Chapitre I : L’art épistolaire à la Renaissance
B) Les lettres dans Amadis et La Diana : un art épistolaire entre réalisme et fantaisie fantaisie
Pour ce qui concerne les lettres insérées dans les narrations, nous nous limiterons aux
deux œuvres les plus fréquentées par la noblesse, à savoir le roman le plus lu de son temps,
Amadis de Gaule dans la traduction de Herberay des Essarts178, et La Diana (aussi appelée Les sept livres de Diane) de Jorge Montemayor, qui le concurrence avec pas moins de vingt éditions au XVIe siècle179. Ces deux romans, traduits de l‟espagnol, sont bien évidemment très
différents, le premier pouvant apparaître comme une survivance des romans de chevalerie, tandis que le second appartient au genre nouveau de la pastorale. Mais ils ont comme points
communs d‟entretenir un rapport particulier avec le monde de la Cour, et de proposer une
rhétorique épistolaire comparable.
1) De la Cour aux romans, des romans aux manuels
Les liens entre ces romans et le milieu de la Cour sont très sensibles. On sait que leurs traducteurs ont été en contact avec les souverain-e-s de leur temps. Des Essarts a été « esmeu
[…] de bien travailler en prose » par le roi Henri II lui-même180
, et la première traduction ma-nuscrite de La Diana a été l‟œuvre de Pierre Bordey, gentilhomme au service de Marguerite d‟Autriche, fille de Charles-Quint. La seconde traduction a été dédiée à Marguerite de Valois
entre 1572 et 1583181. Les premiers lecteurs des Amadis et des Sept livres de Diane sont donc des princes, des princesses et des courtisans, et il n‟y a somme toute rien d‟étonnant à cela,
car ces ouvrages apparaissent comme une mise en roman de la vie de Cour. La pastorale in-vite à reconnaître des personnages réels sous les déguisements de bergers et de bergères et donne un portrait idéalisé des têtes couronnées μ en l‟occurrence, Félicie serait Marie de Hon-grie, sœur de Charles-Quint, et il s‟agirait de rassembler sous sa présidence la fine fleur de la
178 Nous n‟avons pas travaillé à partir du roman lui-même, mais directement à partir des pièces contenues dans le
Thresor des livres d'Amadis de Gaule , assavoir les harengues, concions, epistres, complaintes, et autres choses les plus excellentes. De nouveau augm. et orné du recueil du 13e livre, et d'une infinité de propos et de-vis bien gentils, tirez dudit livre, Lyon, Veuve de G. Cotier, 1572.
179Voir l‟introduction à la traduction récente d‟Anne Cayuela, Les sept livres de Diane, Paris, Champion, 1999,
p. 8-30. Pour l‟étude des lettres, nous nous sommes basés sur une traduction du XVIe
siècle : Les sept livres de la Diane de Jorge Montemayor, […] traduits d’espagnol en français, Rheims, Jean de Foigny, 1578.
180 Mireille Huchon le rappelle en citant la préface du Palmerin d’Olive de Des Essarts par Jean Maugin, dans « Amadis, "parfaicte idée de nostre langue françoise" », Les Amadis en France au XVIe siècle, Cahiers V.L. Saulnier, n°17, 2000, p. 188.
181
noblesse castillane et portugaise182. Les Amadis mettent en scène rois, empereurs, et princes
divers qui s‟allient, s‟épousent ou se font la guerre ; lettres et discours prononcés devant la
Cour y alternent avec des récits de combats et des épisodes merveilleux.
Au-delà des différences thématiques et esthétiques qui les distinguent, on s‟aperçoit d‟ailleurs que les deux romans semblent mettre en question les usages de la parole. Une
lec-ture superficielle de La Diana suffit pour se rendre compte que les thèmes du parjure, du mensonge et du déguisement y entretiennent une certaine méfiance vis-à-vis du langage. Dans Amadis de Gaule, secrets, serments et dissimulations jouent également un rôle important dans
le développement de l‟intrigue, au point que Christine de Buzon fait l‟hypothèse que « se
dé-couvre une critique des usages humains du langage dès lors qu‟un idéal de parole doublé d‟un
idéal de la réception est imposé Ŕ malaisément Ŕ dans le monde humain au travers de
person-nages dotés de pouvoir183 ». Peut-être qu‟au-delà des jeux amoureux et de la légèreté des
aventures, ces romans plaisent aux courtisans en ce qu‟ils reflètent l‟incertaine
correspon-dance des réalités et des actes avec les mots, incertitude dont il faut savoir jouer à la Cour sans se laisser tromper.
