• Aucun résultat trouvé

Chapitre II : État des publications des lettres

A) Marie Stuart (1807)

Les éditions monumentales des lettres de Marie Stuart sont de loin les plus précoces du lot. Dès 1807, Léopold Collin publie trois volumes de Lettres de Marie Stuart reine d’Écosse, et de Christine, reine de Suède. δ‟orthographe et la syntaxe y ont été modernisées, peut-être

dans le but de plaire à un large lectorat. Le nom de la reine est en effet accrocheur, comme le

prouve le titre d‟une petite livraison donnée par Jean-Baptiste Gail en 1818, Lettres inédites

de Henri II, Diane de Poitiers, Marie Stuart […], qui ne reproduit en fait… qu‟une seule mis-sive autographe de cette dernière.

60

C‟est ensuite en Angleterre que les publications se poursuivent. Agnes Strickland a

donné en 1843 deux volumes de lettres de la reine d‟Écosse (Letters […] with an historical

introduction and notes). Elle a pris le parti de traduire en anglais celles qui étaient en français

à l‟origine. Cette édition ne nous a donc été d‟aucune utilité. Nous avons plutôt pris pour

réfé-rence celle parue l‟année suivante à δondres, par Alexandre δabanoff (Lettres, instructions et

mémoires de Marie Stuart, reine d'Ecosse), et qui groupe en sept volumes ses lettres de 1550

à 1587, autrement dit de l‟âge de huit ans au jour de sa mort. Sur les 736 lettres et autres écrits

émanant directement de la princesse, plus de 400 sont inédits μ c‟est dire l‟apport de cette

édi-tion. En outre, « tous ces documents sont imprimés avec la plus scrupuleuse exactitude, dans les langues dans lesquelles ils furent écrits primitivement, et les copies ont été collationnées avec le plus grand soin sur les originaux, même pour les pièces qui avaient été imprimées

pré-cédemment dans d‟autres ouvrages. […] l‟orthographe ancienne a été conservée avec soin23

». Lorsque ces copies ont été prises sur des originaux autographes, l‟éditeur le mentionne.

En 1854, la France reprend le relais μ l‟édition d‟Alexandre Teulet se veut un

complé-ment de celle de Labanoff, mais il ajoute en réalité quelques fausses lettres, adressées à

Both-well et utilisées contre εarie Stuart au cours de son procès. ηn pense aujourd‟hui qu‟elles

avaient été écrites par les ennemis de Marie Stuart ν on n‟a en tout cas jamais retrouvé les

ori-ginaux et Labanoff avait vraisemblablement eu raison de ne pas les inclure. Teulet présente également de nouvelles lettres certainement authentiques. Par la suite, quatre livraisons de taille beaucoup plus modeste paraissent, en France, en Allemagne et en Angleterre. Au total,

près de 800 lettres de εarie Stuart sont aujourd‟hui publiées ; ce volume étant largement suf-fisant pour notre étude, nous n‟avons pas cherché s‟il restait des inédits. Depuis 1λ37, on n‟a plus publié de lettres de la reine d‟Écosse.

Tout comme ses lettres, ses poèmes ont éveillé la curiosité du public, ce qui leur a valu par moins de sept éditions, en France et en Angleterre, mais il n‟est pas certain que tous

doi-vent lui être attribués. δ‟édition la plus récente (Onze sonnets et un sizain pour James

Hep-burn, comte de Bothwell, 2003) n‟est pas la plus digne de confiance : Brantôme affirmait déjà que les sonnets n‟étaient pas de la reine24

, et Lisa Hopkins, à la suite d‟Antonia Fraser, penche

23 Lettres, instructions et mémoires de Marie Stuart, reine d'Ecosse, Éd. Alexandre Labanoff, Londres, C. Dolman, 1844, t. .I, p. XIV-XV. (Dorénavant, les references à cette edition seront abrégées en Labanoff). 24 Brantôme écrit : « Elle se mesloit d‟estre poëte, et composoit des vers, dont j‟en ay veu aucuns de beaux et très

bien faictz, et nullement ressemblans à ceux qu‟on luy a mis a sus avoir faict sur l‟amour du conte Bothuel : ilz sont trop grossiers et mal poliz pour estre sortis de sa belle bouticque. […] Elle en composoit bien de plus

beaux et de plus gentilz » (Recueil des Dames, poésies et tombeaux », Éd. Étienne Vaucheret, Gallimard, « Pléiade », 1991, p. 73).

