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LE RECOURS À L’HARMONISATION TOTALE

B. ANALYSE CRITIQUE DES CRITÈRES

2. Appréciation de certains cas particuliers

329. L’application du critère du consommateur moyen dans certains cas particuliers appelle également des interrogations spécifiques. Concernant les enfants par exemple, pour ne citer que ceux-ci, il se pose d’abord la question de savoir à quel moment il est besoin de déterminer le standard spécifique. Deux cas de figure se posent. Il faut en effet distinguer selon qu’on se trouve en présence d’une pratique déloyale en toutes circonstances (a) ou selon qu’on est en dehors de ce cas (b).

a) En présence d’une pratique commerciale déloyale en toutes circonstances

330. On remarque par exemple que pour assurer une meilleure protection des enfants, le législateur européen a rangé dans l’annexe 1 de la directive, la pratique consistant à : « dans une publicité, inciter directement les enfants à acheter ou à persuader leurs parents ou d’autres adultes de leur acheter le produit faisant l’objet de la publicité »623. Dans ce cas, il est acquis que le juge n’a plus besoin de rechercher le standard sur la base duquel il jugera du caractère déloyal ou non de la pratique. En effet, il faut rappeler que d’une manière générale le critère du consommateur moyen est inopérant lorsque la pratique en cause figure au rang de la liste noire de l’annexe 1 de la directive624.

331. On n’a pas de mal à déceler, ici, une priorité accordée à la protection des consommateurs. Toutefois, les développements précédents sur cette liste nous ont permis de constater qu’en fait, elle recèle également des avantages pour les

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Conformément à l’article 16 de la directive 89/552/CEE du Conseil, du 3 octobre 1989, visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l'exercice d'activités de radiodiffusion télévisuelle (JO L n° 298 du 17 octobre 1989, p. 23. En effet, aux termes de cette disposition, la publicité télévisée ne doit pas, notamment, « inciter directement les mineurs

à l'achat d'un produit ou d'un service, en exploitant leur inexpérience ou leur crédulité; elle ne doit pas inciter directement les mineurs à persuader leurs parents ou des tiers d'acheter les produits ou les services concernés… ».

186 professionnels. Elle représente donc un instrument spécifique d’équilibre entre les objectifs économiques et consuméristes de la directive. Mais il convient de poursuivre l’analyse des critères spécifiques de détermination du consommateur moyen, à la lumière de ladite liste.

332. On a évoqué, plus haut, l’impossibilité de passer outre une analyse circonstanciée puisque la recherche de l’appartenance ou non de la pratique dénoncée à l’une quelconque de celles visées à l’annexe 1 appelle nécessairement une telle appréciation, même s’il ne s’agit pas de celle visée au considérant 17 de la directive625. Appliquée à la pratique 28 citée ci-dessus, cela signifie que le juge devra obligatoirement rechercher si la pratique publicitaire en cause remplit ces conditions alternatives (incitation directe d’un enfant à acheter ou à faire acheter). Mais au-delà de cet aspect, il est à relever que cette pratique commerciale déloyale en toutes circonstances pourrait être de nature à vider le critère du consommateur moyen, concernant un groupe d’enfants, de sa substance.

333. En effet, la disposition 28 de l’annexe 1 est rédigée en des termes assez larges. Par conséquent, la plupart des pratiques commerciales déloyales vis-à-vis des enfants risquent d’être considérées comme déloyales en toutes circonstances. Nous pensons en effet que d’une manière générale, une déloyauté des professionnels envers les enfants ne pourrait s’exprimer que par une incitation directe à l’achat626. De ce fait, les litiges liés à des actes présumés déloyaux envers

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Le considérant 17 de la directive dispose notamment que les pratiques contenues à l’annexe I de la directive sont les « seules pratiques commerciales qui peuvent être considérées comme déloyales sans une évaluation au

cas par cas au titre des dispositions des articles 5 à 9 ».

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Cette incitation peut conduire ces derniers à acheter personnellement ou par le biais de leurs parents ou de toute autre adulte sur qui ces enfants exercent une certaine influence émotionnelle. Il faut préciser que du fait de l’incapacité juridique dont sont frappés les mineurs, ils sont la plupart du temps protégés contre les pratiques commerciales trompeuses. En effet, du fait de cette incapacité, ce sont leurs parents ou autres personnes habilitées en ce sens par lesdits parents, par la loi ou par le juge à veiller à leurs intérêts, qui contracteront pour eux. Dans ce cas de figure, la victime de la tromperie, s’il en résultait une, sera logiquement l’acheteur puisque ce sera lui le consommateur, et non l’enfant dont la satisfaction du besoin a conduit à l’achat.

