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1.1 Générer la WDM en laboratoire, le défi des hautes pressions

1.1.1 Chauffer et comprimer la matière

1.1.1.2 Les méthodes de compression

Ainsi, afin de porter un matériau à des densités bien supérieures à celle de son solide à l’état standard, il est nécessaire de lui appliquer une contrainte qui va permettre de le comprimer. Nous verrons dans ce qui suit qu’il est possible de classer les techniques de compression en deux catégories : les méthodes de compression statique et dynamique. Gardons toutefois à l’esprit qu’une simple compression n’amènera pas systématiquement un matériau dans le régime de la matière dense et tiède et qu’il sera pour cela parfois nécessaire de la coupler à un processus de chauffage.

• La compression statique

Pour comprimer fortement un matériau, l’idée qui vient immédiatement à l’esprit est de lui appliquer une contrainte mécanique, à l’aide d’une presse par exemple. Ce type de compression, dite statique, est celle qui a été logiquement mise en place la première et qui a valu à Lord Bridgman le prix Nobel de physique en 1946. Elle lui a permis de comprimer pour la première fois des matériaux solides au-delà de 10 GPa et ainsi de pouvoir étudier un nouveau type de transition de phase : les transitions solide-solide [34]. Par la suite, ces presses ont été améliorées dans le but d’atteindre des pressions toujours plus élevées. On les retrouve principalement aujourd’hui dans deux grandes familles, souvent couplées à des sources synchrotrons (ESRF, SPRING-8, DESY, ...).

Les presses gros volume tout d’abord, comme la presse Paris-Edimbourg que l’on ré- évoquera au chapitre 6, dont la compression est réalisée par une ou plusieurs presses hydrauliques et qui sont notamment utilisées pour l’étude des minéraux et la synthèse de nouveaux maté- riaux [26]. Mais si l’on souhaite étudier les effets de température, il devient nécessaire de chauffer

l’échantillon en parallèle. Ceci peut être réalisé avec un chauffage de type résistif, bien stable et homogène, la mesure de la température étant alors donnée par un thermocouple. Le principal inconvénient de cet instrument est que la pression maximale potentiellement atteignable, liée à la taille millimétrique des échantillons, ne dépasse pas quelques dizaines de GPa. Toutefois, la robustesse et la précision de ces presses en font un instrument de mesure très appréciable. Couplé à un diagnostic de diffraction des rayons X produits par synchrotron, il nous a par exemple permis d’étudier la fusion d’alliages de fer comprimés jusqu’à 10 GPa avec une très bonne précision [140]. Pour atteindre des pressions plus importantes, il est nécessaire de diminuer au maximum la taille de l’échantillon et en parallèle d’utiliser un matériau qui présente des caractéristiques de résistance à la compression exceptionnelles : le diamant. Cette technique, fréquemment désignée par l’acronyme DAC (Diamond Anvil Cell), a été mise en place dès la fin des années 50 [197]. Comme il est présenté sur la figure 1.2, l’échantillon est alors placé dans un trou rempli d’un milieu transmetteur de pression (liquides organiques, gaz rares, solides mous) et d’éclats de rubis, l’ensemble étant comprimé entre les deux diamants. Les éclats de rubis, dopés avec des ions Cr3+, servent de matériau témoin et permettent de mesurer la pression par fluorescence calibrée

spectralement [91]. Il est possible de chauffer l’échantillon sous pression soit par des fours résistifs entourant les diamants, pour des températures inférieures à 1 500 K, soit par focalisation du faisceau d’un laser infrarouge de puissance pour atteindre des températures de l’ordre de 5 000 K [29]. La température est alors mesurée en associant l’émission propre de l’échantillon à un rayonnement de type corps gris. En plus des pressions atteignables, pouvant aller jusqu’à 3-4 Mbar aujourd’hui, cette technique possède un grand avantage : la transparence du diamant sur une large bande de longueur d’onde, de l’infrarouge aux rayons X et gamma permet en effet de suivre in-situ les changements que subissent les matériaux à haute pression et température. Il est donc possible de suivre le comportement des roches et minéraux et de préciser, entre autre, les changements de densité en fonction de la pression et de la température, les changements de phases des minéraux, les variations des propriétés élastiques et de vitesses de propagation des ondes acoustiques, ainsi que les phénomènes de fusion à haute pression. En revanche, cette technique est plus compliquée à mettre en place que la précédente : l’hydrostaticité de l’échantillon est en effet très délicate à atteindre, ainsi que la stabilité et l’homogénéité en température, d’autant plus lorsque la taille des échantillons devient très petite, de l’ordre de la dizaine de microns.

Ces méthodes, bien que robustes et améliorées depuis près d’un demi-siècle, possèdent leurs limites, tant en pression, de par la limite supérieure de dureté du diamant et de la taille des échantillons, qu’en température, de par la diffusion thermique des diamants. Elles ne permettent alors d’atteindre que des conditions situées à la frontière de la WDM. Pour aller plus loin, il est alors nécessaire d’user de méthodes de compression dynamique.