61

pour l‟hypothèse d‟un recueil mêlant des poèmes de la reine à ceux d‟une maîtresse de

Both-well25.

B) Henri IV (1843)

δ‟édition monumentale des missives de Henri IV a été dirigée entre 1843 et 1876 par

Jules Berger de Xivrey, puis par Joseph Guadet pour le Supplément. On trouve dans la

pré-face un résumé des publications précédentes, car l‟intérêt pour les documents émanant du roi n‟est pas nouveau. Après quelques lettres imprimées de son vivant, en fonction de la nécessité

politique, les deux premiers ouvrages réunissant des écrits de lui ont été ceux de Mornay (Mémoires de Messire Philippe de Mornay, 1624) et de Sully (Mémoires des sages et royales oeconomies d’Estat […] de Henry le Grand, 1638-1640). Le XVIIIe

siècle a publié des cour-riers diplomatiques (Ambassades de M. de la Boderie, 1733), et s‟est intéressé surtout au

prince galant et spirituel μ ses lettres d‟amour sont données par le εercure de France à partir

de 1765, citées par Voltaire, et livrées en petits recueils (L’esprit de Henri IV ou anecdotes les plus intéressantes […], 1770-1771 ; Les Amours de Henri IV, roi de France, avec ses lettres galantes, 1781 ; Lettres d’Henri IV à Corisande d’Andoins, 1788). Berger de Xivrey note que les publications du XIXe siècle subissent l‟influence des changements de sensibilité et de

ré-gimes politiques26 :

Les premières années de notre siècle admirèrent avant tout dans Henri IV la bonté du cœur. ηn

voulut même trouver dans ses lettres la marque de cette sensibilité qui, on peut le dire, était plutôt du goût

et de la mode d‟alors, que de l‟allure joviale et délibérée du héros béarnais. Sa bonté véritable, sa

popula-rité, sa franchise, devinrent à la Restauration, comme un ressort politique, dont l‟impulsion est sensible

dans ce qui fut publié assez précipitamment alors de lettres d‟Henri IV (L.M.H. IV, I, préface, p. VIII).

Enfin, en 1840, Rommel publie la Correspondance inédite de Henri IV […] avec Mau-rice le Savant, Landgrave de Hesse.

δ‟édition de Berger de Xivrey compte plus de 6000 lettres, réparties en neuf volumes.

Elle rassemble non seulement la correspondance personnelle du roi, mais aussi les écrits poli-tiques de circonstance, circulaires, harangues, dépêches, rédigées par les ministres et les

25 Hopkins Lisa, Writing Renaissance Queens, Texts by and about Elizabeth I and Mary, Queen of Scots, New-ark : University of Delaware Press, London : Associated University Presses, 2002, p. 81-83. Un éditeur allemand a même proposé un journal de Marie Stuart : Tagebuch der unglücklichen Schottenkönigin Maria Stuart während ihres Aufenthaltes zu Glasgow Mais sous ce titre trompeur se cachent en réalité les documents dits « de la cassette » qui avaient servi de pièce à conviction lors de son procès et dont l‟authenticité est fort

douteuse. (Tagebuch der unglücklichen Schottenkönigin Maria Stuart während ihres Aufenthaltes zu Glasgow (Journal de Marie Stuart à Glasgow, 23-27 janvier 1567), éd. B. Sepp, München, J. Lindauer, 1882).

26δa liste des ouvrages qu‟il donne est un peu longue pour figurer dans le corps du texte : A. Serieys, Lettres

inédites d’Henri IV et de plusieurs personnages célèbres, 1802 ; Vie militaire et privée de Henri IV d’après ses lettres inédites au baron de Batz, celles à Corisande d’Andouins, etc…, 1803 ; Lettres d’Henri IV à Mme de Grammont, à Harambure, etc…, 1814 ; Henri IV peint par lui-même, 1814 ; Fastes de Henri IV surnommé le Grand, 1815.

62

seillers. Une étude « historique et morale » éclairée par les lettres est placée à la fin du vo-lume IX27.