Mais ces romans plaisent également à un public élargi, que l‟univers brillant et raffiné
de la Cour fait rêver. Alors même que les aristocrates commencent à se détourner des beaux exemplaires des Amadis, les libraires perpétuent le succès de la série en en proposant, à bon marché, des morceaux choisis dans les Thrésors d’Amadis qui paraissent de 1559 à 1606. Ces
compilations ne donnent en réalité presque aucune idée de l‟intrigue du roman, mais
rassem-blent les discours et les écrits de ses personnages. Au fil des années, les titres deviennent de plus en plus explicites quant à la vocation de ces recueils : Tresor de tous les livres d'Amadis de Gaule. Contenant les Harangues, Epistres, Cancions, Lettres missiues, Demandes, Res-ponces, Repliques, Sentences, Cartels, Complaintes, & autres choses, les plus excellentes, pour influire la jeune noblesse Francoise a l'elocuence, grace, vertu, & generosite184. Il s‟agit donc de proposer au lecteur une sorte de manuel d‟art épistolaire, un recueil de belles phrases à glisser dans la conversation doublé d‟un traité de savoir-vivre. Des traces laissées par
quelques lecteurs du XVIe siècle sur leur exemplaire montrent qu‟ils s‟en servaient effective-ment en cas de manque d‟inspiration185. εais en plus de s‟inspirer d‟un modèle linguistique
182
Ibid., p. 11.
183 Christine de Buzon, « δa parole d‟Amadis. Serments et secrets dans le Second Livres d’Amadis de Gaule »,
dans Les Amadis en France au XVIe siècle, op. cit., p. 56.
184C‟est le titre d‟une édition lyonnaise de 1582, celle de Jean Huguetan, reproduite en 1586 et 1606.
185
Pour la réception des Thrésors, voir Véronique Benhaïm, « les Thrésors d‟Amadis », dans Les Amadis en
182
« ils accédaient du même geste à un emblème national et curial et participaient avec retard et de manière indirecte au faste de la monarchie des Valois186 », selon Véronique Benhaïm. Même si le roman de Montemayor ne donne pas lieu à des compilations, il est lu de la même façon : « La Diane doit également son succès au fait qu‟elle comporte des « conversations
savantes », des attitudes courtoises, des exemples de bonnes manières, et qu‟elle offre des
modèles de comportements sous une forme plus attrayante que celle des traités187 ». Finale-ment, que ce soit à travers les Secrétaires ou les romans, la Cour apparaît pour le lectorat le
plus large comme le lieu où s‟élabore le bien-dire et le bien-écrire. Princes et princesses sont supposés être des modèles dans l‟art de la lettre et de la conversation. δes missives des
Ama-dis et de La Diana illustrent essentiellement deux types de Ama-discours : le Ama-discours amoureux et
le discours politique. εais bien qu‟elles partagent avec les manuels d‟art épistolaire un certain
nombre de points communs, elles ont aussi des caractéristiques purement romanesques qui
font d‟elles des textes hybrides.
2) L’ethos princier et le pathos des lettres nobiliaires
Les lieux éthiques et pathétiques correspondent grosso modo à ceux qui sont
effective-ment à l‟œuvre dans les correspondances nobiliaires. Sur le plan de l‟ethos, dans les lettres politiques comme dans les lettres d‟amour, les épistoliers manifestent une grande conscience
de leur honneur et de leur dignité. Oriane, par exemple, accusant Amadis de déloyauté,
s‟exprime en reine, en employant des verbes typiquement utilisés par ceux qui commandent :
délibérer, bannir, défendre188… Et lorsque, reconnaissant ses torts, elle en appelle à l‟indulgence de son amant, elle invoque (argument noble par excellence) sa réputation : « […]
vous devez avoir pitié, non pour mérite, mais pour vostre réputation, [vous] qui n‟estes tenu
cruel ne vindicatif, là où vous trouvez repentance et subjection189 ». Les personnages savent
aussi mettre l‟accent sur leur humilité dans les lettres d‟amour ou lorsque les circonstances
politiques le requièrent.
