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Conséquences sur les marchés aval de l’énergie et des ressources biomasse en amont de la filière

la filière papetière

3.2. Conséquences sur les marchés aval de l’énergie et des ressources biomasse en amont de la filière

Les contrats de rachat en France comme au Québec sont basés sur le temps long et sont fixés pour une durée de 20 ans (AQPER, 2018) (Banos & Dehez, 2015). De plus, les tarifs de rachat de l’électricité par les différentes sociétés d’Etat sont significativement supérieurs au prix de vente standard de l’électricité sur le marché des consommateurs et des industriels. La CRE a en effet reconnu avoir fixé un montant excessivement favorable aux industries lauréates des appels d’offres CRE 3

et CRE 4 bénéficiant ainsi d’une « rentabilité trop élevée » (Fabrégat, 2011) avec un

prix de rachat représentant quasiment le double du prix de vente de gros1.

Achetée aux papetières environ 11 cents du KW, Hydro Québec revend cette électricité aux industriels, y compris à ces mêmes papetières à près de 4 cents le KW. Considérés dans la presse Québécoise comme des subventions déguisées, les appels d’offres Hydro Québec sont pointés du doigt comme étant une stratégie de sauvetage de l’industrie forestière qui coûte fort cher, comme l’illustre une perte

sèche pour la société d’Etat estimée à 130 millions $ pour l’année 2018 (Lecavalier,

2018). On craint une filière artificialisée, quel que soit le territoire, qui ne serait pas rentable si elle n’était pas sous perfusion étatique grâce à ces revenus gonflés sur le long terme, et qui pèse sur les marchés de l’électricité domestique qui voit une hausse de ses tarifs (Chassin & Tremblay, 2013; Couture, 2015).

1 Le prix de vente de l’électricité à l’industrie est passé progressivement d’environ 60 € le MWh, au début des années 2000, pour atteindre les 80 € du MWh, au milieu des années 2010.

167 En France, l’écart entre le prix d’achat de l’électricité et son prix de revente aux industries concernées est directement supporté sur la facture des consommateurs. Depuis 2003, chaque français peut découvrir sur sa facture le montant de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), un prélèvement fiscal destiné à dédommager les surcoûts des opérateurs par rapport à la mission de service public qui leur incombe. Cette taxe sert en majorité à financer les pertes engendrées par la différence entre le tarif d’achat de l’électricité renouvelable produite (cogénération biomasse, photovoltaïque et éolien confondus) et les prix de marché de gros de l'électricité. Ce montant, fixé par la CRE, représente environ 16% de la facture finale du consommateur et ne cesse d’augmenter depuis sa création en 2003 (+650% en 15 ans). Une réforme de la CSPE a cependant été menée entre 2015 et 2018 afin d’endiguer cette hausse inexorable (Observatoire de l’industrie Electrique, 2018). Au cours du temps et des différentes générations d’appels d’offres en France et au Québec, les cahiers des charges des contrats se sont modifiés, notamment en ce qui concerne les prix du rachat de l’électricité par Hydro Québec et EDF. Alors que les prix de rachats de l’électricité produite dans les centrales de cogénération québécoises sont ajustés à l’inflation au cours des différents appels d’offre, le tarif de rachat français, comme nous venons de le voir, a très fortement augmenté au cours du temps, mais de manière plus arbitraire. Le prix de rachat initial de 85,5 €/ MWh dans le cadre de CRE 1 est passé à 128,3 €/ MWh dans CRE 2, puis à 145 €/ MWh, avec une très légère baisse à 137 €/ MWh en moyenne pour les bénéficiaires de CRE 4, pour atteindre approximativement 132 €/ MWh dans CRE 5 (Fabrégat, 2011; Lambert & Rohfritsch, 2013). Ce changement des conditions et prix de rachats a créé un déséquilibre concurrentiel entre les différentes générations de bénéficiaires des appels d’offre, en particulier pour les industriels papetiers (Banos & Dehez, 2015).

Ce constat n’est pas sans conséquences sur le marché en amont de la filière

forêt-bois. Le Directeur de Smurfit Comptoir du Pin, filiale d’approvisionnement de l’usine

papetière de Facture et de la centrale de cogénération de Dalkia adossée à celle-ci, déplore ainsi la puissance de frappe des énergéticiens et des nouveaux bénéficiaires impliqués dans le développement de la cogénération. Ils sont capables, selon lui, de payer le prix fort pour obtenir de la biomasse pour approvisionner les centrales grâce aux subventions qui leurs sont accordées indirectement par les tarifs élevés de rachat de l’électricité. Ce pouvoir d’achat risque d’entraîner une hausse de prix de la biomasse pour le reste de la filière forêt-bois, y compris pour l’industrie papetière. D’où une certaine distorsion dans les perspectives de développement de la filière cogénération au sein de l’industrie papetière, au Québec comme en France. « Le

danger, et pourtant on est utilisateurs, c’est de créer des déséquilibres de par le facteur prix et de par l’aide qui peut être accordée au rachat de l’électricité verte et consécutivement au prix de la biomasse… Qu’il y ait une filière énergie qui se

développe, c’est une bonne chose. Le tout c’est que le prix de l’électricité verte et le développement des unités se fassent en cohérence avec l’ensemble de la filière. Pour éviter des conflits d’usage, il faut que ce développement soit fait prudemment et

avec les mêmes cartes qui soient distribués entre tous les acteurs » (Entretien

Smurfit, 31 octobre 2017).

168 Marchés amont : augmentation du

prix de la biomasse

Marché aval : augmentation du prix de l’électricité

France

Prix de rachat de l’électricité plus élèvé pour les firmes qui ont bénéficiares des premières générations d’appels d’offres

Taxe sur la facture domestique : Contribution au service public de l'électricité (CSPE)

Québec Economie soutenue versus économie taxée

Stratégie de sauvetage de l’industrie menant à une hausse du prix de l’électricité sur les marchés domestiques

Tableau 13 : Synthèse des appels à projet de cogénération (de Rouffignac & Cazals, 2019) (traduction)

Finalement, malgré des appels d’offres quasiment identiques en matière de contractualisation en France comme au Québec en vue du soutien à la stratégie des industries papetières, force est de constater que l’appropriation effective de ces dispositifs divergent selon les territoires. Majoritairement accaparés par l’industrie papetière au Québec, les appels d’offres CRE en France, du fait de la possibilité d’y présenter des projets de faible capacité, ont attiré une grande diversité d’acteurs souhaitant se positionner sur cette opportunité de production permise par les ambitions politiques de transition énergétique. En France, la ressource en biomasse est majoritairement privée, contrairement au Québec, et la multiplication de ces nouveaux acteurs affichant la volonté de mobiliser la ressource est susceptible

d’exercer une pression supplémentaire sur la biomasse, mettant en tension les

réseaux d’approvisionnement traditionnels de la filière forêt-bois. Au Québec, cette pression est évitée par une gouvernance publique de la ressource, mais aussi et surtout par l’utilisation de biomasse forestière non concurrentielle dans les projets de cogénération en développement. Au niveau des marchés amont et aval, le constat est le même de part et d’autre de l’Atlantique : ce développement massif de projets

de cogénération entraine irrémédiablement une hausse des prix de l’énergie pour les

consommateurs sur le marché de l’électricité domestique. Le pouvoir d’achat des bénéficiaires d’appels d’offres, artificialisé par les contrats de rachat de l’électricité sur le long terme, engendre également une hausse potentielle des prix de la fibre de bois.

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