• La compression dynamique par choc

Parallèlement aux méthodes statiques décrites précédemment, se sont développées dès les années 40 et le début de l’ère nucléaire des techniques dites dynamiques, c’est-à-dire utilisant

Figure 1.2: Les méthodes de compression statique. Historiquement, les enclumes de Bridgman ont été les premières à porter un matériau au-delà de 10 GPa. Les enclumes de diamants ont permis par la suite de gagner plus d’un ordre de grandeur sur la pression.

des ondes de choc, afin de comprimer la matière au delà du Mbar tout en la chauffant. Nous étudierons plus en détail ces ondes de choc dans la section qui suit. Dans un premier temps, de manière indépendante, des équipes de recherche américaines et soviétiques se sont concentrées sur deux techniques : les canons à gaz pour les premiers, les explosifs pour les seconds.

Les canons à gaz sont des dispositifs permettant d’accélérer un projectile à des vitesses de l’ordre de 10 km/s. C’est l’impact de ce projectile sur une cible qui y provoquera une onde de choc. Le principe d’un canon à gaz à deux étages d’accélération est le suivant : des gaz chauds, produits par exemple par la combustion de poudre noire, sont utilisés pour propulser un piston ; celui-ci comprime un gaz léger jusqu’à ce que la pression provoque la rupture d’une valve ; la détente de ce gaz dans une conduite de plus faible section permet alors d’accélérer l’impacteur. Le choc créé par cet impacteur dans la cible à étudier a l’avantage de posséder une très bonne planéité et d’être maintenu constant pendant plusieurs dizaines de microsecondes, ce qui est très facile à sonder avec les détecteurs actuels. L’utilisation de tels dispositifs a par exemple permis de mettre en évidence la métallisation de l’oxygène fluide à 1.2 Mbar [22], et celle de l’hydrogène liquide à 1.4 Mbar et à neuf fois sa densité standard [143]. Néanmoins, s’il est toujours en cours d’amélioration, ce type d’expérience reste lourd, les dispositifs mesurant jusqu’à vingt mètres et étant rarement opérationnels plus d’une fois par jour. De plus, les pressions obtenues n’excèdent pas quelques Mbar.

Les explosifs chimiques ont, quant à eux, pu pousser plus loin les pressions atteintes : au-delà de 13 Mbar dans le fer [7]. Plus tard, les explosions nucléaires souterraines ont permis d’atteindre facilement la centaine de Mbar dans les métaux, notamment dans le fer [186, 187]. Il a par exemple été montré grâce à ce type d’expérience que le modèle dit de Thomas-Fermi pouvait être appliqué à partir d’environ 100 Mbar [6]. Cependant, depuis 1996, de telles expérimentations sont interdites par le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE).

On en arrive donc à la solution la plus récente, qui est aujourd’hui largement répandue et qui sera utilisée dans cette étude : la compression par choc créé par laser. Cette technique est aujourd’hui rendue possible grâce au développement des lasers de puissance. Elle consiste à faire interagir une impulsion laser longue (de quelques centaines de ps à quelques ns) et intense (I > 1012W/cm2) avec l’échantillon à étudier afin d’ablater de la matière et de créer un plasma très

chaud (~keV) et peu dense. En réaction à la détente de ce dernier, se forme alors dans l’échantillon une onde de choc par effet fusée. Créée avec un laser de taille moyenne comme le LULI2000 de l’Ecole Polytechnique qui permet de produire au maximum une impulsion kilojoule, cette onde de choc est capable de comprimer la matière jusqu’à quelques dizaines de Mbar et de la porter parallèlement à quelques eV. Les équations permettant de retrouver les caractéristiques d’un tel choc seront exposées dans la prochaine section.

Bien sûr, cette méthode de compression possède également ses limites et ses difficultés de mise en place. La qualité spatiale du choc est fortement dépendante de la qualité de la tache focale du laser ainsi que des échantillons étudiés. Et caractériser les conditions hydrodynamiques atteintes n’est pas chose aisée et nécessite l’utilisation de diagnostics annexes, notamment comme nous le verrons en face arrière de l’échantillon. Elle est cependant aujourd’hui celle qui peut atteindre les conditions les plus extrêmes et qui a été retenue par la France et les Etats-Unis pour les programmes LMJ et NIF visant à réaliser la fusion thermonucléaire.

Comme nous le verrons par la suite, cette technique possède également une limite physique importante : une compression par choc entraine systématiquement un chauffage important et surtout intrinsèque à la pression que l’on souhaite atteindre. Dit autrement, un choc simple chauffe souvent trop la matière pour qu’elle atteigne des conditions d’intérêt géophysique et la température atteinte est liée à la pression atteinte et n’est par conséquent pas contrôlable. Par exemple, un choc dans le fer ne permet pas d’atteindre les conditions hydrodynamiques que l’on devrait retrouver au centre de la Terre : il porterait le matériau à environ de 7000K à 3,3Mbar, proche de la frontière graine solide / noyau liquide, alors que la température attendue est largement inférieure, se situant plus aux alentours de 5500K. Afin d’éviter d’atteindre des températures trop élevées pour des pressions intéressantes pour la planétologie, une autre technique est en cours de développement depuis quelques années : celle de la compression quasi-isentropique.

