordonner les recherches et les poursuites.

Un magistrat de référence a été spécialement désigné dans chaque arrondissement judiciaire pour traiter les affaires de traite et de trafic d’êtres humains, afin de développer une expertise et d’intervenir plus efficacement.

Afin d’appliquer une politique uniforme au niveau national, un des cinq procureurs généraux est titulaire de cette matière qu’il prend en charge.

De même, au sein des services de police des équipes, en principe spécialisées, s’occupent de cette matière et disposent de connaissances et d’une approche spécifiques, par exemple, des réseaux de prostitution en provenance d’Afrique, des anciens pays de l’Est, des marchands de sommeil, du travail illégal, etc.

Des formations régulières, des échanges d’expérience professionnelle entre les magistrats et les services de police, des adaptations de la législation et des circulaires garantissent un engagement ferme de la part des intervenants et la qualité des instruments mis en service.

Pourtant le bât blesse. En effet, comment se fait-il que peu d’affaires soient poursuivies en matière de traite et de trafic d’enfants ?

Il est dès lors pour le moins surprenant de devoir constater que peu d’instructions sont en cours par rapport à la traite et au trafic d’enfants. En ce qui concerne la lutte contre la traite des femmes, la Belgique est assez performante. Globalement, on pourrait dire que de nouvelles arrestations ont lieu chaque semaine et que partout dans le pays, des personnes sont condamnées chaque semaine à de lourdes peines, en moyenne de 5 à 8 ans.

Peut-être un des problèmes se situe-t-il au niveau de la « détection » des dossiers. L’expérience montre que relativement peu de victimes prennent elles- mêmes l’initiative d’alerter la police. Cela est compréhensible, vu les représailles possibles et le manque de perspectives d’avenir des victimes si elles doivent quitter leur milieu dangereux mais « familier ». Cela demande donc un plus grand effort des services de police pour parcourir les rues et certains quartiers et pour prendre très régulièrement contact avec les victimes potentielles. Les chefs de corps aiment voir des résultats rapides et des arrestations, et ils investissent parfois à contre-cœur dans ce que l’on appelle des capacités de police pour ce travail préparatoire.

Les équipes spécialisées sont la plupart du temps débordées par le traitement de différentes instructions en cours simultanément. Cela demande souvent beaucoup de travail (par ex. la transcription des conversations téléphoniques sous écoute) et ces équipes ne sont généralement composées que de quelques enquêteurs. Il arrive donc que des « informations » soient perdues…

Depuis quelques années, on les aperçoit dans la rue, sur les marchés ou les braderies : ces musiciens et vendeurs sud-américains, parés d’un poncho et d’une flûte de Pan, vendent des cassettes ou des CD de musique, toutes sortes d’objets

typiques d’Amérique du Sud (sacs multicolores ou autre camelote artisanale) et des vêtements (pulls en laine de lama) sur des places ou à des coins de rue.

Cette activité apparemment « innocente » sert cependant de façade au trafic et à la traite des êtres humains. On promet un avenir en Europe à des Equatoriens qui paient des sommes exorbitantes pour l’organisation d’une immigration illégale et qui deviennent des proies faciles pour les marchands de sommeil. A leur arrivée en Europe, ils sont confrontés à la précarité en tant qu’illégaux; ils travaillent comme aide-ménagère, aide-familiale pour des personnes âgées, homme à tout faire, jardinier, vendeur ambulant… Ces vendeurs – parmi lesquels des mineurs – sont souvent exploités : ils fabriquent la marchandise dans des ateliers clandestins mis sur pied en Europe contre une rémunération dérisoire, ils remboursent les dettes contractées pour se rendre en Europe avec des intérêts monstrueux, les exploitants les emmènent sur différents marchés ou dans diverses villes pour qu’ils y vendent leur marchandise, mais les gains remplissent intégralement les poches du

« patron »…

Cette problématique suscite par conséquent l’intérêt de la police dans son approche de la traite des êtres humains. Au niveau local, une surveillance réfléchie et ciblée des accompagnateurs lors des marchés ou des braderies, mais également de bonnes constatations contribuent au démantèlement des groupes d’auteurs de cette forme d’exploitation économique. Au niveau fédéral, le recueil des informations obtenues grâce à des constatations et à leur analyse permet une approche structurelle et multidisciplinaire du phénomène.

Depuis un certain temps déjà, les médias et plusieurs organisations se penchent sur le thème de la « mendicité ». Souvent, ils la comparent à la traite des êtres humains. En général, ils font référence à des adultes, souvent d’origine étrangère, qui mendient en compagnie notamment de très jeunes enfants, mais également à des mendiants handicapés. Ils parlent d’un recrutement dans les pays d’origine, d’une organisation se cachant derrière la mendicité dans les pays de destination, de l’administration de médicaments à des enfants pour qu’ils restent calmes, d’un transport organisé dans tout le pays, de marchands de sommeil… Les constatations de police n’abondent pas immédiatement dans le sens de ces affirmations. L’approche de la mendicité diffère en effet de ville en ville. En outre, la réponse judiciaire se limite souvent à une approche dans le cadre de la protection de la jeunesse. Les informations policières relatives au rapport entre la mendicité et la traite des êtres humains – recrutement, tromperie, transport, hébergement, exploitation et mécanismes e contrôle… – font défaut. Peut-être que la justice et la police n’ont pas suffisamment analysé ou exploité cette piste en détail.