187 cette catégorie de consommateurs risquent de dispenser, bien des fois, de la recherche du membre moyen de ce groupe. Mais, peut-être, est-ce finalement le résultat escompté par le législateur qui, dès le considérant 18 de la directive, a annoncé l’inscription de la pratique d’incitation directe des enfants à l’achat dans la liste noire de l’annexe 1.

334. La même remarque peut être formulée, dans une certaine mesure, en ce qui concerne le cas des personnes âgées. En effet, ces dernières, à l’instar des autres consommateurs, peuvent être victimes de différentes sortes de déloyauté. Mais d’une manière générale, en l’occurrence en Europe où elles vivent bien souvent seules627, ces personnes sont principalement victimes des pratiques commerciales agressives628 constituant les points 25629 et 26630 de l’annexe 1. On rappelle que dans ces cas, la réglementation dispense les juges nationaux de la détermination du consommateur moyen, donc du membre moyen du groupe de personnes âgées concernées631. Ainsi, dans la majorité des situations intéressant cette catégorie de personnes, les juges risquent de ne pas avoir à déterminer le modèle de référence.

335. En définitive, les considérations précédentes posent le problème de la pertinence du critère du consommateur moyen concernant certains consommateurs vulnérables. En effet, comme il a été indiqué, à l’égard des enfants

627 La question ne se pose pas, notamment, en Afrique où la plupart du temps, les personnes âgées vivent dans le cercle familial.

628 L’Utilisation de ces méthodes de vente par certains professionnels est, on s’en doute bien, liée à l’état de vulnérabilité de ces personnes mais il faut voir aussi que du fait de l’âge, elles se déplacent assez peu. De fait, pour les atteindre, les professionnels choisissent d’aller vers elles, ce qui, au demeurant, facilite la tâche de ceux qui sont peu scrupuleux car ils peuvent, à l’abri de tout regard réprobateur, se livrer au harcèlement de ces personnes âgées.

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Ce point concerne le fait d’ « effectuer des visites personnelles au domicile du consommateur, en ignorant sa

demande de voir le professionnel quitter les lieux ou de ne pas y revenir, sauf si et dans la mesure où la législation nationale l’autorise pour assurer l’exécution d’une obligation contractuelle ».

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Il s’agit du fait de « se livrer à des sollicitations répétées et non souhaitées par téléphone, télécopieur,

courrier électronique ou tout autre outil de communication à distance, sauf si et dans la mesure où la législation nationale l’autorise pour assurer l’exécution d’une obligation contractuelle ».

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188 et des personnes âgées, on a l’impression que, presque toujours, l’appréciation de la déloyauté d’une pratique commerciale dispensera le juge de rechercher le membre moyen du groupe auquel ils appartiennent632. Mais de toutes les façons, le législateur a pris le soin de préciser la validité « des déclarations exagérées ou des déclarations qui ne sont pas destinées à être comprises au sens littéral »633, c'est-à-dire des publicités hyperboliques. Cela empêche donc de verser dans la surprotection. Au final, la directive assure un niveau élevé de protection des enfants et autres personnes vulnérables, tout en veillant à ne pas nuire au bon fonctionnement du marché intérieur. L’idée d’équilibre semble donc en ressortir.

b) Dans les autres cas de figure

336. En dehors des cas entrant dans le champ de l’annexe 1 de la directive, se posent également des questions concernant l’application du critère du consommateur moyen. Là encore on s’attachera particulièrement au cas des enfants qui, dans la quasi-totalité des cas, ne contractent pas directement. Comment le juge devra-t-il déterminer le modèle de référence du groupe d’enfants concerné par la pratique? À notre sens, il faut nuancer l’approche selon qu’il s’agit de prévenir ou de guérir la déloyauté. C’est à dire que la réponse est différente selon qu’il est question d’agir en amont ou en aval de l’acte de consommation engendré ou susceptible d’être engendré par la pratique déloyale.

