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Mise en place de l’hégémonie de l’industrie papetière au Québec : Evolution des différents régimes d’exploitation forestière

FORESTIERS ET DE LEUR GOUVERNANCE

Carte 3 : Ecozones forestières au Québec (MFFP, 2018e)

2.1. Gouvernance de la forêt canadienne et québécoise

2.1.1. Mise en place de l’hégémonie de l’industrie papetière au Québec : Evolution des différents régimes d’exploitation forestière

Le régime forestier est, selon Howlett, bien plus qu’une série de lois et de règlements (Howlett, 2001). Blais et Boucher définissent les régimes forestiers comme « une

vision et une attitude envers la forêt » qui correspond à « un mode d’accessibilité aux

ressources, [aux] modalités de leur utilisation et de leur renouvellement, [à] la prise

en compte des acteurs en présence et de leur capacité d’intervention » (R. Blais &

Boucher, 2008). Au Québec, les différents régimes forestiers ont permis à l’industrie papetière, dès sa naissance sur le territoire, de disposer d’une large mainmise sur la gestion de la ressource.

Au début du 19ième siècle, l’industrie forestière se développe au Canada sans pour autant être régulée. Le principe du « laisser faire » prédomine avec la vision d’une forêt capable de se régénérer naturellement en procurant de la ressource en bois de manière illimitée. Puis, en 1826, le pouvoir de législation sur le domaine forestier est accordé au gouvernement colonial par la Couronne Britannique. De 1826 à 1849 sera instauré un système de licences délivrées par le Deputy Timber Surveyor qui impose aux exploitants forestiers de recenser leurs territoires de coupe et de démontrer leur citoyenneté britannique (R. Blais & Boucher, 2013). En 1835, un système de redevances à l’Etat est mis en place sans pour autant instaurer de système de contrôle. La couronne britannique n’intervenait pas dans la gestion du territoire tant qu’elle était suffisamment approvisionnée en bois. Le début du 19ième siècle est alors marqué par l’exportation de pins blancs par de grands exploitants forestiers privés à destination de la Grande Bretagne (Gauthier & Saucier, 1999; Lortie, 1979).

Ce n’est qu’à partir de 1850 que les politiques forestières se multiplient en fonction des provinces canadiennes. Ces réglementations tentent d’encadrer l’industrie forestière qui se développe et prend une place grandissante dans l’économie canadienne et québecoise. L’administration coloniale, consciente des possibilités de revenus liés à cette ressource, décide alors de légaliser le commerce du bois et de réguler les conflits territoriaux que les activités de l’industrie forestière engendrent avec le déploiement de l’agriculture et de la colonisation. Ces réglementations privilégient la colonisation, le déploiement de zones agricoles en périphérie de zones urbanisées. Elles favorisent également la concentration du pouvoir de l’industrie

114 forestière aux mains des grandes entreprises, permettant ainsi la création précoce de monopoles forestiers (Chiasson & Leclerc, 2013; Gassama, 2016). La puissance de ces monopoles s’étend au-delà de la sphère économique et permet la mise en place d’une règlementation visant à sauvegarder les territoires forestiers afin de garantir les approvisionnement en bois sur le temps long (R. Blais & Boucher, 2008). Parallèlement à ces réglementations qui se développent à partir de 1850, se met en place le système de concessions au Québec. Ce système accorde alors des garanties d’approvisionnement sur 50 ans à une poignée de grandes compagnies forestières, il comporte peu de contraintes pour les industriels bénéficiares de ces garanties, si ce n’est de payer des droits de coupe à l’Etat canadien, dont la constitution se finalise en 1867. Les scieries de petite taille, entièrement dépendantes de ces compagnies forestières pour leur approvisionnement, ont été très tôt, mais non sans heurts, intégrées verticalement à la filière forestière dominée par le secteur des pâtes et papiers à destination des Etats-Unis (Barré & Rioux, 2012; Paille & Deffrasnes, 1988). Pour faire face à l’épuisement du stock de pins blancs et répondre aux opportunités qu’offrent les Etats-Unis pour le secteur des pâtes à papiers, ces compagnies forestières se dirigent vers d’autres essences comme le bouleau jaune. La première partie du XXe siècle est marquée par l’amélioration des techniques de production forestière de type fordiste, notamment par l’augmentation de la productivité basée sur des logiques d’économie d’échelle. Ainsi soutenue par le régime des concessions qui durera un peu moins d’un siècle et demi, l’hégémonie des industriels papetiers, dénommés « les barons du bois », restera une caractéristique des territoires forestiers et de l’ensemble de la filière forêt, notamment au Québec (Gaudreau, 1988; Hamelin & Roby, 1971).

