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LE RECOURS À L’HARMONISATION TOTALE

SECTION 1. UN FACTEUR D’ÉQUILIBRE DES OBJECTIFS ?

B. DES DÉROGATIONS FAVORABLES AUX CONSOMMATEURS

68. Il faut indiquer que la directive, même si elle poursuit une harmonisation totale, n’enlève pas tous les pouvoirs aux législateurs nationaux. Ainsi, ceux-ci conservent notamment la faculté d’adapter certaines notions juridiques utilisées par la directive aux notions juridiques nationales. Les États membres conservent

150 C. MONFORT, « Loyauté des pratiques commerciales : concurrents, agissez en cessation ! », Rev. Lamy dr.

aff., n° 23, janvier 2008, p. 55.

151 N. SAUPHANOR-BROUILLAUD, « Quel consommateur ? Pour quel rôle ? », in L’entreprise et le droit

communautaire : quel bilan pour un cinquantenaire ?, sous la direction de V. MAGNIER, PUF, coll. CEPRISCA,

2007, p. 41.

152 M. LUBY, « La directive 2005/29 sur les pratiques commerciales déloyales : (une illustration de la nouvelle approche prônée par la Commission européenne) », Europe, Revue mensuelle LexisNexis, n° 11, 2005, p. 6.

44 également la faculté d’interdire certaines pratiques commerciales « pour des motifs de bon goût et de bienséance, même lorsque ces pratiques ne restreignent pas la liberté de choix des consommateurs »153. Mais cette liberté ne doit évidemment être mise en œuvre qu’autant qu’elle est conforme au droit de l’Union et en tenant « largement compte des circonstances de chaque espèce »154.

69. De même, l’article 3, paragraphe 9 de la directive prévoit que « pour ce qui est des «services financiers», au sens de la directive 2002/65/CE155, et des biens immobiliers, les États membres peuvent imposer des exigences plus restrictives ou plus rigoureuses que celles prévues par la présente directive dans le domaine dans lequel cette dernière vise au rapprochement des dispositions en vigueur ». Nous nous attarderons sur cette dernière dérogation qui, comme le principe que nous venons de voir, a fait l’objet d’interprétation au niveau européen.

70. Il ressort ainsi du premier rapport de la Commission sur l’application de la directive, que « dans ces secteurs, les États membres peuvent, dès lors, imposer des règles allant au-delà des dispositions de la directive, pour autant qu’elles soient conformes aux autres législations pertinentes de l’Union »156. Il faut donc comprendre que dans le cadre de la directive étudiée, les domaines financiers et immobiliers ont fait l’objet d’une harmonisation a minima.

153 Considérant 7 de la directive. 154 Ibid. 155

Directive 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs, et modifiant les directives 90/619/CEE du conseil, 97/7/CE et 98/27/CE, JO L n° 271/16 du 9 octobre 2002, modifiée par la directive 2005/29/CE, à consulter en suivant le lien suivant : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32002L0065:FR:NOT. Au sens de l’article 2, sous b) de cette directive, doit être considéré comme «service financier», «tout service ayant trait à la banque, au crédit, à l’assurance, aux retraites individuelles, aux investissements et aux paiements ».

156 Premier rapport de la Commission européenne sur l’application de la directive, COM (2013) 139 final, précité, p. 5.

45 71. De son côté, la Cour de justice a eu l’occasion d’interpréter dans une certaine mesure cette dérogation dans l’arrêt Citroën Belux157. Cette question préjudicielle belge a été posée dans le cadre de la résolution d’un litige opposant la société Citroën, importateur en Belgique de véhicules de la marque du même nom, à la Fédération belge des intermédiaires d’assurance et financiers, en abrégé FvF. Cette dernière reprochait en effet à la première citée de se livrer à une offre conjointe interdite consistant à offrir, pendant une durée de six mois, une assurance dite « omnium », à l’achat d’un véhicule Citroën. La FvF a donc mis Citroën en demeure de cesser ladite pratique. À cela, Citroën a répondu que l’offre n’était pas uniquement limitée à l’achat d’un nouveau véhicule car valable pour toute nouvelle souscription d’une assurance omnium d’une durée d’un an. Pour la société, il ne s’agissait donc pas d’une offre couplée. Par la suite, et sur le fondement de l’article 72, paragraphe 1158 de la loi belge du 6 avril 2010159, la FvF a introduit une action en justice contre Citroën à l’effet de la voir condamnée à cesser la pratique décrite ci-dessus. Condamnée en première instance160, Citroën a interjeté appel du jugement. La juridiction d’appel saisie, bien que considérant qu’il s’agit d’une offre conjointe, a décidé de surseoir à statuer en raison du caractère particulier de l’objet de l’offre. Elle a en effet interrogé la Cour de justice, notamment, sur le point de savoir si l’article 3, paragraphe 9 de la directive 2005/29/CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une disposition d’un État membre qui interdit par principe, en dehors de cas limitativement énumérés, des offres conjointes proposées au consommateur dont au moins un des éléments est un service financier. Pour mieux

157 CJUE, 18 juillet 2013, aff. C-265/12, Citroën Belux, point 22, non encore publié au recueil, Rev. Lamy dr. aff., 2013, n° 86, p. 60, obs. M. COMBET ; Europe, 2013, n° 10, p. 25, obs. F. GAZIN ; C. AUBERT de VINCELLES, « Droit européen des obligations : août 2012-juillet 2013 », RTDE, n° 3, 2013, chron., p. 574 ; E. POILLOT, « Droit de la consommation », JDE, 2014, n° 205, chron., p. 22 et s.

