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Le choix de l’indice de niveau de vie, utilisé comme variable de rang dans les analyses d’équité, n’est pas anodin et peut influencer les résultats (Lindelow, 2006). Il s’agit de choisir l’indicateur le mieux adapté à notre étude des inégalités en accès et en finance- ment. Depuis les années 2000, de nombreux auteurs se sont intéressés à l’impact de la variable de richesse utilisée pour mesurer les inégalités de santé et notamment la différence entre revenu, dépenses, agrégat de consommation, indice de patrimoine. Contrairement aux Demographic and Health Survey (DHS), l’enquête TLSS est pourvue d’informations sur le patrimoine et les caractéristiques des biens durables des ménages ainsi que d’in- formations détaillées, bien qu’imparfaites, sur les dépenses courantes (quantités et coût total), l’autoconsommation et les prix au niveau local.

Il est communément admis que les indices de consommation sont plus pertinents que les informations incomplètes sur les sources de revenus dans les pays en développement et en transition où une grande partie des revenus sont informels (Deaton et Zaidi, 2002 ; Falkingham et Namazie, 2002). En revanche, le choix entre indice de patrimoine et indice de consommation n’est pas tranché dans la littérature et dépend de l’objet d’étude et de sa temporalité. McKenzie (2005) défend l’indice de patrimoine obtenu par analyse en com- posante principale non seulement lorsqu’il n’y a pas d’information sur la consommation mais aussi pour éviter certains biais des données de dépenses. Cependant, si l’étude porte sur les inégalités de consommation, il recommande de recourir à des données annexes de consommation, une solution privilégiée par Foreit et Schreiner (2011).

Falkingham et Namazie (2002) après avoir noté les limites des indices de dépenses (notamment la difficulté de calculer un loyer équivalent dans des pays sans marché du logement), concluent qu’ils sont à privilégier si le but est de classer les individus selon leur niveau de vie, ce que nous faisons. Bollen et al. (2002) recommande l’indice de patri- moine comme proxy du revenu permanent comme un contrôle. Filmer et Pritchett (2001) recommandent l’indice de patrimoine, moins sujet aux fluctuations conjoncturelles, pour les études longitudinales, ce qui n’est pas le cas de la présente étude.

Bien que Wagstaff et Watanabe (2003) ne trouvent pas de différence significative entre la mesure d’inégalités en santé basée sur l’indice de patrimoine et sur l’indice de consommation dans une étude sur dix-neuf pays, Lindelow (2006), dans son étude sur le Mozambique, montre que les inégalités de recours sont plus importantes lorsqu’on les mesure par rapport à un indice de patrimoine que par rapport à un indice de consomma- tion. Il souligne la sensibilité des résultats et l’importance du choix de la variable. Dans notre cas, la corrélation entre indice de consommation et indice de patrimoine est de 30%, ce qui la situe plutôt dans la fourchette basse des estimations de Wagstaff et Watanabe

(2003). Selon eux, le choix n’a pas d’importance du moment que la différence de rang des ménages en fonction de la variable de classement n’est pas corrélé à la santé. Dans notre cas, elle n’est pas corrélée avec la variable de recours standardisée, mais elle l’est avec les dépenses de santé.

Lorsqu’on étudie l’équité dans le financement, si les ménages sont classés à partir de leur seuls biens durables, le niveau de vie des ménages qui consomment beaucoup de soins et arbitrent donc leur dépenses en faveur de la santé et en défaveur d’autres achats va être sous-estimé. Mais lorsque les dépenses de santé sont catastrophiques et que les ménages font appel à l’endettement ou la vente d’assets, compter les dépenses de santé dans l’indice de consommation totale pourrait surestimer leur niveau de vie. Cependant certains auteurs considèrent que la capacité d’endettement est elle-même un indicateur de solvabilité, de revenus futurs et donc reste corrélée au niveau de vie. Deaton et Zaidi (2002) recommandent d’inclure les dépenses de santé dans l’indice lorsque l’élasticité des dépenses de santé par rapport aux dépenses totales courantes est élevée. Elle est de 1,57, et donc supérieure à 1, dans notre échantillon.

C’est pourquoi, le présent article utilise un indice de consommation totale tenant compte des dépenses de santé, mais dans une version améliorée par rapport à celle de Habibov (2009b, 2011) qui, en se concentrant sur la consommation courante, sous-estime l’écart de capacité-à-payer des soins entre les zones rurales et urbaines. L’indice que nous proposons ajoute aux dépenses courantes, la valeur d’usage des biens durables, l’équivalent loyer - afin de limiter la seule influence de la variable de dépenses de santé - tout en corrigeant des variations spatiales de prix.