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Il faut préciser que malgré tout, la modulation du critère de consommateur moyen garde toute son importance, dans la mesure où les pratiques de l’annexe 1 que nous avons évoquées plus haut ne sont pas les seules susceptibles de toucher les enfants et les personnes âgées. De même, ces personnes ne sont pas les seuls consommateurs pouvant être considérées comme vulnérables. Au demeurant, les consommateurs vulnérables ne sont pas les seuls que vise l’article 5, § 3 de la directive.

189 337. Nous pensons en effet que si la pratique est dénoncée avant que ne soit posé l’acte de consommation634, il s’agira donc de la faire interdire en prenant pour référence le membre moyen du groupe d’enfants auquel elle s’adresse.

338. Mais lorsqu’il s’agit de dénoncer une pratique suite à un achat par exemple, on peut se demander par rapport à la laquelle de ces deux types de personnes devra se faire l’analyse : l’enfant ou la personne qui a contracté l’achat ? Cette question semble appeler plus d’une possibilité de réponse.

339. Dans le cas où l’enfant, dans le respect des règles générales ou particulières prises pour assurer sa protection dans les autres domaines du droit, effectue lui-même l’achat, il est clair que c’est le membre moyen du groupe auquel il appartient qui sera pris en compte.

340. La réponse est différente lorsque, par exemple, un adulte achète un bien pour l’usage d’un enfant, suite à une pratique commerciale déloyale visant une catégorie d’enfants à laquelle il appartient635. Il faut considérer, selon nous, que ce n’est pas par rapport à cette catégorie d’enfants que devra être recherché le consommateur moyen, puisque ce n’est pas l’enfant qui a contracté mais l’adulte qui est, de ce fait, le consommateur636. C’est donc aux critères de consommateur moyen d’ordre général que devra se référer le juge pour déterminer le caractère abusif de la pratique637. La réponse serait autre si on considère que la pratique

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On rappelle que la pratique peut être dénoncée même si elle n’est que susceptible d’altérer le comportement économique du consommateur moyen.

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On suppose, ici, l’inexistence d’une incitation directe de l’enfant, afin de ne pas basculer dans l’inopérance du critère.

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La définition du consommateur, donnée par l’article 2, a) de la directive ne semble pas contredire cette analyse puisque le consommateur y est défini comme « toute personne physique qui […] agit à des fins qui

n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ». On ne peut donc

nier qu’en principe, c’est la personne qui « agit », qui pose l’acte de consommation qui est considérée comme consommateur. Il faut, ici, prendre en compte la personne qui est engagée juridiquement et non pas celle qui agit, par exemple, en tant que mandataire.

637 Il en est de même, à plus forte raison, lorsque la pratique ne s’adressait pas à une catégorie de personnes dans laquelle l’enfant figure et que l’adulte a contracté pour satisfaire les besoins de ce mineur.

190 s’adresse à un groupe clairement identifiable de consommateurs qui serait les parents d’enfants appartenant à une certaine catégorie et dont ferait partie l’acheteur. Dans un tel cas, il faut penser que le juge devra chercher à déterminer la déloyauté de la pratique par rapport au membre moyen de ce groupe de parents.

341. On pourrait, à n’en point finir, relever plusieurs cas de figure illustrant les possibles difficultés dans la détermination du consommateur moyen. Mais il n’en est pas besoin pour comprendre que le recours à un consommateur de référence semble avoir entraîné une complexification de l’application du droit. En effet, on a pu observer que l’application du critère général de consommateur moyen augure de réelles difficultés pour les juges nationaux.

Mais il semble qu’on ne puisse pas en dire autrement en ce qui concerne la détermination d’un modèle de référence spécifique. Bien au contraire, on peut penser que la caractéristique de consommateurs « particulièrement vulnérables à la pratique utilisée ou au produit qu’elle concerne »638 n’en rendra que plus ardue la tâche des juridictions et autres autorités nationales habilitées en la matière.

342. Cet état des choses risque de compromettre l’équilibre recherché puisque, ainsi qu’il a déjà été indiqué, ce sont ces autorités qui sont les principales garantes, au plan interne, de la bonne application de la directive.

Malgré tout, il semblerait que la désignation du standard étudié était vraiment nécessaire pour permettre la conciliation des différentes fonctions de la directive. C’est ce qu’il convient de vérifier à présent.

191 SECTION 2. LA NOTION DE CONSOMMATEUR MOYEN COMME INSTRUMENT