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LES PEUPLES ET LES LANGUES

2. LES PEUPLES

2.1. LES LUBA

La composition de la population luba est assez complexe à déterminer. Trois groupes se distinguent généralement : les Luba orientaux, centraux et occi-dentaux. Les Luba orientaux se composent prin-cipalement des : Kunda, Lumbu, Boyo, Kalanga et Zimba. Ils furent très longtemps connus comme les Luba « Hemba », appellation qui contribua à créer une confusion avec d’autres groupes vivant au nord de la Lukuga. Cette dénomination couvre également des Luba habitant la région comprise à l’est de la dépression de l’Upemba, entre le Lualaba et les lacs Tanganyika et Moëro. Il y a des Luba à Kongolo et à Nyunzu. Certains groupes se sont constitués à Kale-mie sur la rive du lac Tanganyika ; d’autres sont répar-tis le long de la Lukuga et de Makalumbi à Kabalo.

D’autres encore peuplent la région de la Luvua, de Kyombo à Ankoro, à Kiambi et la cité de Manono, dont les Luba représentent 30 % de la population (Neyt 1993 : 222-223).

Les Luba seraient venus de l’est du Lualaba et de l’Upemba, une lagune située près du lac Kisale.

Cependant, l’origine du groupe ne se situerait ni à l’extrême Sud-Ouest (lac Kisale) ni au lac Bangwelo, ni même au Maniema dans le Nord-Ouest, mais plus loin encore vers l’Orient.

Cette origine est en fait intimement liée à leur histoire politique, elle-même caractérisée par une série de rebondissements monarchiques souvent dus à des éléments extérieurs. Ce sont ces événe-ments qui permettent de la diviser en deux grandes périodes : la période des empires (luba) et la période de leur désintégration.

2.1.1. LA PÉRIODE DES EMPIRES (Neyt 1993 : 228-231) La genèse du royaume luba est liée à la généa-logie des rois. Aux dires mêmes de l’historien Th. Q. Reefe, cette généalogie est une reconstruction

composite basée sur des sources diverses. L’ordre des trois premiers noms est déterminé par les premiers récits mythiques : (1) Kalala Ilunga (appelé Mwine Munza) ; (2) Ilunga Mwila et (3) Kasongo Mwine Kibanza. Les sources divergent sur l’ordre des rois suivants, mais quatre noms reviennent régulière-ment : (4) Kasongo Bonswe, (5) Kasongo Kabun-dulu ; (6) Ngoye Sanza et (7) Kumwimbe Mputu. En revanche, en ce qui concerne les six derniers rois, presque toutes les sources s’accordent sur leurs noms, à savoir : (8) Ndaye Mwine Nkombe ; (9) Kadilo ; (10) Kekenya ; (11) Ilunga Sungu ; (12) Kumwimbe Ngombe et (13) Ilunga Kabale. Enfin, les enfants du dernier roi, Ilunga Kabale, rivalisèrent entre eux pour lui succéder à la fin du xixe et au début du xxe siècle. Ces derniers noms sont associés à la fin du royaume luba et à l’époque coloniale.

La chronologie de ces dynasties demeure toutefois approximative. Si le roi Ilunga Kabale est le dernier souverain à régner sur l’intégralité de son royaume, il est aussi le premier dont la mort peut être fixée avec quelque précision, fin 1870. Les témoignages de David Livingstone et de Vernon Lovett Cameron sont précieux à cet égard. Les explorateurs portugais H. Capello de Britto et R. Ivens, qui découvrent le centre de l’Angola dans les années 1877-1880, rap-portent que Kasongo Kalombo est un souverain luba important. Mais, déjà, les conflits de succession se multiplient. Le royaume éclate en deux branches.

La première est celle de Kasongo Nyembo, dont la capitale se trouve à Kinkunki près de Kamina ; les princes Ndaye Emmanuel et Kisula Ngoy en sont des descendants directs. Quant à l’autre branche, issue du frère de Kasongo Nyembo, Kabongo Kumwimbe Tshimbu, elle demeure à Kabongo et les princes Kalowa Boniface et Makasa en font partie.

La connaissance des principaux moments de l’expansion du royaume luba est fondamentale pour l’historien de l’art. Elle éclaire singulièrement la dif-fusion de certains regalia, tels les sièges à cariatide.

