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Immunité humorale

4. VIROLOGIE ET PATHOGENÈSE

4.4. Virus Zika et réponse immunitaire

4.4.2. Immunité adaptative

4.4.2.2. Immunité humorale

La production d’anticorps conduit à l’élimination virale par plusieurs mécanismes complémentaires. Par leurs fragments Fab des chaînes légères, ils peuvent agir directement sur le virus libre en le neutralisant. Suite à la fixation des anticorps sur les antigènes viraux, les virus ne peuvent plus interagir avec leurs récepteurs cellulaires et deviennent non infectieux. Le fragment Fc de la chaîne lourde, quant à lui, porte les fonctions effectrices de l’anticorps. Sous forme d’immun-complexes, ils deviennent la cible de la lyse médiée par le complément et de l’opsonisation, ce qui accélère leur élimination. Les anticorps peuvent également reconnaître les cellules infectées et induire leur phagocytose ou leur lyse par le complément [70].

Certaines études ont montré que les anticorps anti-ZIKV étaient fréquemment dirigés contre les protéines structurales du virion (prM et E) et la protéine NS1. Étant donné que l’efficacité de la neutralisation dépend en grande partie de l’accessibilité à l’épitope, les chercheurs se sont jusqu’à présent surtout intéressés à l’ectodomaine15 de la protéine E (Figure 17). La structure tertiaire de l’ectodomaine est divisée en trois domaines : le domaine I central qui porte l’extrémité N-terminale ainsi que le site de N-glycosylation commun à tous les flavivirus, le domaine II, qui est composé de deux longues boucles formant une structure « en tête d’épingle » et permet la dimérisation et la fusion membranaire avec l’endosome, et le domaine III, de type immunoglobuline, qui permet l’attachement du virus aux cellules hôtes [74]. Les anticorps dirigés contre le domaine II possèdent une faible activité neutralisante (accessibilité limitée). D’autres épitopes sont plus complexes et se caractérisent par une structure quaternaire16 particulière, ce sont les EDE (E protein dimer-dependent epitope).

Figure 17. Structure de la protéine d’enveloppe [75]

Des anticorps monoclonaux anti-ZIKV humains et murins, hautement neutralisants, se lient aux différents épitopes de la protéine E. Ces épitopes sont des régions candidates pour la conception de nouveaux vaccins.

En règle générale, les épitopes sont soit spécifiques du virus, soit communs à plusieurs espèces du genre (e.g., EDE, FLE [Fusion-Loop Epitop],…) [27]. La similarité antigénique de ces épitopes peut être à l’origine de réactions croisées, et au cours de flaviviroses secondaires, d’un phénomène de potentialisation de l’infection ou à l’inverse d’une immunité croisée.

15Portion d’une protéine membranaire qui s’étend dans l’espace extracellulaire.

16 La structure quaternaire est la manière dont sont agencées les différentes chaînes protéiques d'une protéine

Revue bibliographique Chapitre 4.Virologie et pathogenèse Réaction croisée (ou cross-réactivité) entre le ZIKV et les flavivirus apparentés. La réaction croisée correspond à la capacité d’un site anticorps donné de réagir avec plus d’un déterminant antigénique. Pour le ZIKV, il existe plusieurs déterminants antigéniques à l’origine des réactions croisées. La protéine E, dont la séquence en acides aminés est hautement conservée dans le genre flavivirus, est l’une des principales protéines impliquées dans les réactions croisées. Pour exemple, les acides aminés de la protéine E de ZIKV diffèrent de 41-46 % par rapport au séro- complexe de DENV (Figure 18) [76]. A contrario, un certain nombre d’études suggèrent que les protéines non structurales seraient un peu plus spécifiques du virus, à commencer par les protéines NS1 et NS5 [77].

Figure 18. Similarité entre les protéines d’enveloppe de ZIKV et des DENV [27] En haut : les protéines d’enveloppe de ZIKV. En bas : les protéines d’enveloppe de DENV.

La figure montre les résidus d’acides aminés situés à la surface de la protéine E. Les couleurs représentent différents degrés de similarité. Les résidus en rouge correspondent aux appariements exacts et recouvrent une grande partie de la surface, ne laissant apparaître qu’une faible surface permettant de distinguer ZIKV de DENV. Les régions qui pourraient être utilisées pour les différencier ont été entourées de cercles verts et comprennent une région située près du site de glycosylation du domaine I, une tête d’épingle du domaine II et une tête d’épingle du domaine III. L’image a été obtenue par cristallographie.

