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3.4 Flambage d’un film mince élastique

4.1.2 La microscopie à l’angle de Brewster

Le principe de l’observation des monocouches à l’angle de Brewster est connu depuis très longtemps. Bouasse [89] rapporte ainsi les expériences réalisées par Lord Rayleigh à l’aide d’un héliostat équipé d’un polariseur à travers lequel il observe l’interface eau/air éclairée à l’incidence de Brewster par le soleil : il constate l’existence d’une bande noire qui présente des bords irisés. “Si la surface de l’eau est recouverte d’une couche de graisse même trop mince pour arrêter les mouvements du camphre, les irisations disparaissent... si la couche de graisse est plus épaisse il y a disparition de la bande noire”. Il a fallu cependant attendre le début des années 1990 pour que soient construits les premiers appareils permettant d’observer correctement les monocouches à l’interface eau/air. Ils ont été développés séparément par Meunier et Möbius en 1991 [20, 19]. Cette technique présente l’énorme avantage de s’affranchir de l’addition de sonde fluorescente au

sein de la monocouche et n’apporte pas d’impureté à l’interface. De plus, cette technique est d’une plus grande sensibilité que la fluorescence et a permis entre autre quelques découvertes originales comme l’observation d’une nouvelle phase au sein des acides gras [90].

Principe

La microscopie à l’angle de Brewster prend en compte les propriétés de réflexion de la lumière polarisée à une interface entre deux milieux diélectriques différents.

Considérons une onde plane polarisée rectilignement, se propageant d’un milieu 1 vers un mi-lieu 2 avec un angle d’incidence i1par rapport à la normale à l’interface (cf. figure 4.2). Une partie de cette onde est réfléchie par l’interface sous l’angle i1 tandis qu’une autre partie est réfractée à l’interface et entre dans le milieu 2 sous l’angle i2tel que n1sini1 = n2sini2(loi de Descartes).

Par ailleurs, pour décrire ce qui se passe lorsque la lumière incidente est polarisée, il nous faut utiliser les équations de Maxwell. Elles nous permettent d’obtenir le champ électrique Er⊥,k réfléchi par l’interface en polarisation ⊥ (perpendiculaire au plan d’incidence) ou k (parallèle au plan d’incidence) en fonction du champ incident Ei⊥,ket des coefficients de réflexion de l’interface r⊥,k(i1) :

Er⊥,k= r⊥,k(i1)Ei⊥,k (4.1)

Figure 4.2 – Principe de la microscopie à l’angle de Brewster et variation de

Ces coefficients dépendent à la fois de la polarisation et de l’angle de l’onde incidente avec la normale à l’interface. Ils sont donnés par les relations de Fresnel :

rk(i1) = n2cosi1− n1cosi2 n2cosi1+ n1cosi2 =

tg(i1− i2)

tg(i1+ i2) (4.2)

r⊥(i1) = n1cosi1− n2cosi2 n1cosi1+ n2cosi2 = −

sin(i1− i2)

sin(i1+ i2) (4.3)

La figure 4.3 montre les évolutions de ces deux coefficients en fonction de l’angle d’incidence. On constate que le coefficient rk ne varie pas de façon monotone et qu’il s’annule pour l’angle de Brewster iB.

Figure 4.3 – Variation des coefficients de réflexion avec l’angle d’incidence

dans le cas d’une interface eau/air.

Cet angle est défini par iB+ i2 = π/2. En effet, l’onde incidente induit dans le milieu 2 des dipôles qui ne rayonnent pas dans la direction de leur axe (i2± π/2) ; c’est pourquoi le coefficient de réflexion dans cette direction est nul. On peut aussi écrire :

iB = arctan(n2

n1). (4.4)

