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LE RECOURS À L’HARMONISATION TOTALE

B. DES ÉLÉMENTS D’APPRÉCIATION DIFFICILES

2. Les éléments contextuels de détermination du consommateur moyen

294. À propos de l’intervention de ces éléments dans la détermination de la réaction typique du consommateur moyen, la Cour de justice nous donne une illustration notamment dans une affaire opposant deux professionnels du domaine du cosmétique sur le territoire allemand573. Il ressort des faits que la société Lancaster commercialise une crème raffermissante pour la peau, en faisant figurer le terme «lifting» dans le nom du produit. La société Estée Lauder considérait que le terme « lifting» était trompeur car il donnerait l'impression à l'acheteur que le produit a des effets identiques ou comparables, surtout quant à la durée, à une opération chirurgicale de lifting de la peau, alors que tel n'était pas le cas en réalité. Cette société concurrente demandait donc l’interdiction de tout produit cosmétique comportant la dénomination «lifting», en particulier la crème de la société Lancaster. À l’opposé, cette dernière soutenait que même si sa crème n'avait pas la même action à long terme qu'une opération de lifting, elle avait néanmoins une action raffermissante significative et que d’ailleurs, l'attente du public à l'égard dudit produit ne correspondait pas à ce que la société Estée Lauder prétendait. La défenderesse au principal ajoutait par ailleurs que toute interdiction de commercialisation du produit litigieux constituerait une atteinte à la libre circulation des marchandises. La juridiction saisie décida de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice. Elle demandait donc aux juges de Luxembourg de dire si la notion de consommateur moyen dégagée par eux nécessitait que soit pris en considération

572 Ibid.

167 un pourcentage de personnes induites en erreur supérieur à celui de 10 à 15 % consacré par la jurisprudence allemande.

295. Sur ce point, la Cour de justice, après avoir rappelé la nécessité de recourir au critère du consommateur moyen dans la détermination du caractère trompeur d’une marque ou d’une indication publicitaire574, a indiqué que pour l’application de ce critère, « plusieurs éléments doivent être pris en considération »575. Elle a précisé à cet effet qu’ « il y a lieu, notamment, de vérifier si des facteurs sociaux, culturels ou linguistiques peuvent justifier que le terme «lifting» employé à propos d'une crème raffermissante soit compris par les consommateurs allemands de manière différente par rapport aux consommateurs des autres États membres ou si les conditions d'utilisation du produit suffisent à elles seules à souligner le caractère transitoire de ses effets, neutralisant toute conclusion contraire pouvant être tirée du terme « lifting » »576. En tout état de cause, la Cour a jugé que « si, à première vue, un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ne devrait pas s'attendre à ce qu'une crème dont la dénomination comporte le terme «lifting» produise des effets durables, il appartient toutefois à la juridiction nationale de vérifier, compte tenu de tous les éléments pertinents, si tel est le cas en l'espèce »577.

296. Cette solution semble attester du caractère nébuleux du concept de consommateur moyen. Ainsi, selon les facteurs propres à chaque État, une même pratique peut être considérée comme susceptible de modifier de manière significative le comportement économique du consommateur moyen dans un État membre, et pas dans un autre. Il en ressort qu’à l’égard de cette même pratique, le consommateur moyen pourra, le cas échéant, être différent d’un pays à un autre.

574 Point 27 et 28 de l’arrêt. 575 Point 29 de l’arrêt. 576 Point 29 de l’arrêt. 577 Point 30 de l’arrêt.

168 C’est la preuve que l’on a vraiment affaire à un standard, une « notion à contenu variable »578.

297. Si on comprend tout à fait l’utilité de la prise en compte des facteurs cités ci-dessus, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur leur application. On se demande en effet sur quels facteurs le juge doit se baser pour déterminer le consommateur moyen, notamment, lorsqu’un consommateur d’un État membre de l’Union européenne se trouve prétendument victime d’une pratique commerciale déloyale, alors qu’il serait en itinérance dans un autre État dont il ne partage ni la langue, ni la culture579. Ainsi, si les circonstances de l’espèce commandent au juge d’examiner la réaction typique du consommateur moyen à la lumière des facteurs sociaux, culturels et linguistes, quels seraient les facteurs à prendre en compte ? Ceux du pays d’origine de la prétendue victime ou ceux du territoire sur lequel la pratique a été mise en œuvre ?

298. La seconde option semble s’imposer, sauf à prouver que la pratique litigieuse visait un groupe de consommateurs étrangers dont faisait partie le plaignant. En effet, on pense qu’il ne saurait être question d’examiner une pratique en se basant sur les facteurs propres au pays d’origine de chaque consommateur étranger. Dans le cas contraire, on risquerait d’aboutir, non pas à une appréciation in abstracto mais à une analyse basée sur la personne, les spécificités du consommateur physique, partie au procès580. Cela conduirait alors à une multitude de solutions relativement à une même pratique. Mais dans le même temps, on ne peut s’empêcher de penser qu’en se basant sur les facteurs propres au pays de l’achat, on s’abstient de prendre en compte le fait que ces facteurs ne sont pas les

578

M. DELMAS-MARTY, Pour un droit commun, Librairie du XXe siècle, Seuil, 1989, p. 123. 579

Pour limiter utilement les hypothèses, on supposera également que la pratique ne s’adresse pas à un groupe particulier de consommateurs dont ferait partie notre consommateur fictif.

580

Bien entendu, cette opinion ne vaut pas vraiment s’il s’agit de consommateurs appartenant à un groupe particulièrement ciblé. On verra en effet que dans ce cas, le juge devra s’attacher à des caractéristiques spécifiques aux consommateurs composant le groupe en question.

169 mêmes dans le pays d’origine du plaignant. Que ferait-on alors de l’ambition de pouvoir dire aux consommateurs européens : « où que vous soyez dans l’Union européenne et où que vous achetiez, la situation ne change pas : vos droits essentiels restent les mêmes »581 ? Autant dire que la clarté des concepts juridiques promise au considérant 12 de la directive n’est pas de mise ici. Mais tout compte fait, pour les raisons invoquées plus haut, l’examen de la pratique à la lumière des facteurs propres au pays où elle a été mise en œuvre nous semble être la meilleure alternative.