Cette expansion se fit principalement sous les règnes de trois rois importants : Ilunga Sungu (1780-1810), Kumwimbe Ngombe (1810-1840), qui fut en contact avec les Portugais au sud-est de son royaume, et Ilunga Kabale (1840-1870).

La période d’expansion et d’assimilation des peuples vivant aux marches du royaume régressa vers les années 1880 ; puis, très vite après cette date, le royaume luba connut un déclin. À chacun de ces trois règnes est liée une étape de croissance et, corrélativement, l’émergence et le développement de

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différents ateliers de sculpture liés à la sensibilité des peuples concernés.

2.1.2. LE RÈGNE D’ILUNGA SUNGU : 1780-1810

Le jeune prince Ilunga Sungu se rattache par sa mère aux grandes familles songye, plus précisément à celle des Ilande. Il recevait en tribut des plumes blanches de pigeon et des plumes rouges de perro-quet que les Songye exportaient jusqu’au Kasaï et dont les rois luba ornaient leurs coiffures.

Son règne se caractérise par la constitution d’un État tampon à l’ouest, entre les Lunda et les Luba.

C’est le royaume kanyok, situé entre les rives de la Mbuji-Mayi à l’ouest et de la Lubilash à l’est. À côté se trouvent des familles kalundwe, limitrophes de la Lubilash et aussi du pays luba, par la rivière Luembe.

Mais c’est surtout l’ouverture orientale du royaume qui est digne d’être mentionnée, car le territoire compris entre la Lukuga et la Luvua va retenir toute l’attention du souverain.

Une première percée victorieuse va conduire les troupes luba jusqu’à la sortie des eaux de la Lukuga du lac Tanganyika. Là, dans les environs de Kalemie, les Luba vont s’établir au milieu de populations dites holoholo. Puis, un des fils du roi va remonter du sud au nord deux vallées célèbres qui, de la moyenne Luvua, donnent accès au lac Tanganyika en suivant les rivières Balaï et Luizi, un passage stratégique. Le roi Ilunga Sungu accordera sa faveur à un prince local d’origine tumbwe, du nom de Sopola, et l’aidera à fonder un petit royaume pour s’assurer l’allégeance des chefs voisins. Le crédit de Sopola, occupant le premier rang à la cour royale luba, indique suffisam-ment l’importance stratégique que le roi accordait à ce royaume tributaire du sien.

Sopola est bel et bien roi selon une vieille tradi-tion remontant aux mythes de l’origine du royaume luba. Le repas de Kalala Ilunga était préparé sur un feu qui ne devait jamais s’éteindre durant son règne.

Ce privilège de posséder « la place du feu » et de deve-nir un roi « possesseur du feu » fut exceptionnelle-ment accordé à Sopola et à ses successeurs de sang royal par filiation matrilinéaire. C’est l’origine du titre kipona mya sopola (le trône de Sopola) ; il évoque les sièges sculptés où une cariatide agenouillée, aux mains levées, qui porte la tablette d’un trône, symbole de la royauté chez les Luba orientaux matrilinéaires.

En outre, le roi Sopola reçut de son souverain Ilunga Sungu une lance royale et un bouclier, signes de l’appui du roi luba aux populations orientales.

2.1.3. LE RÈGNE DE KUMWIMBE NGOMBE (1810-1840) Successeur d’Ilunga Sungu, Kumwimbe Ngombe régna trente ans, comme les deux autres. La nouvelle capitale Budyende se situait à 24 km du centre précé-dent, sur le versant occidental du district de Mashyo.

Son règne fut marqué par deux expansions impor-tantes du royaume, l’une au nord-est, dans la région de Kabalo ; l’autre au sud-est, renforçant son hégémo-nie sur la dépression de l’Upemba et le triangle s’élar-gissant vers le lac Moëro et, au sud, vers le Luapula.

Comme la sagesse le recommandait, le souverain plaça un prétendant au trône aux marches septen-trionales du royaume. Ce nouveau roi-vassal reçut lui aussi le feu royal qui le consacrait comme fils symbolique. Buki, tel était son nom, fut un souve-rain entreprenant, qui se tailla son petit domaine dans le grand royaume. Il s’arrogea, outre le feu sacré, les autres insignes royaux et organisa sa région en accordant, à son tour, les emblèmes royaux à ses propres vassaux. Le royaume de Buki se développa autour de Kabalo. À l’ouest, il s’étendait jusque sur les rives du Lomami, à l’intérieur du pays songye ; à l’est, il arrivait jusque chez les Tabwa.