• La compression quasi-isentropique

La compression quasi-isentropique semble être aujourd’hui la solution la plus prometteuse en vue d’étudier la physique des intérieurs planétaires. En effet, les chemins thermodynamiques

dans le manteau et le cœur suivent surtout un chemin isentropique qui débute dans la partie supérieure du manteau. A l’inverse de la compression par choc, qui entraine une variation brutale des grandeurs caractéristiques de l’état thermodynamique de l’échantillon, cette technique consiste en l’application sur la cible d’une rampe de compression (cf. figure 1.3) suffisamment douce et longue temporellement. Cette rampe peut être effectuée de différentes manières. On peut choquer une cible secondaire dont le plasma en expansion permet la compression quasi-isentropique de la cible principale. Cette méthode est connue sous le nom de méthode du réservoir. On peut également utiliser un laser profilé temporellement que l’on focalise soit dans une cavité telle que celle utilisée dans le schéma indirect de la FCI aperçu en introduction, soit directement sur l’échantillon. Avec l’utilisation d’une cavité, c’est l’irradiation X produit par l’interaction du laser avec la cavité qui comprime quasi-isentropiquement l’échantillon. Cette dernière technique, qui à l’heure actuelle a fourni les résultats les plus probants puisqu’elle permet notamment de s’affranchir des défauts de la rampe laser, nécessite cependant davantage d’énergie laser afin qu’elle soit convertie en rayonnement X [52, 172, 173, 33]. Notons également qu’elle peut être appliquée sur des installations Z-pinch [21, 74, 45].

Récemment, Wang et al. [196] ont démontré la possibilité d’atteindre des conditions inté- ressantes pour le coeur terrestre en comprimant quasi-isentropiquement à l’aide d’une cavité et d’une forte énergie laser (285 kJ) un échantillon de fer jusqu’à 273 GPa, sans toutefois mesurer la température. Cependant, les températures atteintes par ces techniques, à l’inverse du cas du choc laser, sont toutefois souvent trop faibles pour être pertinentes pour des études géophysiques. Il apparait alors nécessaire de coupler cette méthode pour atteindre les conditions désirées, avec un autre procédé comme un préchauffage de l’échantillon ou une légère pré-compression par choc. C’est notamment le cas pour le fer et la silice. De plus, l’application directe d’une rampe laser sur l’échantillon permettrait de gagner en efficacité de compression. Pour cela, il est bien sûr nécessaire de bien maitriser et d’adapter en conséquence le profil temporel du laser car la compression s’avère y être extrêmement sensible. Récemment, deux campagnes expérimentales ont été effectuées sur la ligne d’intégration laser à Bordeaux (LIL) afin de comprimer directement des échantillons de fer et de quartz, sans utiliser de cavité. A l’aide de rampes de compression de 20 ns et une énergie laser proche de 20 kJ, elles ont notamment permis d’atteindre jusqu’à 6,5 Mbar à 8500K dans le fer, conditions hydrodynamiques intéressantes pour le noyau des super-Terres, et jusqu’à 7 Mbar dans de la silice pré-comprimé par choc, conditions existant dans le coeur de certaines planètes géantes comme Uranus et Neptune.

Couplée à un petit choc ou à un préchauffage, la compression quasi-isentropique représente donc un moyen très intéressant pour atteindre les conditions que l’on retrouve dans les intérieurs planétaires. Cependant, cette compression représente aujourd’hui encore un vaste sujet d’inves- tigation et son utilisation est encore loin d’être totalement maitrisée. D’autant qu’elle dépend énormément de la qualité de la rampe laser et qu’il est nécessaire d’avoir accès à des énergies très importantes et à des durées d’impulsion longues afin d’atteindre les très hautes pressions. En guise d’exemple, aujourd’hui, avec le laser LULI2000 et une rampe de 5 ns bien adaptée, les pressions

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Figure 1.3: Compression par choc vs compression quasi-isentropique : un choc entraîne une dis- continuité des grandeurs thermodynamiques du matériau d’étude et le chauffe brutalement lors de son passage ; à l’inverse, une compression par rampe permet d’atteindre des températures plus basses pour des compressions identiques

atteignables dans le fer ne dépassent pas les 150 GPa .

Pour toutes ces raisons, les expériences réalisées au cours de cette thèse ont utilisé des chocs créés par laser comme méthode de compression. Et même si ces derniers ne permettent pas de reproduire les conditions exactes que l’on retrouve dans les planètes, ils permettent en premier lieu de tester la validité des modèles théoriques pour la description de la WDM, comme les calculs de premier principe, sur une partie relativement large du diagramme de phase des matériaux étudiés et ainsi de certifier ou de corriger les modèles des planètes basés actuellement principalement sur ces calculs [14, 3, 144, 135]. Intéressons nous donc désormais plus en détail à cette technique et plus particulièrement à l’interaction entre l’impulsion laser et la matière, à la création du choc ainsi qu’à sa propagation et à sa caractérisation.