εais le réalisme s‟estompe à partir du moment où certains personnages n‟hésitent pas à
se présenter, eux-mêmes ou leurs enfants, à grand renfort d‟adjectifs mélioratifs au superlatif.
Ainsi la reine Zahara fait-elle l‟éloge de ses enfants, que lui a donnés le Dieu Mars : « il a
engendré en moy filz et fille si beaux et de tant belle taille et proportion, que leur forme
186 Ibid., p. 180.
187 Anne Cayuela, « Introduction », op. cit., p. 13.
188 Thrésor, op. cit., p. 20-21 : « J‟ay delibéré aussi bannir de moy pour jamais ceste extreme amour que je vous portois […]. Parquoy je vous defens de vous trouver jamais devant moy n‟en part ou je reside ».
183
montre indubitablement le fruict estre engendré d‟un dieu qui me faict dire que leur vertu,
magnanimité et prouesse sera telle qu‟ilz seront tenuz entre les humains pour demy-dieu190
».
Elle demande à ses destinataires d‟« avoir la nativité de ses deux enfants en singulier honneur
et recommandation et tenir doresenavant la mère d‟eux au rang qu‟elle mérite191
». Tout se
passe comme si la lettre du roman explicitait cette soif d‟honneur qui est bien présente de
ma-nière sous-jacente dans les lettres de la noblesse, mais ne s‟extériorise habituellement que par son corollaire, la reconnaissance de l‟honneur d‟autrui.
Parfois l‟affirmation de sa propre valeur personnelle est tellement outrée qu‟elle produit
un effet burlesque μ le roi Armato, vieillard plus qu‟octogénaire, provoquant en duel l‟empereur de Trésibonde, prête à sourire par son discours héroïque démontrant sa bravoure !
J‟ay pensé d‟envoyer présenter le combat à toy, qui est le principal défenseur de l‟Empire Grecque contre moy, qui suis le principal prétendant à sa ruyne. Et ne t‟excuse sur tes ans vieux : car si tu as attaint l‟an octante de ton aage, à l‟heure que tu naquis j‟avois jà cognoissance de la tette de ma nourrice. δe
combat que je pretens avoir de ta personne à la mienne, il est seulement pour acquérir honneur, et
esprou-ver à coups de lance et d‟espée lequel la fortune favorisera le plus de nous deux ; pourtant avise à faire
réponse qui te soit honorable192.
Une fois de plus, la quête d‟honneur, pour ainsi dire « gratuite », est surexplicitée. On
peut supposer que ces passages, dans le roman, étaient lus comme des fanfaronnades venant de personnages antipathiques et belliqueux, mais il faudrait faire une étude plus approfondie
de l‟œuvre pour l‟affirmer. Toutefois, le fait est que les Thrésors donnent ces lettres sans
au-cun commentaire et sans auau-cune distance : elles sont donc des modèles de rhétorique comme
les autres. Elles plaisent sans doute non pour leur utilité pratique mais parce qu‟elles sont en quelque sorte l‟illustration d‟un « héroïsme de la parole » que le lectorat prête aux grands de
ce monde.
Les lieux pathétiques ont dans les missives des Amadis la même fonction que dans les lettres de la noblesse μ ils remplacent ce que nous appellerions aujourd‟hui les motivations
politiques des personnages. Il faut ajouter que, dans le roman, les personnages cherchent à
susciter l‟empathie de leurs destinataires en amplifiant leurs sentiments et leurs souffrances.
Ainsi Oriane décrit-elle à sa mère les tourments qui ont été les siens depuis qu‟elle a quitté la cour de son père, afin qu‟elle l‟aide à retourner en grâce auprès de ce dernier193
, mais aussi
qu‟elle exhorte le roi à faire la paix avec ceux qui l‟ont recueillie. Quant à ζiquée et Amadis
190
Ibid., p. 343. 191 Ibid., p. 344.
192 Ibid., p. 235-236. ηn remarque d‟ailleurs une fois de plus que la quête d‟honneur pour ainsi dire « gratuite »
est sur-explicitée. 193
Ibid. p. 161-162. δes termes de pitié, de malheur, l‟adjectif « insupportable » s‟ajoutent à l‟évocation de la tempête qu‟elle a dû braver.
