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Le déclin des activités forestières et industrielles entrainant la structuration de deux filières territoriales

1. Histoire socioéconomique du territoire de la Tuque et construction de la filière forêt-bois actuelle

1.1. Histoire du territoire et des activités économiques en Mauricie

1.1.4. Le déclin des activités forestières et industrielles entrainant la structuration de deux filières territoriales

À partir de 1950, le contexte économique national est au déclin et touche également la Mauricie. Le climat social est tendu, le taux de syndicalisation des ouvriers augmente et les ressources forestières locales s’épuisent. En effet, la problématique de l’éloignement des ressources fait son apparition, du fait des nombreuses coupes rases effectuées autour des usines et dont la régénération n’est pas arrivée à terme. Face à ce climat de crise, en plus de la diminution de la demande en papier provenant des Etats-Unis, la Brown Compagnie revend alors tous ses actifs à la

Canadian International Paper (CIP)1 en 1954. Malgré tout, cette dépendance

vis-à-vis du marché américain s’accentue jusque dans les années 1970-1975. Mais,

lorsque l’industrie papetière américaine se développe de manière fulgurante dans les

années 1970, les Etats-Unis diminuent leurs importations, remettant en cause les débouchés de l’industrie papetière canadienne. En quête de gain de productivité pour maintenir sa production et pour conquérir de nouveaux marchés, le procédé thermomécanique fait alors son apparition au Québec. Afin de fabriquer cette nouvelle pâte compétitive, le procédé thermomécanique nécessite la transformation du bois en copeaux. Les scieries québécoises sont alors rapidement intégrées à l’industrie papetière qui sécurise son approvisionnement et diversifie sa production avec du bois d’œuvre. Cette stratégie d’économie de gamme pour contrer l’industrie américaine renforce l’hégémonie des industries papetières au sein de la filière forêt-bois québécoise et sur la gouvernance du territoire, notamment en matière de gestion forestière. Cette stratégie s’avère cependant insuffisante. L’instauration des

CAAF Contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (Voir Chapitre 2

Section I.2. p. 113), qui réduit les contrats de coupe à 25 ans, a largement contribué à fragiliser l’approvisionnement des scieries et des industries papetières. Ainsi, de nombreuses usines en Mauricie procèdent à des licenciements massifs et cessent leurs activités (Hardy, 2001).

Depuis 1977, de nombreuses fermetures d’usines, dont la St Maurice Paper à Trois Rivières, marquent ainsi la fin de l’ère papetière trifluvienne. Puis, la crise de

l’industrie papetière des années 2000 (Voir Chapitre 2 Section II.1. p.130) sonne le

glas de cette industrie. L’usine de la CIP ferme ses portes, le 29 Juillet 2000, puis c’est au tour de la Belgo à Shawinigan en 2007, tandis que la St Lawrence, après avoir été la propriété de Domtar en 1961, est rachetée par Kruger en 1973 (Dion, 1981). Des 7 usines papetières construites sur le territoire de la Mauricie, seules 3 sont encore en activité. (Voir Tableau et Carte pages suivantes).

1 La CIP revendra l’usine de la Tuque. Elle passe d’abord entre les mains de la société Canadian

Pacifique, en 1981, malgré le fait qu’elle conserve le nom de CIP. Puis, c’est au tour des Produits

Forestiers Canadien Pacifique (PFCP) - issu de la fusion entre la CIP et Great Lakes Paper en 1988 - de posséder cette usine. Le site de pâte et papier est ensuite racheté par Avenor, en 1993, puis par

les Cartons Saint Laurent, en 1994, qui entreprennent la conversion de l’usine de pâte et papier en usine de production d’emballage et de papier carton. Enfin, Smurfit Stone rachète l’usine, en 2000,

une compagnie qui est elle-même rachetée par RockTenn, en 2011, et, enfin, par Westrock, une compagnie américaine, dont le siège social est situé à Atlanta en Géorgie, qui provient de la fusion de RockTenn et de MeadWestVaco (Desbiens, 2017).

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1 AbitibiBowater

2 Abitibi Consolidated (Belgo Division)

3 Québec and Saint Maurice Industrial Company 4 Canadian Pacifique

5 Afnor

6 Cartons Saint Laurents 7 Rockten

8 Union Bag Pulp and Paper …

L'usine a changé de mains plusieurs fois, passant de la Saint-Maurice Paper Company à la Saint-Maurice Valley Corporation, à la Canada Power Corporation, puis à la Consolidated Paper Company et, enfin, à la Consolidated Bathurst Corporation.