Dans les tests de diagnostic sérologique, les réactions croisées observées sont dues à la synthèse d’anticorps dirigés contre de multiples virus antigéniquement proches. Pour les flavivirus, un phénomène plus particulier a été décrit. Il s’agit du « péché antigénique originel ». Ce phénomène tend à favoriser la réponse contre les antigènes préalablement rencontrés. Il semblerait que la mémoire immunitaire vis-à-vis du premier virus soit stimulée par le second contact et que cette réponse anamnestique inhibe partiellement la réponse spécifique contre le

deuxième antigène [68]. En pratique, les réactions croisées surviennent principalement lors des flaviviroses secondaires (i.e., patient ayant déjà développé une infection ou ayant été vacciné contre un autre flavivirus) [78], et dans une moindre mesure lors des flaviviroses primaires (primo-infection, i.e. premier contact avec le virus) [68]. Cette situation est la règle dans les zones d’endémie du ZIKV où d’autres flaviviroses circulent, surtout les DENV. À noter que les flaviviroses étant fréquemment asymptomatiques, la notion de flavivirose secondaire est parfois difficile à évaluer [79].

Potentialisation de l’infection par anticorps facilitants (ou ADE). Les sérums immuns ou les anticorps monoclonaux (Acm) anti-flavivirus sont capables d’augmenter de façon remarquable l’efficacité de l’infection des cellules exprimant les récepteurs Fcγ (RFc). Ce phénomène, appelé ADE (antibody-dependant enhancement), existe pour de nombreux flavivirus (e.g., WNV, même si son rôle dans la maladie n’a pas été établi [74]). Dans la dengue, l’ADE est présumé contribuer aux manifestations cliniques sévères observées dans les infections secondaires à DENV17. En effet, les individus infectés par un sérotype donné de DENV une première fois synthétisent des anticorps neutralisant définitivement les virus du sérotype infectant, mais vis-à- vis des autres sérotypes ces anticorps ne sont pas neutralisants ou sont présents à des concentrations infra-neutralisantes. En général, tous les anticorps capables de se lier au virion peuvent participer au phénomène d’ADE. Dans les zones endémiques, les 4 sérotypes de DENV circulent fréquemment ensemble ou se succèdent de manière cyclique. Les infections séquentielles ne sont donc pas rares. Au cours d’une infection secondaire par un second sérotype, les anticorps hétérologues opsonisent d’un côté les particules virales et, de l’autre, se fixent sur leurs récepteurs RFc. Cette interaction favorise l’internalisation du virus dans les principales cellules cibles que sont les monocytes-macrophages. Ces anticorps dits facilitants entraînent des charges virales plus importantes, prédisposant potentiellement à une maladie plus sévère [76]. De plus, l’entrée virale via le processus d’ADE peut moduler la réponse immunitaire innée vis-à-vis de l’infection et déclencher la libération de cytokines pro-inflammatoires [69]. Dejnirattisai et al. ont montré, in vitro, que l’antisérum humain et les Acm anti-dengue (anticorps « cross- réactants ») potentialisaient l’infection par ZIKV dans les cellules de la lignée myéloïde [76]. Réciproquement, certains Acm produits lors d’une infection à ZIKV (e.g., anti-EDE I/II) sont capables de potentialiser une infection à DENV chez la souris [69]. Chez le macaque rhésus, cependant, les études préliminaires n’ont pas montré d’augmentation de risque [33]. Si le risque

Revue bibliographique Chapitre 4.Virologie et pathogenèse d’ADE se généralisait à l’homme, il pourrait rendre le développement de vaccins particulièrement difficile. Par ailleurs, il sera important de savoir si les anticorps anti-DENV présents dans une population déjà immunisée contre la dengue facilitent la pénétration de ZIKV à travers la barrière placentaire et l'accès au fœtus en développement.

Immunité croisée. À l’inverse, la ressemblance antigénique peut être à l’origine d’immunité croisée, même partielle, lors d’infections simultanées ou séquentielles par différents flavivirus. Le rôle des anticorps « cross-réactants » est par conséquent encore incertain. Fait important, si cette caractéristique est bien exploitée, elle pourrait conduire au développement d’anticorps (immunoprophylaxie passive pré- et post-exposition) ou de vaccins (immunoprophylaxie active) capables d’induire une protection croisée vis-à-vis de divers flavivirus.