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L’initiative des poursuites I Le ministère public

LES POURSUITES EXERCÉES PAR LES JURIDICTIONS NATIONALES : LA SITUATION BELGE

Section 2. L’initiative des poursuites I Le ministère public

L’expérience du terrain nous apprend que le ministère public n’est pas toujours le moteur de l’engagement des poursuites en matière de crimes qui ont été commis contre les enfants en dehors des frontières. Il faut reconnaître que l’exercice de l’action publique en la matière est une tâche particulièrement lourde et se heurte à de nombreux écueils de droit comme de fait (cf. infra). Dès lors, le procureur va réfléchir à deux fois plutôt qu’une avant de s’engager dans de telles poursuites.

Pourtant, même lorsque la partie civile peut prendre l’initiative des poursuites (cf. infra), le rôle du ministère public est incontournable : une fois que l’action publique est mise en mouvement, la direction et la responsabilité de celle-ci lui reviennent. En d’autres termes, si l’on souhaite qu’un procès puisse aboutir, la coopération du ministère public est indispensable.

Dans certains pays, on s’oriente vers une spécialisation des magistrats : ainsi, en Belgique, une circulaire a créé un réseau de magistrats de parquet spécialisés en matière de traite des êtres humaines et d’abus sexuels commis à l’encontre de mineurs d’âge.

Il ne semble pas qu’il existe une telle structure spécialisée au niveau européen. Ne pourrait-on pas envisager, à tout le moins au niveau européen, la création d’un réseau de magistrats spécialisés en matière de traite des êtres humains et d’exploitation des enfants calqué sur la structure qui a été créée en matière de droit international humanitaire14. La création de points de contact devrait permettre un meilleur échange des informations, une meilleure connaissance des phénomènes ainsi qu’une coopération judiciaire plus efficace.

II. Le rôle des parties civiles

Dans certains systèmes juridiques de droit continental, la partie civile se voit reconnaître le pouvoir de provoquer l’ouverture des poursuites, notamment par une constitution de partie civile devant le magistrat compétent.

Ainsi, en Belgique, la victime peut faire ouvrir un dossier d’instruction en se constituant partie civile entre les mains d’un juge d’instruction. Dans cette

14 En date du 13 juin 2002, le Conseil de l’Union européenne a adopté une décision portant création d’un Réseau européen de points de contact en ce qui concerne les personnes responsables de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. La tâche de ces points de contact est de fournir toute information disponible présentant un intérêt pour les enquêtes en matière de crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre et à faciliter la coopération avec les autorités nationales compétentes.

hypothèse, elle sera tenue de consigner un montant destiné à couvrir les frais de la procédure.

Si la figure de constitution de partie civile peut apparaître intéressante en cas d’inertie du parquet, il faut reconnaître que les enfants victimes de l’exploitation ont rarement la capacité et les moyens d’initier et de mener à bien de telles procédures.

Dans ces conditions, ne devrait-on pas reconnaître aux associations de défense des enfants le droit de se constituer partie civile dans les affaires d’exploitation d’enfants, à l’instar de ce qui existe en matière de lutte contre le racisme et la xénophobie ?

III. Les difficultés de l’action de la justice

Si l’on s’en tient à l’arsenal législatif et aux motivations du législateur (national ou international), l’on devrait disposer actuellement des moyens pour lutter efficacement contre les auteurs des crimes commis à l’encontre des enfants.

La pratique nous apprend toutefois que les limites de l’action de la justice et les difficultés auxquelles elle se heurte sont nombreuses. Nous nous proposons d’en dresser ci-après un inventaire non exhaustif.

- l’ampleur et la nature des faits

Force est d’admettre qu’eu égard au nombre de crimes commis par delà le monde, ils excèdent les capacités d’une justice nationale, qui ne peut souvent en appréhender qu’une partie.

Face à ce qui relève apparemment de l’inhumain, de l’inacceptable et de l’inavouable, la démarche de justice reste bien humaine et limitée.

- les attentes des victimes

Lorsqu’elles s’adressent à la justice, les victimes de faits aussi graves placent dans les autorités judiciaires des espoirs tels que ces dernières ne sont pas toujours en mesure de répondre à toutes ces attentes (notamment en raison des problèmes liés à l’administration de la preuve).

Dans le cadre de poursuites en matière de crimes commis à l’égard d’enfants, les victimes se voient attribuées dans le procès pénal une position particulièrement lourde lié à leur triple statut de victime, témoin et accusateur. C’est pourquoi si elles ne sentent pas fortement soutenues et protégées, elles préfèreront renoncer à une procédure dans laquelle elles risquent de se trouver exposées en première ligne.