Tableau 16 : Chronologie des différentes usines papetières en Mauricie : mise en service, changement de propriétaire et fermeture. Réalisé par nos soins Nom de L'usine Ville

1890 1891 1892 1893 1894 1895 1896 1897 1898 1899 1900 1901 1902 1903 1904 1905 1906 1907 1908 1909 1910 1911 1912 1913 1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1922 1923 1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935 1936 1937 1938 1939 1940 1941 1942 1943 1944 1945 1946 1947 1948 1949 1950 1951 1952 1953 1954 1955 1956 1957 1958 1959 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 1968 1969 1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018 2019

Usine Laurentide Grand-mère Laurentide Pulp & Paper Compagny 1 Résolu

Usine Belgo Shawiningan Belgo-Canadian Pul and Paper Compagny 2

Usine de la Tuque La Tuque 3 Brown Corporation CIP 4 PFCP 5 6 Smurfit 7 Westrock

Usine Saint Maurice Trois Rivières 8 Saint-Maurice Paper Compagny …

Usine Wayagamak Trois Rivières Wayagamack Pulp and Paper Kruger

Usine CIP Trois Rivières CIP

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Carte 15 : Répartition des usines papetières en Mauricie : anciennes usines et papetières en activité en Mauricie. Réalisé par nos soins

Usine papetière en activité Usine papetière fermée

La Tuque (WestRock)

Wayagamak (Kruger)

Saint Lawrence (Kruger)

Saint Maurice Laurentide

Belgo

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1.2. Les acteurs de la filière forêt-bois en Mauricie

La filière forêt-bois en Mauricie est ainsi le secteur économique autour duquel se sont structurées les agglomérations urbaines et les autres activités industrielles. Située sur un territoire immense et relativement isolé des agglomérations principales de Québec et de Montréal, la filière forêt-bois en Mauricie se présente aujourd’hui comme un tissu clairsemé d’industries, dont l’approvisionnement est organisé à partir de 5 unités d’aménagement forestier (UAF). Ces unités territoriales ne coïncident pas avec les limites administratives du territoire et empiètent légèrement sur les régions administratives Lanaudière, des Laurentides, du Nord-du-Québec, du Saguenay–Lac-Saint-Jean et de la Capitale-Nationale (Voir Carte 16).

Au regard de la répartition des industries sur le territoire, il est possible de distinguer deux filières forêt-bois territorialisées en Mauricie. Tout d’abord, la filière du territoire de la Tuque, dont les industries sont concentrées autour de l’agglomération du même nom, avec quelques scieries dispersées dans les lointains territoires du réservoir Gouin et de Parent. Ensuite, une filière forêt Trifluvienne, concentrée vers le fleuve Saint Laurent, autour de l’agglomération de Trois Rivières (Voir Carte 16). Malgré un territoire immense et une histoire socio-économique construite autour de l’exploitation forestière, ces deux filières forêts sont composées d’un très faible nombre d’entreprises. En effet, seules 8 usines forestières sont présentes sur le territoire de la Tuque et 7 usines sont concentrées autour de Trois Rivières. Chaque filière territorialisée possède son industrie papetière : Westrock à la Tuque et les deux usines de Kruger à Trois Rivières.

La segmentation entre les deux filières territoriales est cependant partagée entre les mêmes acteurs, notamment pour le secteur du sciage, et est marquée par la montée en puissance d’un acteur structurant : Rémabec (Voir Encadré 8).

Au niveau du sciage, PF Résolu possède deux scieries au sein de la filière forêt-bois : La Tuquoise, dont une en commandite avec la nation Atikamekw, celle d’Opitciwan. Arbec, appartenant au groupe Rémabec, ainsi que la Compagnie Commonwealth Plywood sont réparties sur les deux filières La Tuquoise et trifluvienne. Commonwealth Plywood possède une scierie dans chaque territoire forestier industriel. Pour Arbec, deux scieries sont en opération à la Tuque et une scierie est installée dans la zone trifluvienne. Le groupe Rémabec a également investi les deux filières mauriciennes avec des usines spécialisées : une usine de panneaux et une usine de fabrication de bois de palette dans la filière trifluvienne, ainsi que les Industries John Lewis de fabrication de bâtonnets en bois, installées aux abords de l’agglomération de la Tuque. Enfin, Xylo Carbone, fabricant de charbon de bois, est l’entreprise la plus récente. Créée en 2017, elle s’est installée à Saint Adelphe, à proximité de la ville de Trois Rivières (Voir