δa préface de cette édition donne de précieux renseignements. δ‟éditeur indique tout d‟abord ses sources ν il signale ce qui peut faire l‟objet d‟un doute (il craint en effet des

inexactitudes dans les copies envoyées de Londres (L.M.H. IV, I, préface, p. XVII). La pré-sentation des lettres est très rigoureuse : lorsque les indications de dates, de sources, ou de

destinataires sont des conjectures ou qu‟elles ne sont pas tenues de sources sûres, elles sont

mises entre crochets. La provenance des lettres est mentionnée, ainsi que le type de document

auquel l‟éditeur a eu accès : « original autographe », « original » (c‟est-à-dire comportant

seu-lement la signature du roi), « minute », « copie », « imprimé ». La graphie du roi est

respec-tée. Berger de Xivrey explique les problèmes d‟attribution qui peuvent se rencontrer en raison

du rôle joué par les conseillers et secrétaires dans la rédaction des missives, notamment à

cause de l‟existence de « secrétaires de la main » autorisés à imiter l‟écriture du roi.

En ce qui concerne les lettres intimes, qui vont nous intéresser plus particulièrement, les

éditeurs précisent qu‟elles se distinguent des autres en ce qu‟elles ne portent pas de

suscrip-tion ; et dans son Supplément, Guadet remarque que les billets qui ne sont pas datés sont plus souvent de la main du roi que les lettres datées. Si ces détails nous renseignent sur la manière dont Henri IV présentait lui-même son courrier, ils posent en revanche un problème pour le

classement chronologique. δ‟identification des destinataires ou des personnages mentionnés

par le roi présente également des difficultés (L.M.H. IV, I, préface, p. XXIV).

Malgré la quantité impressionnante de textes, les éditeurs ont eu des scrupules à en lais-ser certains de côté, y compris les lettres « de recommandation, de congratulation, d‟une

dic-tée vague ou banale » (L.M.H. IV, I, préface, p. XXVIII). Ils se justifient ainsi : « On peut

[…] dire qu‟au point de vue le plus élevé se place l‟intérêt de l‟histoire du pays » (ibid.). Il faut considérer que cette édition est une commande d‟État, et qu‟ils se doivent de l‟honorer avec la plus grande rigueur. D‟ailleurs, l‟état d‟esprit dans lequel les lettres de Henri IV ont

été éditées n‟est pas tout à fait neutre. Il s‟agit en effet d‟alimenter le mythe du héros national,

de le confirmer par ses propres écrits :

Ce que nous pouvons, dès à présent, affirmer, c‟est qu‟aucun de ces heureux traits dont se compose l‟image que nous nous sommes tous faite de Henri IV ne sera effacée par ses écrits ; que cette noble figure historique, en restant aussi aimable d‟esprit, d‟ardeur et de bonté, laissera voir de plus en plus l‟homme

su-périeur, le prince vraiment digne du trône, le héros français par excellence (L.M.H. IV, I, préface, p. XXX).

27 J. Guadet, Henri IV et sa correspondance, étude insérée dans Recueil de lettres missives de Henri IV, publié par Berger de Xivrey, supplément publié par J. Guadet, Paris, Imprimerie royale, 1843-1876, t. IX, p. 505-658. Les références à cette édition seront dorénavant abrégées en L.M.H. IV, suivi du tome et de la page, entre pa-renthèses dans le texte.

63

La passion que le « bon roi Henri » suscite est si vive, qu‟en dépit de la taille

extrême-ment imposante de cette édition, les érudits continuent à chercher et à publier de lettres de lui. De 1872 à 1883, Eugène Halphen propose plusieurs livraisons de missives au chancelier de Bellièvre, puis de 1885 à 1887, il donne trois livraisons de courriers à M. de Villiers. Entre 1890 et 1901, il se lance dans la collection des inédits à M. de Béthune ; elle recevra un

com-plément en 1λ52 par J.E.ε. δajeunie. ηn trouve encore bien d‟autres publications

ponc-tuelles, regroupant des missives parfois toutes adressées à un même destinataire, et parfois à plusieurs. ζotons qu‟au-delà de 1901, il y a très peu de nouvelles livraisons, sans doute parce qu‟il est devenu très difficile d‟exhumer des lettres du Béarnais encore inconnues. Ses lettres d‟amour ont cependant été maintes fois rééditées, passant du statut de source historique à

ce-lui de succès de librairie.