Pour construire l’indice de niveau de vie INV nous suivons la méthode de Deaton et Zaidi (2002) et de Lindelow (2006), selon la formule suivante :

IN V =

depenses +∑Iˆb+ ˆL

IndiceP aascheh· Nh

avec ˆυb la valeur d’usage du bien durable b et Ib l’indicatrice de possession de ce bien

par le ménage ; Nh est le nombre de membres dans le ménage h et ˆL la valeur locative

potentielle, ou l’équivalent loyer, du logement de h.

L’équivalent loyer ˆL est plus pertinent que les dépenses directes d’hébergement : en coupe transversale certains ménages viennent d’acheter une maison, d’autres l’ont eu en héritage ou sont en train de la construire. Il s’obtient par régression linéaire du loyer potentiel que les ménages déclarent pouvoir facturer s’ils louent leur maison, sur les ca- ractéristiques des ménages et de leur logement :

où Li est le loyer équivalent déclaré par le ménage i, Xi un vecteur de caractéristiques du

ménage et de son logement : région, type de logement (urbain, appartement), matériaux du sol, présence d’un système de chauffage, d’une salle de bain, terrasse, ascenseur, garage, indicatrice de la proximité de l’école, variable catégorielle de la densité de population et de l’éducation du chef de ménage. Nous procédons à cette estimation sur le groupe de ménages i pour lequel l’enquêteur répond que « le loyer équivalent semble exact », ce qui réduit fortement le sous-échantillon (20% de la population), mais fournit une estimation de meilleure qualité (R2 supérieur à 30%). Puis, nous prédisons l’équivalent-loyer et im- putons les valeurs prédites aux autres, selon la méthode d’imputation déterministe. Nous avons opté pour la méthode d’imputation déterministe au lieu de la méthode d’imputa- tion aléatoire qui générait des termes d’erreur importants et souvent négatifs, entraînant des estimations de niveau de vie agrégées incohérentes avec les statistiques nationales. L’imputation déterministe fonctionne correctement4.

La valeur d’usage des autres bien durables tenant compte de leur dépréciation est esti- mée à partir des déclarations sur l’année d’achat et le prix qu’ils pourraient en demander s’ils le vendaient au moment de l’enquête :

Pb = c + α· Tb

où α estimé par régression de Pb (le prix actuel du bien b) sur Tb (l’âge du bien) est une

estimation de la diminution moyenne de la valeur avec le temps (la différence entre le taux de dépréciation et le taux d’inflation, δ− π). Nous approximons la valeur d’usage ˆυb par

le produit α· Pb5.

L’Indice de Paasche est calculé pour chaque ménage comme l’inverse de la somme des indices de prix (moyenne nationale/médiane locale) de chaque bien b pondérée par la part du bien b dans la consommation du ménage h, selon la méthode de Deaton et Zaidi (2002). Il permet de corriger la mesure de niveau de vie à la baisse pour des prix localement plus élevés. (Pour la formule détaillée voir Deaton et Zaidi (2002), p. 9)

La plupart des auteurs préconisent d’utiliser plutôt la mesure de consommation per capita, lorsque les dépenses en logement sont faibles et que la nourriture tient une grande part dans le budget, ou alors d’intégrer de faibles économies d’échelle en mettant un exposant 0,75 à Nh (Montgomery et al., 2000 ; Ravallion, 1992). Dans ce chapitre, nous 4. La représentativité du sous-échantillon, par rapport à l’ensemble de la population, est satisfaisante sauf entre habitat urbain et rural. Il y a un peu plus d’urbains que de ruraux parmi les estimations correctes. Le risque est donc de surestimer légèrement le revenu des ménages ruraux auxquels nous avons imputé l’équivalent-loyer, ce qui pourrait entraîner une sous-estimation des inégalités de revenu.

5. La méthode concurrente de la valeur ajustée à la durée de vie, à partir d’une estimation de durée de vie moyenne donne des valeurs d’indice de richesse plus élevées mais conservent globalement le classement et aboutit à des résultats très comparables.

retenons la mesure per capita, après avoir tenté aussi l’introduction de faibles économies d’échelle qui ne change pas les résultats6.