De façon bien compréhensible, les victimes voudraient que la justice les croie sur parole, qu’elle soit de leur côté, qu’elle les protège et qu’elle leur garantisse de

façon inconditionnelle la punition des auteurs présumés. Cependant, sous peine de perdre son impartialité, la justice ne peut adopter une telle attitude.

L’imperfection de l’action de la justice peut être ressentie par les victimes comme une trahison, une nouvelle maltraitance. Il faut réaliser combien il peut être difficile pour une victime de faire confiance à une justice faillible et de prendre le risque de porter une accusation contre une personne dont elle peut craindre, à tort ou à raison, des mesures de rétorsion.

- l’ampleur du travail et la limite des moyens

La gestion des dossiers de criminalité organisée et internationale constitue une charge particulièrement lourde et sur le terrain, elle ne constitue pas nécessairement une priorité dans la politique criminelle d’un appareil de justice surchargé.

- l’extraterritorialité

L’exercice de la compétence extraterritoriale impose le recours aux législations nationales. Il requiert donc une certaine harmonisation des législations de droit pénal et de procédure pénale et une certaine homogénéité des garanties procédurales de même qu’une coopération entre les Etats, notamment en matière d’entraide judiciaire.

Le juge qui connaît de faits qui se sont déroulés à l’étranger n’est certes pas le mieux positionné pour enquêter sur ces faits et en appréhender le contexte dans toute sa complexité. L’éloignement géographique, les difficultés liées à la langue, les différences culturelles ne peuvent être oubliées à cet égard.

Enfin, nous avons vu que la présence de l’auteur présumé sur le territoire de l’Etat du for constitue, en règle, une condition sine qua non de l’intervention de la justice dans le cadre de l’exercice d’une compétence extraterritoriale. Dès lors, il suffit souvent à l’auteur de quitter préventivement le pays dans lequel il pourrait craindre que des poursuites soient effectivement envisagées à son égard pour échapper à toute forme de répression.

- l’administration de la preuve

En matière de criminalité internationale, l’administration de la preuve est une tâche extrêmement difficile.

L’enquête concernant des faits qui se sont déroulés à des milliers de kilomètres du siège du tribunal nécessite notamment l’envoi de commissions rogatoires internationales et le transfert des témoins devant la juridiction de jugement. Ces difficultés peuvent décourager l’œuvre de justice.

La nature des faits a également une incidence directe sur l’administration de la preuve. La criminalité envers les enfants est une criminalité à huis clos où les victimes et les auteurs sont souvent les seuls témoins.

Face à des faits aussi indicibles, la prise de parole n’est pas aisée. Pour les victimes, le récit des faits peut les replonger dans la souffrance, la peur et le traumatisme subi. Ces questions renvoient également à celle de la protection des témoins. En outre, se posent le problème de l’emploi de langues et l’écran que peut constituer le recours à un traducteur. Ainsi, ne voit-on pas certaines victimes préférer rester sous le joug d’un compatriote parlant la même langue que de se confier à un policier étranger qui ne comprend pas leur langue ?

Pour les auteurs présumés, les faits relèvent de l’ordre de l’inavouable et les aveux sont extrêmement rares.

Ensuite, la tâche des enquêteurs et du procureur est de faire entendre en justice ce qui dépasse l’entendement (ou ce qu’on ne veut souvent pas entendre) ? Il reste difficile de traduire en preuve ce qui relève de l’ordre de l’inimaginable, de l’innommable, de l’inacceptable… De tels crimes sont difficiles à concevoir et renvoient, de façon culpabilisante, à la conscience humaine de chacun d’entre nous. Dans un premier mouvement, l’incrédulité domine : « Comment est ce possible ? Comment en est-on arrivé à de telles extrémités ? Comment n’a-t-on pu empêcher cela ? ».

Compte tenu de la spécificité de la problématique, une spécialisation est attendue dans le chef des policiers et des magistrats appelés à traiter ce type de dossiers (cf. supra).

- La longueur des procédures

Force est de constater qu’en raison des écueils multiples et des difficultés rencontrées dans l’administration de la preuve, les procédures judiciaires relatives à la poursuite de crimes présentant une dimension internationale ou organisée sont particulièrement longues.

Or, le facteur « temps » n’est pas à négliger : même si le délai de prescription des crimes commis à l’égard des enfants est en règle assez long, le temps joue, de façon générale, contre la justice. L’écoulement du temps érode les souvenirs des témoins, émousse la pertinence des preuves, crée un décalage entre la situation au moment des faits et celle au moment du jugement et contribue au dépassement du délai raisonnable en matière de détention provisoire et de jugement. De plus, les lenteurs de la justice minent et font douter les victimes.

Section 3. Vers une incrimination en droit international des infractions graves