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Encadré 8 : La montée en puissance de Rémabec

Le géant Rémabec, fondé en 1988, s’est considérablement développé au Québec, et particulièrement en Mauricie, pour devenir le plus grand entrepreneur forestier au niveau provincial. Le groupe couvre pratiquement toute la filière forêt-bois avec ses 27 filiales, sa division manufacturière regroupant les industries John Lewis et les 7 scieries de ARBEC, ainsi que sa division de fabrication d’huile pyrolytique ARBIOM. L’industrie John Lewis représente un cas particulier puisqu’il s’agit d’une usine de fabrication de batônnets à destination de l’industrie agroalimentaire (friandises glacées, saucisses pannées et touillettes à café), un marché de niche pour lequel John Lewis occupe le tiers du marché nord-américain (MédiaQMI inc., 2015). Selon le site de Rémabec, 100% du bois entrant est utilisé dans l’usine, les sous-produits revendus en partie à Westrock et les écorces sont utilisées comme combustibles dans les chaudières nécessaires au fonctionnement interne de l’usine. Rebec est la filiale la plus importante, qui représente la plus grande société de gestion d’opération forestière au Québec. En 2015, Rebec a racheté 4 scieries à Kruger. Rémabec devient un acteur incontournable en Mauricie.

Tableau 17 : Principales industries forestières présentes sur le territoire de la Mauricie. Réalisé par nos soins d’après PAFIT 2018-2023

Nom de l'entreprise Filière forêt - bois Localisation Type de produits Essence GA (m3)

WestRock La Tuquoise La Tuque Carton d'emballage et alimentaire Bouleau jaune 288 000

Industries John Lewis (groupe Rémabec) La Tuquoise La Tuque Bâtonnets en bois Bouleau jaune et Bouleau blanc 40 400 Compagnie Commonwealth Plywood La Tuquoise La Tuque Sciage de feuillus Bouleau jaune et Bouleau blanc 40 700 Produits forestiers Résolu La Tuquoise La Tuque Sciage de résineux Sapin, épinette, pin gris, mélèze 396 850 Arbec (groupe Rémabec) La Tuquoise La Tuque - Parent Sciage de résineux Sapin, épinette, pin gris, mélèze 457 850

Arbec (groupe Rémabec) La Tuquoise La Tuque Poteaux Pins et pin gris 14 150

Scierie Opitciwan (PF Résolu et Atikamekws) La Tuquoise La Tuque Sciage de résineux Sapin, épinette, pin gris, mélèze 111 650 Transfobec Mauricie (Westrock) La Tuquoise La Tuque Paillis érables, hêtre, chêne, tilleul, bouleau jaune 10 000 Produits forestiers Arbec (groupe Rémabec) Trifluvienne Shawiningan Panneaux gaufrés à lamelles orientées peuplier 188 900 Compagnie Commonwealth Plywood Trifluvienne Shawiningan Placages de bois Bouleau jaune et Bouleau blanc 17 800 Arbec (groupe Rémabec) Trifluvienne Saint Roch de Mékinac Sciage de résineux Sapin, épinette, pin gris, mélèze 376 100 Xylo Carbone Trifluvienne Saint Tite Charbon de bois érables, hêtre, chêne, tilleul, bouleau jaune 16 300 Boiseries Savco (groupe Rémabec) Trifluvienne Saint Adelphe Bois de palette et copeaux de bois Feuillus durs 52 550 Kruger Wayagamack Inc Trifluvienne Trois Rivières Papier Kraft papier couché pâte à papier S.O Kruger Trois Rivières Trifluvienne Trois Rivières Papier journal carton et fibre de cellulose 100% papier recyclé depuis 2017 S.O

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Carte 16 : Localisation des industries du bois et UAF en Mauricie. Adapté de (MFFP 2016)

189 L’intégration verticale dans la filière forêt-bois, les interdépendances entre industries et l’extra-territorialisation des approvisionnements sont courantes au Québec, elles s’illustrent à des échelles territoriales variables. A l’échelle d’un même site industriel,

la scierie de Rémabec à Parent approvisionne en connexe la nouvelle unité d’huile

pyrolytique Pyrobium1 qui a été construite au même endroit. Il en est de même pour

la scierie d’Opitciwan (PF Résolu en partenariat avec la nation Atikamekw) qui est associée à une chaufferie collective pour la communauté Atikamekw qui utilise principalement le pouvoir calorifique des écorces.

