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1. Histoire socioéconomique du territoire de la Tuque et construction de la filière forêt-bois actuelle

1.1. Histoire du territoire et des activités économiques en Mauricie

1.1.1. La Mauricie, une région ressource

D’une manière générale, l’espace québécois a la particularité d’être divisé en trois ensembles. Le Sud, très peuplé, regroupe la majorité des agglomérations les plus importantes du Québec, le long du fleuve Saint Laurent. Le Nord, très peu peuplé,

est souvent désigné par l’appellation du désert québécois. Enfin, une zone

intermédiaire, tour à tour dénommée région-ressource, périphérie-ressource ou

staples1 pour les anglophones (Fournis, Fortin, Prémont, et al., 2013) (Voir Encadré

7). La région administrative de la Mauricie, en orange sur la carte ci-dessous, est considérée comme le berceau de l’industrialisation québécoise à travers la

prépondérance de

l’industrie forestière, mais

également le

développement des

industries chimiques,

métallurgiques et du

textile. La majorité de la Mauricie est sous couvert forestier, mise à part la partie Sud qui est privée et urbanisée autour de l’agglomération de Trois

Rivières. Ces zones

urbaines, conjointement à quelques zones agricoles

permanentes, ne

représentent que 4% du territoire de la Mauricie.

Carte 13 : Localisation de la région de la Mauricie au

Québec. Réalisé par nos soins

1 Cette notion, controversée dans les mondes politiques et scientifiques, présente néanmoins

l’avantage de considérer cet espace comme un espace d’action basé sur la combinaison d’un héritage industriel et l’exploitation de ressources naturelles. Il constitue en cela une interface de tensions entre

les deux autres modèles spatiaux québécois : le nord-désert et le sud-centre agglomération (Fournis, 2018).

176 A un niveau local, ces régions administratives sont ensuite subdivisées en entités administratives régionales appelées municipalités régionales de comté (MRC) et territoires équivalents, qui sont des collectivités territoriales particulières disposant des mêmes pouvoirs que les MRC. Ces entités administratives assurent la gestion locale de municipalités et disposent d’un pouvoir législatif et juridique délégué par le gouvernement provincial du Québec. Les MRC et territoires équivalents sont ainsi chargés de la schématisation de l’aménagement du territoire et doivent également veiller à son application. La Mauricie est ainsi subdivisée en 3 MRC (Mékinac, Maskinongé et les Chenaux) ainsi que 3 territoires équivalents (la Ville de Trois Rivières, la Ville de Shawiningan et l’agglomération de la Tuque).

Carte 14 : Carte des MRC de la Mauricie et localisation du territoire de la Tuque.

Réalisé par nos soins

Le territoire de la Ville de la Tuque, d’une superficie de 33 881 km², soit un peu plus

grand que la Belgique, est essentiellement forestier et public. L’agglomération de la

Tuque comprend la ville de la Tuque, qui comptait 11 000 habitants en 2016, ainsi que deux municipalités de petite taille : La Bostonnais (635 habitants) et Lac-Edouard (191 habitants). Le territoire de la Tuque englobe également deux réserves autochtones Atikamekws : Wemotaci (1213 habitants) et Obedjiwan (2019 habitants) qui sont situées en plein cœur de la zone du réservoir Gouin. La troisième réserve Atikamekws se situe dans la région administrative de Lanaudière à l’Ouest. Enfin, la dernière communauté, celle de Coucouache, a été réduite à 4 ha suite aux inondations qui ont suivi la construction du barrage de Rapide Blanc en 1934 et n’est plus habitée. Située en plein cœur du bassin versant du Haut Saint Maurice, l’agglomération de la Tuque est en quelque sorte une ville-territoire, principalement forestière : le couvert forestier représente 85% de sa superficie (28 421,48 km2). La Mauricie, et plus particulièrement encore le territoire de la Tuque, est une illustration de ces régions ressources, dont l’économie s’est construite autour de l’exploitation et l’exportation de la ressource en bois. Selon Fournis et al., « Le secteur de la forêt est sans doute le secteur dont le régime institutionnel porte la plus

forte empreinte de l’économie liée aux ressources premières (staples economy). » (Fournis, Fortin, Prémont, et al., 2013). En effet, l’importante superficie forestière

dont dispose le Québec a imposé de facto le secteur forestier comme secteur

économique dominant dans la grande majorité des régions ressources québécoises.

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Encadré 7 : Les Régions ressources

D’une manière générale, une Région ressource est caractérisée par 1) une faible densité de population, localisée de manière diffuse ou dans des villes de taille restreinte ; 2) « un rapport étroit avec le milieu naturel » (prégnance de l’identité rurale, présence de ressources naturelles ou économie du travail saisonnier) ; 3) une économie déséquilibrée par la dépendance aux marchés extérieurs, l’absence de concentrations d’industries et d’une gamme large de services avancés (cf. le GRIDEQ: S. Côté (2013)) et le triangle population – environnement – économie. Cependant, plusieurs éléments font débat dans la littérature canadienne quant aux trajectoires de ces régions ressources : le développement économique, la gouvernance des ressources naturelles, le pouvoir territorial.

Lorsque l’on considère le développement économique, ces régions ressources

seraient l’objet, pour Côté et Proulx, de « dynamiques localisées de développement

régional, constitutives à la fois de trajectoires générales et de succès différentiels (cf.

l’analyse de la trajectoire des régions-ressources, ou des logiques économiques

(extraction, production, consommation) dans l’espace (Côté, Proulx, 2002). » (Fournis, 2018). Après une apogée économique post Seconde Guerre mondiale, le modèle fordiste perd de sa superbe à cause d’un manque de flexibilité et d’un intérêt moindre pour les ressources naturelles avec, cependant, dans certains cas, l’apparition de méga-projets « post-staple » (mines, gaz de schistes).

Ceux-ci, en ayant un fort impact sur l’exploitation des ressources naturelles locales, redéfinissent les modes de gestion de la ressource entre des acteurs localisés et des entreprises multinationales, porteuses de ces méga-projets. Cette redéfinition de la gouvernance sur les ressources naturelles est également à nouveau questionnée par la réforme de 2014, avec la suppression des conférences régionales des élus (CRÉ). Ces institutions publiques représentaient les instances de gouvernance des régions

administratives du Québec, et leur suppression a eu pour effet un « déplacement du

centre de gravité du pouvoir territorial vers les élus locaux, avec le transfert des

responsabilités régionales vers les MRC. »

Selon Fournis, cette modification du pouvoir public territorial a contribué à un affaiblissement de la régulation démocratique de la gouvernance des ressources territoriales, au profit des grandes entreprises exploitatrices. « La politique actuelle correspond plutôt au dérèglement du « capitalisme démocratique », de moins en moins démocratique (apte à répondre aux revendications politiques de protection et de redistribution sociales) et de plus en plus capitaliste (favorable aux détenteurs des ressources de production) (Streeck, 2013) ; au Québec, ce déséquilibre menace le

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Nous allons à présent recomposer l’histoire socioéconomique du territoire et

déterminer en quoi l’héritage de la filière forêt-bois représente le pivot central de la façon dont a été construite la région ressource de la Tuque. Puis, nous identifierons les acteurs actuels de la filière forêt-bois afin de décrire avec précision la structure ainsi que les modes de gouvernance de la ressource et du territoire relatifs aux particularités environnementales et sociales de la Tuque. Cela nous permettra de comprendre les dispositifs institutionnels et gouvernementaux impliqués dans la structure et la trajectoire de la filière forêt-bois mauricienne.

1.1.2. De la traite des fourrures aux prémices de l’industrialisation