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Cette disposition prévoiyait que « toute offre conjointe au consommateur, dont au moins un des éléments

constitue un service financier, et qui est effectuée par une entreprise ou par différentes entreprises agissant avec un but commun, est interdite ».

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Loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, M.B., 12 avril 2010, p. 20803.

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46 comprendre cette question préjudicielle, il importe de s’arrêter quelque peu sur le champ d’application de la directive, de même que sur le premier arrêt de la Cour de justice en la matière.

72. En premier lieu, il ressort en substance du dispositif de l’arrêt précité du 23 avril 2009161, que «la directive 2005/29/CE […] doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale […] qui, sauf certaines exceptions et sans tenir compte des circonstances spécifiques du cas d’espèce, interdit toute offre conjointe faite par un vendeur à un consommateur ». En second lieu, selon l’article 3, paragraphe 9 de la directive, « pour ce qui est des «services financiers», au sens de la directive 2002/65/CE, et des biens immobiliers, les États membres peuvent imposer des exigences plus restrictives ou plus rigoureuses que celles prévues par la présente directive dans le domaine dans lequel cette dernière vise au rapprochement des dispositions en vigueur ». Or, au sens de la directive 2002/65162, doit être considéré comme «service financier», «tout service ayant trait à la banque, au crédit, à l’assurance, aux retraites individuelles, aux investissements et aux paiements »163. De ce fait, il ne fait aucun doute que l’offre de Citroën contient bien un élément financier qui est l’assurance Omnium de six mois. C’est donc à juste titre que la juridiction de renvoi pose la question de savoir si le fait que l’un des éléments de l’offre litigieuse est un service financier suffit à faire s’appliquer la clause minimale du paragraphe 9 de l’article 3 de la directive qui, on le rappelle, autorise les États membres à déroger au caractère maximale de cette directive.

73. Par une bonne interprétation de cette disposition, la Cour de justice a jugé qu’« en ce qui concerne ces services, [la] directive s’applique sans préjudice de la

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CJCE, 23 avril 2009, aff. Jtes C- 261/07 et C-299/07, Total Belgium, précité. 162

Directive 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 concernant la commercialisation à distance de services financiers auprès des consommateurs, et modifiant les directives 90/619/CEE du conseil, 97/7/CE et 98/27/CE, JO L, n° 271/16 du 9 octobre 2002, modifiée par la directive 2005/29/CE.

47 faculté pour les États membres d’adopter des mesures qui vont au-delà des dispositions de celle-ci, pour protéger les intérêts économiques des consommateurs »164. La Cour ajoute, au demeurant, que « le libellé de l’article 3, paragraphe 9, de la directive 2005/29 […] n’impose ainsi aucune limite quant au degré de restriction des règles nationales à cet égard, et ne prévoit pas de critères relatifs au degré de complexité ou de risques que doivent présenter lesdits services pour faire l’objet de règles plus strictes »165. Bien entendu, cette solution qui a été donnée dans le cadre des services financiers peut être étendue au domaine immobilier puisque la dérogation vaut dans les deux cas.

74. On retient donc que dans lesdits domaines, les États membres peuvent choisir de s’en tenir au niveau de protection qui résulte de la directive, mais ils ont également la possibilité de modifier ce niveau sous réserve de respecter le droit de l’Union dans sa généralité. Comme le précise la Cour elle-même, la liberté laissée aux États en la matière peut « aller jusqu’à l’édiction d’une interdiction »166, ce qui ne contrevient pas au droit de l’Union puisque « la protection des consommateurs est reconnue par la jurisprudence comme une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services »167.

75. Évidemment, la dérogation ne vaut que dans le sens d’une élévation du niveau européen de protection, et non dans celui de son abaissement. À ce propos, on note que la Commission européenne accorde une attention particulière à l’application de la clause minimale de l’article 3, paragraphe 9 précité. En effet, elle a commandé une étude menée de 2001 à 2002 sur l’application de la directive dans les domaines financiers et immobiliers et dont elle rapporte les résultats dans son premier rapport sur l’application de la directive168. Il en ressort d’ailleurs que « la

164

Point 22 de l’arrêt précité. 165 Point 25 de l’arrêt précité. 166

Point 27 de l’arrêt précité. 167 Point 38 de l’arrêt précité.

48 plupart des États membres ont maintenu ou adopté, dans les domaines des services financiers et des biens immobiliers, une législation qui va au-delà des normes fixées par la [directive] »169.

76. Au final on constate que, dans son principe, l’interdiction faite aux États membres de déroger aux règles de la directive, même à l’effet d’assurer une plus haute protection à leurs consommateurs, est destinée à favoriser l’essor du marché unique. Pour autant, le législateur de l’Union n’a pas méconnu les intérêts des consommateurs, puisqu’il prévoit des dérogations, notamment, dans des domaines aussi sensibles que les services financiers et les biens immobiliers. On retrouve alors la volonté de l’Union de fédérer recherche du développement du marché et protection des consommateurs, même si on ne peut pas en préjuger un traitement équitable de ces deux intérêts.

77. En définitive, l’étude des caractéristiques d’harmonisation totale de la directive sur les pratiques commerciales déloyales nous a permis de comprendre qu’il s’agit d’une approche qui permet, dans une certaine mesure, de concilier les intérêts en présence. De prime abord, elle semblait donc indiquée, dans le cadre de cette directive ambivalente. Toutefois, cela ne signifie pas forcément qu’elle ait permis d’atteindre un véritable équilibre entre les objectifs poursuivis. La seconde partie de la thèse devrait nous permettre de le vérifier. Pour l’instant, il convient de poursuivre notre analyse avec la liste noire des pratiques commerciales.

C. LA LISTE NOIRE COMME ILLUSTRATION PARTICULIÈRE DE LA RECHERCHE