184
de Grêce, qui se sont mariés de leur propre chef, lorsqu‟ils écrivent tous deux au père de la
jeune fille pour solliciter son pardon, ils l‟incitent à se souvenir de la puissance de l‟amour :
« Sire, l‟amour qu‟il vous a peu [sic] [qui vous a pu] soliciter en vostre jeune aage, et depuis,
vous ramentevra assez en quelle peyne et malayse vivent ceux qui sont surmontez de la pas-sion que je vous ay veu souffrir, attendant la jouyssance espérée de vostre Nereïde194 ». Par contre, La Diana a ceci d‟inattendu que l‟expression des sentiments étant assurée par les
par-ties narratives, les lettres apparaissent seulement comme des moyens de provoquer ou de ré-gler des conflits entre les personnages : leur brièveté contraste avec le ressassement sentimen-tal qui les encadre.
δes missives insérées dans les romans ne sont donc pas exactement l‟équivalent de celles des manuels ou des lettres réellement échangées à l‟époque : elles sont adaptées aux
besoins de la narration, et en particulier à la nécessité de forger des caractères héroïques. On
retrouve d‟ailleurs ce mélange d‟imitation réaliste et de déformation romanesque jusque dans l‟organisation de la lettre et dans les parties propres au genre épistolaire (salutations,
souscrip-tions, etc.).
3) Les parties de la lettre : entre réalisme et fantaisie
Pour étudier la dispositio, il faut distinguer les lettres échangées entre amants et les lettres politiques. Ces dernières comprennent celles que les souverains d‟Amadis adressent à leurs sujets ou à leurs voisins, mais aussi celles que les membres d‟une même famille s‟écrivent, dès lors qu‟il y est question de guerre, de mariage ou d‟honneur. Dans les deux cas, les romans suivent l‟usage en vigueur dans la réalité, c‟est-à-dire que les missives
« d‟affaires » sont régies par un protocole relativement lourd, tandis que les lettres aux
fami-liers en sont presque dépourvues.
δes lettres d‟amour ne contiennent pas de salutation, et se caractérisent par la simplicité
des suscriptions. Les amants disent respectueusement à leur maîtresse « Madame », dans La Diana comme dans les Thrésors d’Amadis, tandis que les femmes les appellent « amy » ou les désignent par leur nom195. Mais souvent la lettre d‟amour se passe de suscription. Il est
en-suite difficile de distinguer les parties traditionnellement requises par la rhétorique épisto-laire ; toutefois, les lettres de romans ne présentent jamais le même désordre et la même di-versité de sujets que les vraies lettres, avec les passages du coq à l‟âne qui les caractérisent.
194 Ibid., p. 332. Le même argument est employé par la jeune fille, p. 330. 195
Diane écrit « Sirène mon ami » (Les sept livres de la Diane de Jorge Montemayor, op. cit., p. 5), Felismene se contente de « Dom Felix » (Ibid., p. 76), Oriane appelle Amadis « mon loyal ami » (Thrésors, op. cit., p. 31).
185
δoin du foisonnement de la réalité, elles poursuivent chacune un objectif unique, qu‟il s‟agisse de faire un éloge, un reproche ou de demander pardon, et elles sont organisées pour l‟atteindre. Les formules de valédiction ou de congé et les souscriptions (par lesquelles le
scripteur se désigne avant la signature) sont rares, sauf dans le cas particulier où un amant écrit à une dame qui ne le connaît pas. Les signatures sont également facultatives dans les
lettres d‟amour.