La standardisation de la production fait appel à des avancées scientifiques confortées par l’apparition des premières écoles d’ingénierie forestière en Amérique du Nord (R. Blais & Boucher, 2013). L’association canadienne de foresterie est créée en 1901 sur le modèle de l’American Forestry Association aux Etats-Unis, la première faculté de foresterie au Canada est implantée à Toronto en 1907, suivie par celle du Nouveau Brunswick en 1908, et la première école de foresterie fait son apparition au Québec en 1910. Malgrè une loi obligeant les exploitants forestiers à présenter leurs plans et leurs méthodes de coupe, notamment dans les forêts du Nord, l’industrie papetière domine la forêt publique. Des larges concessions continuent d’être octroyées et, en 1930, 91% des licences de coupe appartenaient à l’industrie papetière. Leur territoire de coupe s’agrandit également avec le développement de la mécanisation forestière permettant l’instauration des coupes rases de grandes envergures. Dans ce contexte où le modèle de production industrielle intensif est dominant, les populations locales expriment leurs préocuppations environnementales et revendiquent des accès possibles aux ressources forestières par le développement de nouveaux usages.

Afin de contrôler davantage l’aménagement forestier (Brochu, 1990), et notamment

de rendre compatibles une exploitation intensive avec une meilleure durabilité de la ressource (Gassama, 2016), le système de concessions sera définitivement aboli en 1974. Il sera remplacé au Québec en 1987 à la suite de l’abrogation de la Loi sur les forêts par le système des contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF). « À travers les CAAF, l’État visait à mettre en pratique le principe de

rendement soutenu (Bouthillier, 2001) voulant que les volumes de bois coupés ne doivent pas dépasser la capacité de renouvellement de la forêt. Dans ce contexte, ce

sont les industriels mandataires de CAAF qui se chargent de l’aménagement en

fonction d’un ensemble de normes définies par le ministère des Ressources

115 d’approvisionnement sont limités à 25 ans, mais révisables tous les 5 ans avec néanmoins une obligation de remettre en production les zones exploitées. Le concept de « rendement soutenu » prévaut dans les CAAF afin de maximiser les rendements tout en s’assurant de la reproductibilité de la ressource ligneuse sur le territoire public. Le territoire forestier est alors organisé en Unités d’Aménagement Forestier (UAF) comme celles que nous connaissons aujourd’hui. Les UAF sont subdivisées en Unités territoriales d’analyse de 1000 à 2000 km², subdivisées ensuite en compartiments d’organisation spatiales (COS). Ces subdivisions prennent en compte la topologie et les enjeux locaux (montagne, pentes, écologique et faunique) pour une bonne redistribution des coupes.

La gouvernance de la ressource reste en faveur de l’industrie centrée sur une

logique d’approvisionnement, avec cependant davantage de contrôles et

d’obligations de sauvegarde de la ressource. L’exclusivité territoriale des concessions n’est plus de mise actuellement : plusieurs détenteurs de CAAF peuvent coexister sur un même territoire et des zones sont réservées aux loisirs et à la protection faunique. Cependant, ce système de CAAF n’a pas remis en question l’hégémonie du secteur papetier qui continue à maîtriser la filière forêt-bois en intégrant verticalement l’activité de gestion et d’aménagement forestier et en bénéficiant d’un « contrôle quasi absolu du territoire forestier et de l’usage de ses

ressources » (Barré & Rioux, 2012). Les contrats CAAF étaient effectivement

réservés aux industriels forestiers propriétaires d’usines de transformation leur donnant un droit d’accès exclusif à la matière ligneuse indépendamment du droit d’accès au territoire.

Le 1er avril 2013 au Québec, la loi sur l’aménagement durable du territoire forestier

remplace la loi sur les forêts de 1986 en supprimant le système de CAAF et en

instaurant des Garanties d’Approvisionnement (GA) (MFFP, 2015). Les GA

concernent uniquement le droit d’achat annuel d’arbres sur pied, représentant un certain volume de bois pour l’entreprise, qui doit alors réaliser elle-même les opérations de coupe (RNQuébec, 2013). Selon la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier (LADTF), ces garanties « confère[nt] à son bénéficiaire le droit

d’acheter annuellement un volume de bois en provenance de territoires forestiers du

domaine de l’État d’une ou de plusieurs régions, et ce, en vue d’approvisionner l’usine de transformation du bois pour laquelle cette garantie est accordée. La garantie indique les volumes annuels de bois, par essence ou groupe d’essences,

qui peuvent être achetés annuellement par le bénéficiaire, en provenance de

chacune des régions visées par la garantie ». Les GA, et donc les volumes de bois

autorisés, ne sont garantis aux bénéficiaires que pour une période de 5 ans, renouvelables selon certaines modalités. Les bénéficiaires doivent également reverser une redevance au gouvernement québécois pour chaque m3 de bois afin de conserver sa garantie d’approvisionnement (RNCan, 2014).

116 Tableau 5 : Récapitulatif des successions de régimes forestiers au Canada et

au Québec. Adapté de (R. Blais & Boucher, 2008, 2013)

2.1.2. Tentative de récupération de la gouvernance forestière par le