De plus, la réglementation très stricte de la répartition des tâches entre les services de police locaux et fédéraux produit l’effet inverse. Alors qu’auparavant, les enquêteurs des services de police locaux et fédéraux étaient compétents pour traiter

ces enquêtes, l’interaction et la compétition (rivalité) entre les deux services ont débouché sur de meilleurs résultats. La délimitation stricte d’aujourd’hui entraîne évidemment une diminution du nombre de dossiers ouverts sur base des constatations des services de police eux-mêmes. Les problèmes budgétaires rencontrés par les services de police jouent également un rôle : moins il y a d’heures supplémentaires, mieux c’est…

Une récente évaluation de dix années de lutte contre la traite des êtres humains était plutôt élogieuse. Il est toutefois frappant que certains magistrats et services de police doivent encore être sensibilisés à cette problématique. Après autant d’années, l’attrait du nouveau a disparu. Les chefs de corps sont moins enclins à investir beaucoup de moyens, et d’autres matières sont devenues plus prioritaires (p. ex. terrorisme, attaques à main armée, etc.). Il est toutefois positif de constater que le plan national de sécurité 2005 considère toujours cette matière comme une des priorités absolues de la Justice, et qu’il reprend un certain nombre de directives et d’avis. L’accent est mis sur la conduite systématique d’enquêtes financières et sur l’échange d’informations au niveau international.

Un autre problème se pose durant l’enquête judiciaire elle-même.

Sans entrer dans les détails des spécificités de la procédure belge, le schéma suivant peut s’appliquer à la majorité des dossiers. Une information est ouverte sur base d’informations données par les victimes elles-mêmes, des services de police étrangers ou des informateurs. Le juge d’instruction procède à un certain moment à l’arrestation d’un ou plusieurs suspect(s). Ces arrestations doivent être confirmées tous les mois par la chambre du conseil, qui vérifie si l’instruction se déroule correctement et si un prolongement de l’arrestation est nécessaire dans l’attente d’un procès. Etant donné que la majorité des suspects n’ont pas de domicile fixe dans notre pays, l’arrestation ne pose généralement pas de problème. Le délai doit cependant rester « raisonnable ». Si l’instruction ne progresse plus à un certain moment, si aucun élément nouveau n’est apporté ou si la procédure traîne en longueur, la chambre du conseil peut libérer les suspects, avec les risques que cela implique.

La législation belge permet aujourd’hui de poursuivre des Belges et des étrangers pour certains faits commis à l’étranger (même sans déclaration/dénonciation de ce pays). C’est ce que l’on appelle le principe d’extraterritorialité. Un principe « noble », mais qui entraîne beaucoup de problèmes pratiques. Si les faits se produisent à l’étranger, les preuves doivent également être collectées dans ce pays. Cela signifie qu’il faut utiliser la procédure complexe des

« commissions rogatoires » ou de ce que l’on appelle les demandes d’entraide

judiciaire internationale. Si la collaboration se passe bien avec certains pays, ce n’est pas le cas avec d’autres.

Il faut parfois des mois voire des années avant que certaines commissions ne soient exécutées et renvoyées. Sans compter qu’il faut ensuite tout traduire. La longue durée de certaines commissions implique que la chambre du conseil libère parfois les suspects arrêtés et que l’instruction se retrouve parfois dans une impasse. En outre, ces commissions rogatoires coûtent souvent très chères; le déplacement à l’étranger d’enquêteurs et d’un juge d’instruction, accompagné d’un greffier, exige des budgets conséquents, alors que le ministère de la Justice regarde à ses dépenses…

Enfin, il ne faut pas perdre de vue que les trafiquants professionnels d’êtres humains ont également la possibilité financière de se faire assister de bons avocats spécialisés, qui épluchent les dossiers dans le but d’y trouver des vices de procédure. Et vu la charge de travail importante des magistrats et des services de police, ces vices de procédure surviennent malheureusement de temps à autres…

En conclusion, malgré l’arsenal juridique dont dispose tant les autorités judiciaires que policières, il n’en demeure pas moins qu’au niveau de la lutte contre le trafic d’enfants, il reste encore un long chemin à parcourir. Même si les magistrats et les policiers doivent à l’avenir s’impliquer davantage face à ce type spécifique de trafic, ne faudrait-il pas non plus veiller à sensibiliser également l’opinion publique ?

Ne faudrait-il pas non plus éveiller l’intérêt des médias au trafic spécifique lié aux enfants de manière à ne pas tomber dans une banalisation du phénomène même ?