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LE RECOURS À L’HARMONISATION TOTALE

A. UN CONCEPT D’ORIGINE JURISPRUDENTIELLE

266. Faisant référence au consommateur moyen qu’elle choisit comme standard, la directive en donne une définition. Il en résulte que le critère d’appréciation à prendre en compte est « le consommateur moyen qui est normalement informé et raisonnablement attentif et avisé »511. Cependant, ni ce concept, ni cette définition ne constituent une création du législateur européen puisque, comme le précise justement la directive elle-même, le législateur se base en cela sur la jurisprudence de la Cour de justice. Il ne serait donc vain de se lancer à la recherche d’une authentique définition légale de la notion de consommateur moyen dans le texte de la directive. Il serait, de même, infructueux de rechercher cette notion dans les autres directives puisqu’avant l’avènement de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, il semble qu’aucune directive européenne ne prévoyait, en tout cas pas expressément, le recours au standard de consommateur moyen512. En fait, le législateur n’a fait qu’entériner, dans le cadre de la directive étudiée, la notion de consommateur moyen définie par la Cour de justice513. Par conséquent, le recours à la jurisprudence de cette dernière devrait éclairer davantage sur ce concept514.

511

Considérant 18 de la directive. 512

Nous reviendrons sur cet aspect. 513

V. en ce sens, la Proposition de directive relative aux pratiques commerciales déloyales, COM (2003) 356 final, p. 23.

514

Il faut quand même souligner que le domaine de la protection économique des consommateurs n’est pas le seul dans lequel la Cour de justice s’est référé au concept de consommateur moyen. En effet, dans le domaine de la sécurité des produits, la Cour de justice a fait usage de ce standard, notamment, dans l’interprétation de la directive 65/65/CEE du 26 janvier 1965 sur les médicaments, devenue directive 2001/83/CE du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain. Elle a ainsi jugé qu’un produit peut être considéré comme un médicament, notamment, «chaque fois qu’il apparait, de manière

150 267. Il est précisé au considérant 18 de la directive : « la Cour de justice a […] estimé nécessaire, lorsqu’elle a statué sur des affaires de publicité depuis la transposition de la directive 84/450/CEE515 d’examiner leurs effets pour un consommateur typique fictif ». Nous suivrons donc la piste fournie par le législateur lui-même, à l’effet de constater comment la Cour de justice, dans les affaires impliquant l’application de l’ancienne directive 84/450/CCE516, a eu recours ou a orienté les juridictions nationales vers le modèle de consommateur moyen, afin d’assurer l’équilibre entre les intérêts économiques de l’Union et ceux des consommateurs. Il convient de préciser qu’il ne s’agira pas vraiment d’étudier cette jurisprudence mais simplement d’en rendre compte, ce qui devrait suffire pour atteindre l’objectif annoncé.

même implicite mais certaine, aux yeux d’un consommateur moyennement avisé, que ledit produit devrait - eu égard à sa présentation - avoir un effet tel que décrit par la première définition communautaire » (V. point 18

de l’arrêt CJCE, 30 novembre 1983, Procédure pénale contre Leendert van Bennekom, Aff. 227/82, Rec., 1983, p. 3883 ; Obs. : J.-M. AUBY, Rev. dr. sanit. et soc., 1984, p. 195 et s.). Il n’est pas utile de s’attarder sur cette jurisprudence. Néanmoins, on peut relever que, comme pour les pratiques commerciales déloyales, le juge national doit se baser, ici, sur la perception du consommateur moyen pour déterminer si le professionnel lui a fait apparaître le produit concerné comme étant un médicament. Auquel cas, ce professionnel serait soumis à des obligations très strictes, dont celle de fournir un certain nombre d’informations légales aux consommateurs, afin de leur assurer un niveau élevé de protection (V. considérant 40 de la directive 2001/83/CE, précitée). V., en ce qui concerne le recours au consommateur moyen dans le domaine de la sécurité des produits, notamment, P. NIHOUL, S. MAHIEU, La sécurité́ alimentaire et la réglementa on des

OGM : perspectives nationale, européenne et internationale, éd. Larcier, 2005, p. 36.

515 On précise qu’il s’agit de l’ancienne directive 84/450/CEE du 10 septembre 1984 relative à la publicité trompeuse et à la publicité comparative, modifiée par la directive sur les pratiques commerciales déloyales et abrogée par l’article 10 de la directive 2006/114/CE du 12 décembre 2006, en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative. La protection des consommateurs visée par l’ex-directive 84/450 ayant été reprise par la directive 2005/29/CE, la directive 2006/114 ne vise plus que la protection des professionnels, dans le domaine concerné (V. l’article premier de cette directive).

516

Nous n’ignorons toutefois pas que même avant l’adoption de la directive 84/450, donc avant les affaires auxquelles semble se référer le législateur au considérant 18 de la directive, la Cour de justice avait eu à se référer au concept de consommateur moyen. Il en est ainsi, notamment, dans l’affaire 227/82 du 30 novembre 1983, procédure pénale contre Leendert van Bennekom, Rec., 1983, p. 3883. Au point 18 de cet arrêt, la Cour retenait en effet qu'« un produit est présenté comme possédant des propriétés curatives ou préventives au sens

de la directive 65/65 non seulement lorsqu’il est décrit ou recommande expressément comme tel […] mais également chaque fois qu’il apparait, de manière même implicite mais certaine, aux yeux d’un consommateur moyennement avisé, que ledit produit devrait - eu égard à sa présentation - avoir un effet tel que décrit par la première définition communautaire ».

