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Georges Braque disait :

« Le conformisme commence avec la définition ».

Les trafics prennent des formes tellement nombreuses et se métamorphosent si rapidement qu’il ne faut pas s’obstiner à finaliser une définition absolue, qui risque - paradoxalement - d’occulter et d’exclure certaines situations.

Mais le travail quotidien auprès des populations à risque révèle des situations d’une telle complexité qu’il importe cependant, pour éviter les amalgames et surenchères en tous genres, d’être aussi précis que possible dans la grille de

lecture de ces situations. Je vous propose d’énumérer quelques éléments de grille

de lecture :

A - une lecture sous l’angle des discriminations : quelles sont les principales discriminations que peut subir un enfant ?

- par le genre

- par le handicap à la naissance - par la santé

- par l’origine ethnique - par la religion

- par l’argent. On peut y ajouter :

- la discrimination à l’intérieur d’une même famille de plusieurs enfants - la discrimination dans le fonctionnement d’une institution

- la discrimination « réfugiés/déplacés et population locale »

- la discrimination « ville-campagne ». Autrement dit :

« Etre une fillette handicapée, et être l’aînée d’une famille monoparentale pauvre du milieu rural, issue d’une minorité ethnique et/ou religieuse, déplacée à l’intérieur de son propre pays (par ex.: en ville) ou réfugiée à l’étranger, c’est n’avoir aucune auto-défense ni individuelle ni collective et cumuler tous les risques d’être victime des formes les plus graves de violations des droits de l’enfant, y compris d’être victime de trafic».

B – Si l’exploitation d’un enfant se caractérise par la violation des droits

psychologique, par quels critères supplémentaires peut-on affirmer que nous

sommes face à un trafic ?

Si l’on considère que l’activité sexuelle est commercialisée dans la

prostitution, et que cette prostitution peut être utilisée dans le cadre d’un trafic d’êtres humains pour la prostitution;

Si l’on considère que l’adoption est un acte humain, qui fait l’objet de

transactions financières, lesquelles peuvent déboucher sur un trafic d’enfants pour adoption commerciale;

Si l’on considère que le travail des enfants peut devenir l’exploitation des

enfants par le travail, lequel peut être utilisé dans le cadre d’un trafic d’enfants pour exploitation par le travail;

Si l’on considère que la greffe d’organe est une chose, la vente d’organes

pour transplantation en est une autre, quelle est donc la spécificité du trafic d’organes pour transplantation;

Dans chacun de ces domaines, la notion de trafic suppose des critères

spécifiques supplémentaires : quels sont-ils ? Autrement dit qu’est-ce qui caractérise

la réalité d’un trafic par rapport à des activités qui peuvent être volontaires et individuelles (se prostituer, vendre un organe, etc, etc.).

Il me semble qu’un trafic se caractérise par :

- la contrainte (sous de multiples formes, y compris la « séduction »)

- le déplacement géographique (rupture avec le milieu familial, social et

culturel, dans le même pays ou à l’étranger);

- l’organisation criminelle, avec ses intermédiaires, son cloisonnement juridique national, avec, à chaque étape, un but lucratif, terme que je

préfère au terme « commercial », car il peut y avoir intérêt économique sans qu’il y ait nécessairement transaction financière, ni rémunération de qui que ce soit (ex : travail agricole ou domestique).

- le contournement systématique des lois et la corruption de personnes

publiques ou privées, dans l’exercice de leurs fonctions.

Il est consternant de devoir dire que l’enfance est « la matière première la

moins chère » : le trafic d’enfants ne suppose que peu ou pas d’investissement,

comparativement à d’autres trafics et il est d’ailleurs avéré que les trafiquants

d’enfants sont aussi trafiquants de voitures, d’armes ou de drogue. Quand vous trafiquez des Mercedes, une fois la voiture vendue, vous devez en trouver d’autres.

Les enfants, dociles et manipulables, peuvent être exploités à répétition sur une durée indéterminée…

C - Il est cependant un autre élément de définition qu’à ma connaissance on ne trouve nulle part ailleurs et qui figure dans la Convention des Nations Unies contre

la criminalité transnationale organisée, dite « Convention de Palerme » (2000) : Article 1 – a)

« L’expression « groupe criminel organisé » désigne un groupe structuré de trois personnes ou plus, existant depuis un certain temps et agissant de concert dans le but de commettre une ou plusieurs infractions graves (…) pour en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel ».

Article 1 – c)

« L’expression « groupe structuré » désigne un groupe qui ne s’est pas constitué au hasard pour commettre immédiatement une infraction et qui n’a pas nécessairement de rôles formellement définis pour ses membres, de continuité dans sa composition ou de structure élaborée ».

Je me suis surpris à « contempler » ces textes en me demandant s’il n’y avait pas un message subliminal du législateur, dans ce deuxième article, pour nous dire, à nous ONG : « on ne combat l’ennemi qu’en utilisant ses armes : on ne lutte contre des réseaux qu’en travaillant en réseau ». On ne lutte jamais seul contre les

réseaux de trafiquants : notre expérience sur une longue durée nous montre que

c’est en multipliant les contacts, mêmes informels, que les opportunités se présentent, que les informations se croisent et que les compétences se conjuguent.

D – Une grille de lecture des trafics ne peut se limiter aux aspects juridiques, médiatiques, opérationnels ou politiques. Le combat est aussi éthique et à ce niveau, permettez à l’apprenti-philosophe que je fus d’être sensible à un terme abondamment utilisé sans que jamais on ne se risque à définir son contenu, celui d’atteinte à la « dignité humaine ». Qu’est-ce au juste que la dignité humaine ? Permettez-moi trois citations, trouvées au hasard de mes lectures :

Emmanuel Kant :

« Tout a ou bien un prix ou bien une dignité. On peut remplacer ce qui a un prix par son équivalent. En revanche, ce qui n’a pas de prix, et donc pas d’équivalent, c’est ce qui possède une dignité »

Extrait du Jugement du 25 juin 1999 dans l’affaire Zlatko Aleksovski Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie

La Chambre de Première Instance indique :

« L’élément matériel du crime d’atteinte à la dignité des personnes requiert que la victime ait été à ce point humiliée que toute personne raisonnable serait offensée, et son élément moral, que l’auteur ait agi intentionnellement. Pour ce qui est de ce dernier élément, il n’est pas nécessaire que l’auteur ait eu l’intention spécifique d’humilier ou d’avilir la victime, mais il doit avoir eu conscience que c’était là une conséquence prévisible et raisonnable de ses actes » (…)

Extrait de « Le crime contre l’humanité » - Ouvrage collectif sous la direction de M. Delmas-Marty

« Il y a négation de l’humain là où, sous une forme ou sous une autre, il y a atteinte intentionnelle à ce qu’on appelle la dignité humaine, c’est à dire ce qui permet à un être humain de se faire valoir comme être de sang, de s’élever au-delà de sa réalité simplement biologique, de prononcer une parole qu’il puisse vraiment assumer, en laquelle il puisse vraiment se dire ».

RÔLE SPÉCIFIQUE D’UNE ONG DANS LA LUTTE CONTRE