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LE RECOURS À L’HARMONISATION TOTALE

SECTION 1. UNE RÉCEPTION MOUVEMENTÉE

B. LES MESURES ADMINISTRATIVES ET LE POUVOIR DE SANCTION DES ÉTATS MEMBRES

245. Il résulte en substance de l’article 11 de la directive sur les pratiques commerciales déloyales que « les États membres veillent à ce qu’il existe des moyens adéquats et efficaces pour lutter contre les pratiques commerciales

467 Cette disposition, on le rappelle, prévoit notamment que les États membres conservent « la possibilité de

continuer à interdire certaines pratiques commerciales sur leur territoire, conformément au droit [européen], pour des motifs de bon goût et de bienséance, même lorsque ces pratiques ne restreignent pas la liberté de choix des consommateurs ».

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Concernant spécialement les divergences législatives qui peuvent résulter de la liberté des États membres en matière de bon goût et de bienséance, V. notamment, A. GARDE, M. HARAVON, précité, p. 10 et s.

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V. l’article 3, paragraphe 9, de la directive. 470 Article 3, paragraphe 3, de la directive. 471

136 déloyales afin de faire respecter les dispositions de la présente directive dans l’intérêt des consommateurs ». Dans le même ordre d’idées, l’article 13 de ladite directive est ainsi libellé : « les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive, et mettent tout en œuvre pour en assurer l’exécution. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ». Il s’agit, à n’en point douter, d’une importante marge de manœuvre accordée aux États membres dans l’application de la norme étudiée. Cette liberté est d’autant plus importante qu’elle est incontestablement susceptible de compromettre l’harmonisation totale recherchée par le législateur européen dans le rapprochement des législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales.

246. Il aurait été intéressant de consulter les différents droits nationaux afin d’y repérer les mesures administratives et de sanction prises dans le cadre de la directive. On aurait en effet pu y constater des obstacles à l’harmonisation totale qu’entendait assurer le législateur européen à travers la directive. Mais nous ne pensons pas qu’il en soit absolument besoin. En effet, il suffirait de se tourner vers les conclusions de Madame l’avocat général Verica Trstenjak dans l’affaire Georg Köck472 pour en avoir une idée claire.

247. Dans cette affaire sur laquelle nous reviendrons plus utilement dans seconde Partie de la thèse, la Cour de justice était en effet interrogée par un juge autrichien sur le point de savoir si la directive doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’une juridiction nationale ordonne la cessation d’une pratique commerciale au seul motif que cette dernière n’a pas fait l’objet d’une autorisation préalable de l’administration compétente, sans pour autant procéder

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Conclusions de l’avocat général Mme Verica Trstenjak, présentées le 6 septembre 2012 dans l’affaire CJUE, 17 janvier 2013, aff. C-206/11, Georg Köck contre Schutzverband gegen unlauteren Wettbewerb, arrêt non encore publié au recueil, précité.

137 elle-même à une appréciation du caractère déloyal de ladite pratique473. Il s’agissait donc pour la CJUE, de se prononcer pour la première fois sur la question de l’aménagement procédural des instruments de lutte contre les pratiques commerciales déloyales474, notamment sur le contrôle ex-ante par les autorités administratives475. D’une manière générale, le renvoi semblait poser le problème de la marge de manœuvre laissée aux États membres en ce qui concerne l’application de la directive. En effet, dans le cadre des mesures prises pour assurer cette application, la réglementation autrichienne en cause subordonnait la licéité des annonces de liquidation à une autorisation administrative préalable. Mais ce qui nous intéresse ici ce sont certains éléments qui ressortent des conclusions de l’avocat général.

248. Madame l’avocat général a en effet rapporté les propos d’un auteur selon qui « la souplesse du libellé de la directive 2005/29 laisse aux États membres une grande liberté d’aménagement lorsqu’ils transposent les règles de mise en œuvre du droit au sens des articles 11 et suivants »476. Il résulte également des mêmes conclusions que selon un autre auteur, « la directive ne permettrait pas d’atteindre une harmonisation plus poussée des systèmes très différents précisément dans le domaine de l’application du droit »477. De même, l’avocat général se base sur l’avis d’un énième auteur qui « déplore les différentes réglementations qui ont été adoptées sur la base de l’article 11 de la directive 2005/29 et [qui] en conclut que la tentative ambitieuse d’harmoniser complètement les ordres juridiques des États

473 V. le point 24 de l’arrêt précité. 474

V. le point 34 des conclusions de l’avocat général, précitées. 475 Ibid.

476

Note 29 des conclusions précitées. L’avocat général cite en cela C. STOLZE, Harmonisierung des

Lauterkeitsrechts in der EU – Unter besonderer Berücksichtigung der Sanktionssysteme, Hambourg, 2010,

p. 159.

477 Note 29 des conclusions qui s’appuient sur : F. HENNING-BODEWIG, «Die Richtlinie 2005/29/EG über unlautere Geschäftspraktiken», Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht – Internationaler Teil, 2005, p. 633.

138 membres en ce qui concerne les pratiques commerciales déloyales aurait échoué »478.

249. Ces quelques éléments rapportés nous semblent assez pertinents pour étayer l’idée selon laquelle la marge laissée aux États membres dans l’application de la directive constitue indubitablement un obstacle au succès de l’approche choisie par les instances européennes dans le cadre du rapprochement des législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales. Bien entendu, nous n’oublions pas spécialement les sanctions qui peuvent divergées d’un État à un autre479. Ainsi, cette liberté laissée aux États membres apparaît comme un moyen pour ceux-ci de tenter de restaurer, au moins en partie, le niveau de protection de leurs consommateurs contre les pratiques commerciales déloyales. Il est clair que cela peut préjudicier au bon fonctionnement du marché intérieur. Pour autant, les mesures nationales d’application ne sauraient valablement, selon la CJUE, avoir pour effet d’interdire par principe des pratiques commerciales qui ne figurent pas à l’annexe 1 de la directive480.

478 Note 29 des conclusions précitées. La source de cette affirmation : G. de CRISTOFARO, «Die zivilrechtlichen Folgen des Verstoßes gegen das Verbot unlauterer Geschäftspraktiken: eine vergleichende Analyse der Lösungen der EU-Mitgliedstaaten», Gewerblicher Rechtsschutz und Urheberrecht – Internationaler Teil, 2010, p. 1023.

479 V. sur ce point, supra n° 236. 480

V. les points 47 et s. de l’arrêt Georg Köck, précité. V. également les points 91 et s. des conclusions de l’avocat général, précitées.

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