151 268. À cet effet, on pourrait citer un arrêt en date du 16 juillet 1998517. Dans cette procédure pénale, il était question d’un producteur d’œufs allemand qui commercialisait ses boîtes d’œufs avec la mention « 10 œufs frais – 6 céréales », en y incluant une notice vantant des qualités que ses œufs tireraient de 6 céréales consommées par ses poules. La haute Cour était donc interrogée sur la question de savoir, en substance, si le caractère trompeur des indications figurant sur un produit ainsi que sur la notice de celui-ci devait être apprécié sur la base de « la conception du consommateur moyen informé […] ou celle du consommateur superficiel518 »519. La Cour a rendu sa décision, non sans avoir au préalable rappelé la définition de la publicité trompeuse, telle qu’elle ressortait de l’ex-directive 84/450/CEE520. Elle a également rappelé sa jurisprudence relative à l’appréciation de la tromperie du point de vue du consommateur moyen521. Elle a donc jugé logiquement, puisque dans la droite ligne de cette jurisprudence, que « le juge national doit se référer à l'attente présumée relative à cette indication d'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé »522.

269. Nous aurons l’occasion de nous rendre compte des difficultés qui peuvent être celles des juges, quant à l’application de cette exigence jurisprudentielle devenue légale avec l’avènement de la directive. Mais pour l’heure, il faut tout simplement révéler que dans cet arrêt du 16 juillet 1998, la Cour a apporté des

517 CJCE, 16 juillet 1998, aff. C-210/96, Gut Springenheide et Tusky, Rec., 1998, p. I – 4657, Obs. : M. NICOLELLA, « Publicité trompeuse et consommateur de référence: consommateur de moyenne attention ou moyenne des consommateurs », Gaz. Pal. 1998, II, Som., p. 649 et s. ; M. LUBY, « Droit européen des affaires », Rev. trim. dr.

comm. et dr. écon. 1998, p. 995.

518

On peut penser qu’en utilisant le terme « superficiel », la juridiction de renvoi fait référence à un consommateur qui serait à un niveau d’information inférieur à celui qu’elle qualifie de « consommateur moyen

informé ».

519

Point 15 de l’arrêt précité. 520

Point 29 de l’arrêt. On précise que le texte applicable au principal était le règlement (CEE) N° 1907/90 du Conseil du 26 juin 1990 concernant certaines normes de commercialisation applicables aux œufs, JO L, n° 173 du 6 juillet 1990, p. 5.

521 Point 30 et s. 522 Point 37 de l’arrêt.

152 précisions au concept de consommateur moyen. En effet, dans un arrêt en date du 6 juillet 1995523 sur lequel nous reviendrons, la Cour avait fait référence au standard de consommateur moyen en utilisant la formule simple de « consommateurs raisonnablement avisés »524. On voit donc que dans l’arrêt Gut Springenheide que nous venons d’exposer, elle précise d’avantage la définition de ce standard en faisant référence à « un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé »525. Comme indiqué plus haut, il ne s’agira pas de commenter, ici, cette solution de la Cour. Pour autant, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la nécessité de cette précision. En effet, peut-on considérer un consommateur comme raisonnablement avisé si celui-ci n’est pas dans le même temps normalement informé et attentif ? On peut en douter. Mais il nous semble préférable de différer nos considérations sur ce point et d’y revenir à l’occasion de l’étude des critères qui se dégagent de la définition précitée.

270. Pour l’instant, on retient que le consommateur moyen n’est pas seulement celui qui est raisonnablement avisé car en plus de cette qualité, il doit être raisonnablement attentif et normalement informé. Cette précision, la Cour l’a réaffirmée. Il semble même qu’elle ait « réitéré avec une édifiante constance l’orientation jurisprudentielle formulée dans [l’arrêt Gut Springenheide] relativement à l’application du critère du consommateur moyen »526. Il ressort donc de cette

523 CJCE, 6 juillet 1995, aff. C-470/93, Verein gegen Unwesen in Handel und Gewerbe koln e. v./ Mars GmbH,

Rec., 1995, p. I – 01923, obs. A. RIGAUX, D. SIMON, Europe 1995 Août-Sept. Comm. n° 297 p. 14-15 ; J.-P.

PIZZIO, D. 1995 Som., p. 316 ; F. BERROD, Revue du marché unique européen 1995, n° 3, p. 303-304 ; J.-B. BLAISE, C. ROBIN-DELAINE, « Libre circulation des marchandises. Mesure d'effet équivalent - Etiquetage des marchandises », Rev. aff. eur. 1995, n° 4, p. 84-85 ; C. J. BERR, « Chronique de jurisprudence du Tribunal et de la Cour de justice des Communautés européennes. Libre circulation des marchandises », Journal du droit

international 1996, p. 503-504 ; E. BALATE, « ‘’Simples retouches de subtilité, drôle que ça vous fasse rire, mais

imaginez que vous continuez’’ ou observations à propos des récents arrêts de la Cour de justice en matière de libre circulation des marchandises », Rev. dr. com. belge 1998, p. 278-289.

524 Point 24 de l’arrêt du 6 juillet 1995, précité. 525

Point 37, précité, de l’arrêt du 16 juillet 1998, précité.

526 L. G. VAQUÉ, « La notion de « consommateur moyen » selon la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes », Rev. du dr. de l’UE, 1, 2004, p. 79. V. en ce sens, notamment, CJCE, 13 janvier

153 jurisprudence constante, divers éléments d’appréciation du consommateur moyen, qu’il nous revient de chercher à cerner.

271. Mais avant, il faut préciser que ces éléments ne doivent pas forcément, à notre sens, être considérés comme cumulatifs. En effet, selon les circonstances propres au litige, on pense qu’il peut arriver que le juge doive rechercher à la fois ces différents éléments mais dans d’autres cas, il se peut qu’il n’ait besoin de rechercher l’existence que de l’un ou de l’autre seulement d’entre eux.