Dans le cas de PF Résolu, les deux scieries (Rivière aux Rats et Opitciwan) leur

permettent de sécuriser l’approvisionnement de leurs usines papetières situées hors

région mauricienne. Les copeaux des scieries La Tuquoise alimentent essentiellement les industries de pâte et papiers du groupe Résolu à Saint Félicien, près du lac Saint Jean, Gatineau, près d’Ottawa et en Ontario. Kruger, au cœur de la filière forêt trifluvienne, laquelle a cédé des scieries situées sur le territoire de La Tuque à Rémabec en 2015, dans une stratégie de reconcentration des activités sur le cœur de métier papetier de Kruger. Kruger a ainsi misé sur un approvisionnement 100% basé sur les fibres recyclées depuis 2017 pour son usine de Trois Rivières qui approvisionne en pâte thermomécanique son usine de papier et carton de Wayagamak, sur le territoire trifluvien, ainsi que son usine hors région à Brompton, près de Sherbrooke.

Au niveau de la filière forêt-bois trifluvienne, il existe deux petites usines de panneaux qui opèrent à Shawiningan et à Louisville (MRC Maskinongé) ainsi que deux usines de granulés de petite taille qui se situent également à Shawiningan et à Saint Paulin (MRC Maskinongé) et qui, ne disposant pas de garanties d’approvisionnement sur les territoires forestiers de Mauricie, s’approvisionnent en copeaux des scieries locales. Les connexes de scieries de Commonwealth Plywood sont, quant à eux, redirigés prioritairement vers une autre entreprise, celle de Westrock, pour la fabrication de carton d’emballage. Les revenus relatifs à la vente de ces copeaux à Westrock représentent 40% environ de leurs revenus et témoignent d’une interdépendance forte entre ces deux industries. Mais

l’approvisionnement de Commonwealth Plywood ne suffit pas et Westrock récupère

également les sous-produits de l’usine John Lewis, appartenant à Rémabec. Westrock s’approvisionne en copeaux véhiculés par train et en camions à 37% en Mauricie. La compagnie extra-territorialise le reste de son approvisionnement à hauteur de 30% au lac Saint Jean, 18% dans le Nord, 6% dans la côte nord, 5% en Abitibi et le reste Capital national, Lanaudière, Laurentides, Chaudières-Appalaches.

Aucun approvisionnement n’est effectué en forêts privées. Cependant, en Mauricie,

une vigilance est faite sur la consommation du bois la plus localisée possible. En 2014, PF Résolu avait pour objectif de racheter l’usine, de la fermer, pour transférer les garanties d’approvisionnement liée à celle-ci vers ses usines situées au Lac Saint

jean. Le maire et les élus de conseil d’agglomération s’étaient alors opposés à cette

opération et ont favorisé l’acquisition de l’usine de Parent par Rémabec, garantissant

un maintien des activités de l’usine et des garanties d’approvisionnement à destination de la filière forêt-bois La Tuquoise.

Pourtant, la ressource forestière publique de la région de la Mauricie n’est pas exclusivement réservée aux industries de la région.

1 L’unité aurait dû être opérationnelle, fin 2016. Mais le projet se fait discret dans les médias depuis

qu’a éclaté l’affaire de conflit d’intérêt provoquée par une subvention de 3 millions de $ octroyée, en

juillet 2016, par le ministère des transports. Yvon Nadeau, principal actionnaire de Pyrobium, est, en effet, un proche conseiller du ministre des transports, Monsieur Lessard, qui a cependant été blanchi, en décembre 2016, pour cette affaire (Croteau, 2016).

190 Ainsi, la région de la Mauricie présente-t-elle la particularité d’avoir deux filières forêt-bois territorialisées mas interconnectées entre elles, et portées par des acteurs similaires au niveau du sciage et à travers le groupe Rémabec, acteur structurant de la région et intégré verticalement. Dans cette configuration, les questions

d’approvisionnement en bois (volume et mode de transport) sont déterminantes pour

ces filières forêt-bois. Composées d’un faible nombre d’acteurs disposant d’infrastructures industrielles performantes et suffisamment compétitives pour conserver leurs places sur les marchés, les filières forêts bois en Mauricie sont moins soumises aux enjeux d’innovations technologiques qu’aux enjeux d’approvisionnement.

Figure 38 : Répartition des acteurs économiques en Mauricie selon les différents secteurs de la filière forêt-bois. Réalisé par nos soins.

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2. Les challenges de l’approvisionnement en Mauricie :

une ressource hétérogène et un territoire multi usage

2.1. Structure de l’approvisionnement de la filière