δes lettres politiques, quant à elles, oscillent entre l‟imitation de la réalité et la plus grande fantaisie. Si elles sont échangées par les membres d‟une même famille, elles ont un
protocole allégé : les enfants appellent leur père « Monsieur » et leur mère « Madame », mais se dispensent de salutations. En revanche, ils signent après une souscription : « votre tres-humble et très obeissante fille », « vostre tres-tres-humble et très obéissant fils », « vostre cousine et parfaicte amie », « vostre cousine et bonne amye »…
δes missives d‟un souverain à un autre comportent des salutations construites sur le modèle des lettres officielles et latines. Elles précisent d‟abord l‟identité et les titres du
desti-nateur, puis ceux du destinataire, et se terminent par le salut lui-même : « Pintiquinestre,
Royne de la gent qui n‟a nulles terres, à toi Calasie, qui commande es Iles estranges de
Cali-fornie, salut tel que je te le désire196 ». Mais lorsque le rapport entre les correspondants le
permet, la salutation est éliminée au profit d‟une simple suscription : Esplandian, par exemple, se contente d‟un « Monsieur » pour s‟adresser à l‟Empereur de Rome. Toutefois, de cet élément emprunté à la rhétorique épistolaire des chancelleries, l‟auteur des Amadis fait un
usage extravagant. Les personnages y déploient leur égo surdimensionné et leurs ambitions mauvaises, ce qui bien évidemment marque le caractère fantaisiste de ces missives : « Armato par la prescience de nos dieux immortels au gouvernement du grand Royaume de Turquie, frontiere et boulevart de la loi Payenne, à tous les califfes, rois, soudans, admiraux et
gouver-neurs des pays qui sont es parties d‟ηrient, salut197
». En fonction des personnages, la
saluta-tion (qui est à l‟origine un vœu de salut) se change de manière amusante en son contraire :
« Melie, infante la plus cruelle ennemie de toute la Chrestienté, à toy empereur de Constanti-nople, ruine et entière malediction198 ». Sans doute existe-t-il chez le grand public Ŕ et même
chez les courtisans Ŕ une fascination pour cette manière cérémonieuse de se présenter et de
196 Ibid., p. 238. Autre exemple : « Abra Imperatrix de Babylone, Royne des Parthes, à vous Axiane princesse
d‟Argenes Salut tel que nous vous estimons le mériter » (Ibid., p. 327).
197
Ibid., p. 219. 198 Ibid., p. 230.
186
présenter l‟autre. εais la forme « réaliste » est remplie par un contenu romanesque qu‟elle
met en exergue.
Dans le corps de la lettre, on retrouve d‟une certaine manière les trois parties
préconi-sées par la plupart des manuels : en réalité, la salutation tient lieu de captatio benevolentiae, et les épistoliers se lancent ensuite en général dans une narration qui aboutit à une requête, ou à
une conclusion en termes d‟action à mener. Curieusement, le réalisme de la dispositio ne tient pas jusqu‟au bout de chaque texte, puisque les lettres d‟un prince à un autre prince ne
compor-tent pas de souscription ni de signature. Cet aspect hybride se retrouve-t-il dans l‟elocutio ? 4) Style naturel ou fleurs de rhétorique ?
Les lettres des Sept livres de Diane ainsi que celles des Amadis se caractérisent par un mélange de recherche et de naturel, mélange qui correspond sans doute aux goûts de la se-conde moitié du siècle199. Gohory souligne dans le roman de Des Essarts le style fleuri, net et coulant200, tandis que Pasquier y apprécie la naïveté du langage. La liaison des termes (par exemple les liens de cause à effet) qui font le style coulant, ainsi que « l‟ordre de nature » comme on dit à l‟époque (ordre des mots dans la phrase, avec le verbe en seconde position suivi de son complément d‟objet direct) font parties des qualités qui lui sont reconnues201
. Dans les lettres politiques, les articulations sont effectivement très marquées, ressem-blant, comme on le verra, à celles des vraies lettres par secrétaire. Ce souci de liaison est
aus-si, nous l‟avons dit, une des caractéristiques des lettres nobiliaires. ηriane écrivant à sa mère
scande sa lettre par « encore que…si », « pour le commencement », « toutesfois », « et pource
que », « si », « car », « et au demeurant », « tant pour… que pour », « ainsi », « à quoi202
». La causalité est aussi marquée par des participes présents. Une lettre d‟Armato à ses alliés offre
le même exemple du soin apporté à l‟articulation, en des termes qui rappellent les dépêches
adressées aux ambassadeurs : « et qui pis est, s‟augmentant de jour en jour le nombre des
chrétiens, [ces derniers] s‟efforcent exterminer et avertir notre sainte loi : pour à quoi obvier
avions pris les armes, et mis sus une forte et puissante armée203 ». Les termes et les