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LE RECOURS À L’HARMONISATION TOTALE

SECTION 1. UNE RÉCEPTION MOUVEMENTÉE

B. UN CHAMP D’INFLUENCE DIFFICILEMENT MESURABLE

1. L’applicabilité de la directive dans le domaine contractuel

209. La difficile compréhension du champ d’application de la directive d’harmonisation totale 2005/29/CE, s’illustre parfaitement dans l’affaire Pereničová et Perenič405. Dans cette affaire, la question préjudicielle était relative à l’interprétation de certaines dispositions de la directive relative aux clauses abusives406 et de la directive sur les pratiques commerciales déloyales. L’action avait été engagée sur le territoire slovaque par Mme Pereničová et M. Perenič contre un établissement non bancaire accordant des crédits à la consommation. Les requérants avaient en effet conclu un contrat de crédit standardisé avec cette société. Il en ressortait que le montant du crédit s’élevait à 4979 euros mais qu’au final, les emprunteurs devaient rembourser 11352 euros. Considérant que ce contrat devait être frappé de nullité, les requérants au principal ont saisi le tribunal d’arrondissement de Prešov à cette fin. Cette juridiction a en effet constaté qu’en

402 Ibid. 403 Ibid. 404 Ibid. 405

CJUE, 15 mars 2012, aff. C-453/10, Pereničová et Perenič, non encore publié au Recueil, obs : M. MEISTER, « Clauses abusives », Europe, Mai 2012, Comm. n° 5, p. 221 ; H. JACQUEMIN, « Arrêt Pereničová: incidence d'une clause abusive sur la validité du contrat », Rev. eur. dr. consom., 2012, p. 575-585 ; S. PIEDELIÈVRE, M.-E. MATHIEU, « Chronique de jurisprudence. Consommation », Gaz. Pal., 2012, n° 340-341, Jur., p. 19-21.

406 Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, JO L, n° 95 du 21 avril 1993.

118 réalité, le TAEG (Taux Annuel Effectif Global) était de 58,76 % alors que le contrat prévoyait un taux de 48,63 %. Il s’avérait donc que la société de crédit avait omis d’y inclure des frais afférents au crédit accordé. À cela s’ajoutait, selon la juridiction de renvoi, des clauses contractuelles qui lui apparaissaient abusives.

210. Le juge slovaque a donc saisi la Cour de justice pour l’entendre dire, notamment, si l’on pouvait automatiquement déduire de la déloyauté d’une pratique commerciale mise en œuvre au travers de clauses contractuelles, le caractère abusif de celles-ci ainsi que la nullité du contrat.

211. Pour répondre à cette question, la Cour de justice a d’abord énoncé l’article 6, paragraphe 1 de la directive qui vise une certaine forme de pratiques trompeuses. Elle a donc rappelé qu’« une pratique commerciale est réputée trompeuse si elle contient des informations fausses, et qu’elle est donc mensongère ou que, d’une manière quelconque, y compris par sa présentation générale, elle induit ou est susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen en ce qui concerne un ou plusieurs des aspects énumérés à cet article 6, point 1, et que, dans un cas comme dans l’autre, elle l’amène ou est susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement »407. Elle a également précisé que la tromperie peut porter sur le prix ou le mode de calcul du prix408.

212. Appliquant par la suite ces dispositions à l’espèce qui lui était soumise, la Cour a jugé que la pratique en cause « constitue une information fausse quant au coût total du crédit et, partant, au prix visé à l’article 6, paragraphe 1, sous d), de la directive 2005/29 »409. La Cour de justice a conclu en définitive, et à bon droit, que « dès lors que l’indication d’un tel TAEG amène ou est susceptible d’amener le consommateur moyen à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise

407

Point 40 de l’arrêt Pereničová et Perenič, précité. 408 Ibid.

119 autrement, ce qu’il appartient au juge national de vérifier, cette information fausse doit être qualifiée de pratique commerciale «trompeuse», au titre de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive »410.

213. On le voit, les préoccupations de ce juge national nous permettent d’illustrer les difficultés qui peuvent être celles des juridictions dans le respect de l’injonction qui leur est faite d’assurer, conjointement avec d’autres autorités nationales, le plein effet de la directive d’harmonisation totale. Même si en l’espèce la Cour a répondu négativement aux deux questions rapportées ci-dessus, il n’en demeure pas moins que l’on doive garder à l’esprit l’influence possible de cette directive en dehors de son champ d’application prédéfini. La Cour a en effet précisé que la constatation du caractère déloyal d’une pratique commerciale peut constituer un élément permettant de déterminer le caractère abusif des clauses d’un contrat411. En tout état de cause, il ne nous semble que le juge respecterait la finalité de la directive s’il déclarait les clauses litigieuses non abusives, alors qu’elles seraient porteuses de déloyauté.

214. Mais le plus intéressant en ce qui nous concerne ici, c’est la précision qu’a apporté la Cour sur l’applicabilité de la directive au-delà du cadre précontractuel. Elle est importante dans la mesure où, parlant de pratiques commerciales, on peut ne voir que le domaine de la publicité et de la promotion des ventes. Il est vrai que la directive dispose qu’elle « s’applique sans préjudice du droit des contrats, ni, en particulier, des règles relatives à la validité, à la formation ou aux effets des contrats »412. Mais l’article 3, paragraphe 1 de cette même directive prévoit que celle-ci « s’applique aux pratiques commerciales déloyales […] avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit ». Partant de là, même si, comme l’a si justement jugé la Cour, « la constatation du caractère déloyal d’une

410 Ibid.

411 V. le point 43 de l’arrêt.

120 pratique commerciale n’a pas d’incidences directes sur la question de savoir si le contrat est valide »413, il n’en demeure pas moins que les juges doivent garder à l’esprit que la directive intéresse aussi, dans une certaine mesure, le domaine contractuel.

215. D’ailleurs, il nous semble que les États membres sont libres d’étendre la nullité de la pratique au contrat qui a résulté de sa mise en œuvre414. En France par exemple, l’article L. 122-15 dispose que « lorsqu'une pratique commerciale agressive aboutit à la conclusion d'un contrat, celui-ci est nul et de nul effet ». L’article L. 122-8 du Code de la consommation luxembourgeois, quant à lui, prévoit la nullité relative de « toute clause ou toute combinaison de clauses d’un contrat, conclue en violation », notamment de l’interdiction des pratiques commerciales déloyales.

216. En définitive, on retient, sur la base de l’arrêt précité, qu’une clause contractuelle peut constituer une pratique commerciale déloyale415 et qu’en fonction des règles nationales qui lui sont applicables, elle peut entraîner la nullité du contrat dont elle a conduit à la conclusion. De ce fait, la bonne compréhension du champ d’application de la directive et la vigilance des juridictions nationales devraient empêcher que soit entravé le rayonnement de la norme étudiée. Dans le cas contraire, on se trouverait face à une limitation jurisprudentielle de ce champ. Celle-ci pourrait avoir pour conséquences de faire échapper certaines pratiques de la répression et de compromettre ainsi l’harmonisation totale qui est recherchée.

2. Le problème de l’articulation de la directive avec d’autres règles