La microscopie à l’angle de Brewster consiste à faire l’image de la surface de l’eau éclairée à l’angle de Brewster par une lumière polarisée k. Déposons alors une monocouche à l’interface : ce film change la nature de l’interface en introduisant une couche au sein de laquelle l’indice passe continûment de n1à n2(cf. figure 4.2). L’intensité réfléchie est alors non nulle. Lorsque la couche est peu dense, comme c’est le cas en phase gaz pour les amphiphiles courts, on peut considérer que l’interface est idéale : le fond de l’image est noir. Dès que la densité de la monocouche aug-mente, l’interface devient moins parfaite : l’intensité réfléchie augmente. A l’angle de Brewster, le

coefficient de réflexion d’une onde polarisée k sur une interface dont l’indice optique n(z) varie continuement entre deux valeurs n1et n2est donné par la relation [19] :

r2k(iB) = r2(iB) × π 2 λ2 (n21+ n22) (n21− n2 2) Z +∞ −∞ n(z)2− n2 1  n(z)2− n2 2  n(z)2 dz !2 . (4.5)

Cette formule montre que l’intensité réfléchie par une monocouche déposée à l’interface eau/air dépend à la fois de sa densité (n(z)) et de son épaisseur (bornes d’intégration). Il est alors possible de distinguer monocouches et multicouches, ou des phases de densités différentes. De plus, en utilisant un analyseur placé devant la caméra, il est possible de détecter l’éventuelle anisotropie des domaines observés. Cette technique de fond noir est donc sensible à de faibles irré-gularités de la surface. La profondeur sur laquelle l’interface est sondée dépend alors de l’épaisseur de la monocouche.

Le microscope à l’angle de Brewster

Le microscope à l’angle de Brewster que nous avons utilisé a été construit au laboratoire par Gilbert Zalczer et Alan Braslau. Un schéma et une photographie du montage sont présentés à la figure 4.4. Nous allons en décrire les différents éléments et son principe de fonctionnement.

Un faisceau laser de longueur d’onde 532 nm, de puissance 100 mW et de diamètre ∼1 mm est utilisé pour éclairer la monocouche. Il est polarisé parallèlement à l’interface par un polari-seur P avant d’être réfléchi par l’interface. Cet ensemble est orienté de telle sorte que son angle d’incidence soit égal à l’angle de Brewster de l’eau (iB = 53).

La majeure partie de la lumière est réfractée dans l’eau et conduit alors à un bruit de fond parasite. Afin de limiter ce phénomène, on utilise la cuve possédant un puits dans lequel on place un morceau de verre absorbant.

La partie réfléchie par l’interface passe par un objectif O dont la position est réglable afin d’obtenir une bonne focalisation. Le faisceau est ensuite recueilli par une caméra CCD connectée à un moniteur vidéo qui permet de suivre l’évolution du film en temps réel.

Cette technique est d’une très grande sensibilité (on peut détecter des variations de l’incli-naison des molécules) mais reste limitée à l’observation de domaines de la taille du micromètre. Son principal inconvénient réside dans le fait que l’on observe la surface sous un angle non nul : la profondeur de champ de l’objectif limite la surface sur laquelle l’image de l’interface est au point. Plusieurs astuces ont été développées pour y remédier. On peut balayer la surface bande par bande en déplaçant l’objectif du microscope comme l’ont fait Meunier et collaborateurs [19]. Une autre solution consiste à incliner le capteur CCD de telle sorte que l’image de la surface d’eau par l’objectif soit exactement dans le plan du capteur. L’image est alors parfaitement au point sur la surface et la distorsion due à l’observation inclinée peut être facilement corrigée par un traitement d’image. C’est cette dernière méthode que nous avons retenue. Cependant la présence d’un capot de protection sur le capteur ne nous a pas permis de l’incliner suffisamment et a donc limité notre surface de mise au point à 300x500 µm (LxH). La figure 4.5 est une image d’une monocouche

(a)

(b)

Figure 4.4 – (a) Photographie du microscope à l’angle de Brewster du

labora-toire. (b) Schéma du microscope à l’angle de Brewster du laboratoire et de ces différents éléments.

d’acide pentadécanoïque à la coexistence de phase LE/LC réalisée dans ces conditions. Les do-maines de la phase LC apparaissent en clair sur l’image et leur forme normalement circulaire montre la distorsion de l’image. De même, la zone de netteté de l’image est limitée au centre.

Figure 4.5 – Image à l’angle de Brewster d’une monocouche d’acide

pentadé-canoïque à la coexistence LE/LC. Le contraste est inversé par rapport aux images de microscopie de fluorescence : la phase LE est noire tandis que la phase LC est en gris clair.