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Mécanismes moléculaires impliqués dans la neuropathologie virale

4. VIROLOGIE ET PATHOGENÈSE

4.5. Tropisme cellulaire et tissulaire

4.5.3. Neurotropisme

4.5.3.3. Mécanismes moléculaires impliqués dans la neuropathologie virale

Nous allons exposer dans cette partie les dernières connaissances concernant les mécanismes moléculaires impliqués dans l’infection virale et la pathogenèse neurale chez l’homme. Ces mécanismes ont été illustrés dans la figure ci-dessous (Figure 23).

Figure 23. Schéma présentant les mécanismes moléculaires impliqués dans la pathogenèse du ZIKV [71]

Au cours d’une infection, le ZIKV interagit avec la machinerie cellulaire pour activer les voies de réplication virale, interférant ainsi avec la physiologie cellulaire normale.

Infections des cellules neurales, inhibition de l’immunité innée, perturbation de l’homéostasie cellulaire, dysfonctionnement de la mitose et mort cellulaire.

 Récepteurs impliqués dans l’entrée du virus. De nombreuses cellules neurales du cerveau humain en développement expriment fortement le récepteur AXL : RGCs, oRGCs, astrocytes et microglie (i.e., ensemble des macrophages intraparenchymateux du SNC). Leur présence explique la forte infectiosité de ZIKV pour ce type cellulaire. D’autres récepteurs cellulaires majeurs sont probablement impliqués puisque la délétion

d’AXL n’empêche pas l’infection virale des cultures de hNPCs ou d’organoïdes (Figure 23).

 Inhibition de la réponse aux IFN de type I. Pour aboutir à une réplication efficace, le ZIKV inhibe la cascade de signalisation des IFN de type I. Il interfère notamment avec la protéine STAT2 (signal transducer and activator of transcription 2), un activateur transcriptionnel impliqué dans l’expression des ISGs (Figure 23). Pour mémoire, il a été montré dans les organoïdes cérébraux humains que l’inhibition expérimentale du récepteur TLR-3, activé par ZIKV et impliqué dans la synthèse d’IFN de type I, permettait de réduire la dérégulation de la neurogenèse ainsi que la mort cellulaire induite par le ZIKV.

 Modulation de l’autophagie. L’autophagie se caractérise par la formation d’autophagosomes. Elle est régulée par de multiples gènes très conservés entre les espèces. Ces autophagosomes fusionnent avec les lysosomes aboutissant ainsi à la dégradation des protéines cytoplasmiques et des organites endommagés. En dégradant les protéines virales, ils participent à la défense cellulaire. Cependant, le ZIKV est capable de détourner l’autophagie à son compte pour parvenir à une meilleure réplication, probablement en dérégulant les gènes codant pour ce processus (ATGs, Autophagy Related Genes), ou en inhibant la voie Akt/mTOR (mTOR étant un inhibiteur de l’autophagie) (Figure 23). Il faut aussi savoir qu’un excès d’autophagie peut contribuer à la mort cellulaire [71].

 Dysfonctionnement mitotique. Les centrosomes jouent un rôle crucial dans le neurodéveloppement. De nombreux gènes codant pour les protéines du centrosome ont notamment été associés à la microcéphalie primaire autosomique récessive (MCPH). Lors de l’infection des hNPCs par le ZIKV, la plupart de ces gènes sont sous-exprimés [71]. Une altération du nombre des centrosomes a également été observée avec pour conséquence immédiate un dysfonctionnement de la ségrégation chromosomique lors de la division cellulaire [85]. Ce dysfonctionnement est à l’origine d’échecs mitotiques, d’une accumulation de cellules aneuploïdes (monosomie, trisomie, polyploïdie) et de la mort cellulaire par apoptose (Figure 23). De plus, la présence de centrosomes surnuméraires peut entraîner dans le cerveau en développement une rupture de la polarité

Revue bibliographique Chapitre 4.Virologie et pathogenèse cellulaire24 et un défaut de migration neuronale. Toutes ces données suggèrent qu’une

anomalie des centrosomes peut entraîner une réduction de la taille du cerveau chez les fœtus infectés par ZIKV, mais aussi d’autres anomalies neurologiques, y compris chez l’adulte.

 Arrêt du cycle cellulaire et induction de la mort cellulaire par apoptose. En détectant la présence intracellulaire de ZIKV, les hNPCs déclenchent leur mort programmée (ou apoptose). Lors de ce phénomène, on note des modifications morphologiques comme la condensation et la fragmentation des noyaux. Les perturbations cellulaires déclenchant l’activation de l’apoptose sont multiples. Certains gènes impliqués dans la progression du cycle cellulaire sont sous-exprimés [83], tandis que d’autres sont sur-exprimés (Figure 23) [71]. C’est le cas de la protéine p53 (protéine suppresseur de tumeur impliquée dans l’arrêt du cycle cellulaire et l’apoptose). L’augmentation de son taux s’accompagne d’une accumulation nucléaire et d’une phosphorylation de la sérine 15 nécessaire à sa fonction. L’infection par le ZIKV conduit également à l’expression et à l’activation des caspases 3/7, 8 et 9, cystéines protéases impliquées dans les voies effectrices de l’apoptose [85].

Dérégulation de la transcription, de l’épitranscriptome et de l’épigénome.

 Dérégulation de la transcription des gènes. Le transcriptome est l’ensemble des transcrits présents dans une cellule à un moment donné et dans des conditions données. Le profil du transcriptome des hNPCs et des organoïdes cérébraux a révélé une dérégulation des voies associées au cycle cellulaire, à la transcription, au métabolisme, à la réplication et réparation de l’ADN, et aux réponses virales et à la mort cellulaire. Le profil varie selon la souche virale.

 Dérégulation de l’épigénome. L'épigénome est l'ensemble des « marques » apposées sur le génome sans modifier la séquence de l'ADN. Les mécanismes épigénétiques sont fortement impliqués dans la régulation des cellules souches et la neurogenèse (Figure 23). Dans les hNPCs, l’infection par le ZIKV altère le méthylome des cellules hôtes en agissant sur les enzymes impliqués dans la régulation épigénétique :

24La polarité cellulaire résulte de la distribution asymétrique de complexes moléculaires ou de structures cellulaires

- surexpression des oxydases de la famille TET (ten-eleven translocation methylcytosine dioxygenase), TET 1 à 3, responsable de la 5-hydroxyméthylation (5hm)

- sous-expression des méthyltransferases de l’ADN, DNMT1 et DNMT3A (deoxyribonucleic acid (cytosine-5-)-methyltransferase), évoquant la possibilité d’une déméthylation complète du génome cellulaire.

 Dérégulation de l’épitranscriptome. L’épitranscriptome est l'ensemble des « marques » apposées sur les ARN sans modifier leur séquence. Les mécanismes épitranscriptomiques sont fortement impliqués dans la régulation des cellules souches et la neurogenèse (Figure 23). Parmi les nombreuses modifications des ARNm identifiées jusqu’à maintenant, la N6-méthyladénosine (m6A) est la plus fréquente et affecte la structure et la fonction de l’ARN, incluant la dégradation des ARNm, la production de micro-ARN25et le contrôle de la traduction. L’ARN de ZIKV contient des N6-méthyladénosines (m6A) pouvant réguler la stabilité du génome, et des nucléosides 2-O-méthylés [71]. Il a été montré dans ZIKV qu’une diminution des m6A méthyltransférases ou des m6A déméthylases augmentait la production des m6A. Plus intéressant, les profils d’ARNm m6A des cellules humaines HEK293 sont aussi altérés par l’infection à ZIKV. Des études complémentaires sont nécessaires pour comprendre comment de telles dérégulations peuvent contribuer à la physiopathologie liée à ZIKV.

Protéines virales codées par le ZIKV et ARN non codants.

 Protéines virales codées par le ZIKV. Plusieurs études sont en cours pour appréhender la manière avec laquelle chacune des protéines de ZIKV affecte les propriétés cellulaires. Nous avons vu que l’infection par ZIKV pouvait stimuler l’autophagie dans les hNPCs en inhibant la voie Akt/mTOR. Il a été montré que l’expression des protéines NS4A et NS4B de ZIKV inhibait la phosphorylation d’Akt, diminuant ainsi le signal délivré par mTOR. La manière dont ces protéines inhibent la phosphorylation d’Akt reste à éclaircir. Ces protéines étant localisées dans le RE, il se peut qu’elles induisent un stress au niveau

25Les micro-ARN, ou miARN, sont des petits ARN simple brin non codants et impliqués dans la régulation de

l’expression génique. Au même titre que d’autres petits ARN non codants (comme les ARN interférents ou siARN), ils jouent un rôle clé dans le phénomène endogène de « silencing » de certains gènes par ARN interférence.

Revue bibliographique Chapitre 4.Virologie et pathogenèse du RE. Ce stress est souvent déclenché à la suite de la détection d’un excès de protéines mal formées au niveau du RE, lorsque la machinerie cellulaire est monopolisée pour la synthèse massive de constituants viraux. D’autre part, il a été montré dans les cellules humaines HEK293 que la protéine NS5 interagissait avec STAT2, faisant d’elle une cible privilégiée pour la dégradation par le protéasome (Figure 23).

 ARN non codants. La structure secondaire des extrémités 3’-NCR et 5’-NCR est importante pour la traduction virale et la régulation de la réplication des flavivirus, dont le ZIKV. Cependant, les données relatives à ZIKV sont encore peu nombreuses. Étant donné la similarité des structures secondaires des extrémités 3’NCR parmi les flavivirus, leur rôle dans les infections à ZIKV a pu être inféré à partir des données disponibles pour les autres flavivirus. Des études portant sur le WNV et les DENV ont montré que l’extrémité 3’-NCR réagissait avec deux protéines cellulaires liant l’ARN, TIA-1 (T-cell intracellular antigen-1) et TIAR (TIA-1-related protein). Ces protéines sont essentielles pour la formation de granules de stress et se concentrent au niveau du site de réplication de l’ARN viral. La délétion du gène codant pour cette extrémité affecte la réplication virale. Le ZIKV produit aussi un ARN subgénomique de flavivirus (sfARN) et des petits ARN non codants (sARN, small ARN) comme les micro-ARN (Figure 23). La façon dont ces petits ARN sont produits, régulés et impliqués dans l’infection virale n’est pas encore clairement définie. En revanche, il a été montré que le sfARN de DENV-2 interférait avec la protéine RIG-1 de la cellule-hôte en interagissant avec l’ubiquitine ligase TRIM25 (tripartite motif containing 25), conduisant ainsi à l’inhibition de la production de cytokines et interférons anti-viraux. Enfin, le sfARN des DENV est capable d’interagir avec différentes protéines associées aux granules de stress de manière semblable à l’extrémité 3’-NCR.