Pour en revenir au roi Kumwimbe Ngombe, c’est surtout dans le sud-est du royaume qu’il prit de nombreuses initiatives. Toutes ses actions s’inscri-vaient dans le triangle allant du nord de l’Upemba au lac Moëro et redescendant, ensuite, vers les rives du Luapula pour rejoindre la dépression de l’Upemba par la Lufira et le petit royaume de Kayumba.

Dans la capitale royale, le poisson séché que le roi de Kinkondja Mutonkole Umbunda (« lui qui eut des enfants aussi noirs que le vautour ») envoyait en tri-but marqua les mémoires.

La ville de Mulongo, à l’extrémité nord du lac Kabamba, à la sortie des eaux de la dépression de l’Upemba dans le Lualaba, est un autre point clé, lieu de passage obligé entre l’ouest et l’est : messagers, troupes, populations devaient nécessairement y pas-ser. Le roi luba occupa cette ville par l’envoi d’une sorte de gouverneur personnel, son twite, qui y com-mandait, avec l’aide des Lomotwa de Mufunga.

La grande percée du royaume s’amplifia tout au long de la Luvua, depuis Ankoro où s’étaient établis des Luba orientaux, farouches indépendantistes. Elle se poursuivit en plusieurs étapes le long de la haute Luvua et de la rivière Pungwe. Dans la moyenne Luvua, les successeurs de Sopola (dit Kyimbo Nku-bwa) avaient fait alliance avec d’autres chefs locaux et s’étaient tournés vers Kazembe, le roi des Lunda,

TROISIÈME PARTIE : LES HOMMES

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pour obtenir son appui. En effet, les mines de sel, situées à quelque 400 km de la capitale, mettaient les Luba en rapport avec les Bisa et favorisaient le com-merce à longue distance avec la côte. Le roi luba eut ainsi des contacts avec les Bwile, les Tumbwe et les Tabwa. Il soutint Kayabola, le chef tabwa de souche zimba. Les Kundu se rallièrent aussi à son royaume.

2.1.4. LE RÈGNE D’ILUNGA KABALE (1840-1870) Ilunga Kabale apprit la mort de son père alors qu’il séjournait à Kinkondja. À son retour, il éta-blit sa capitale aux abords des salines du Mashyo, à Kimungu. Son règne se déroula dans la continuité de son prédécesseur, c’est-à-dire qu’il consolida l’orga-nisation du royaume et l’étendit surtout au nord-est.

Plus significatives encore furent ses actions poli-tiques et militaires en pays songye, kusu et hemba.

Celles-ci consistaient en des implantations de popu-lations luba chez les Songye, entre la rivière Luembe et la Lubengule ; ses représentants portaient les titres

de noblesse de mwine (« homme ») et mwanana (« femme »).

Au nord, les troupes luba se heurtèrent aux Ika-lebwe songye et les combats ne leur furent pas tou-jours favorables. Plus au nord-est, le roi luba reçut l’allégeance du chef Lusuna des Kusu, des Tetela occidentaux et des Genya, les pêcheurs et passeurs de fleuve. Son influence s’étendit jusqu’aux salines et aux mines de fer de la région de Nyangwe. Dans ces opérations, les alliances matrimoniales demeurèrent un atout non négligeable.

Tels furent les faits essentiels du règne du dernier grand roi luba ; ils se situent au début d’une période difficile dans le sud-est congolais, avec l’apparition des esclavagistes et des premiers explorateurs européens.

2.1.5. LA PÉRIODE DE LA DÉSINTÉGRATION DES EMPIRES

La seconde période, dite de la désintégration des empires, débute avec l’expansion arabe dans l’est

Carte ethnographique de la région des Baluba-Hemba.

Source : Viaene (1913).

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du pays. Elle fut caractérisée par des razzias répé-tées et la dislocation ou l’éclatement des chefferies.

Lorsque le pouvoir colonial en passe de s’installer réussit à balayer la puissance arabe de la carte afri-caine grâce aux campagnes antiesclavagistes, sa pre-mière nécessité fut de procéder au recrutement de la main-d’œuvre pour les sociétés minières et les che-mins de fer. S’ouvrit alors une période de relations diplomatiques entre Européens et les quelques chefs des Luba demeurés à la tête de lambeaux de chef-feries, mais sans réelle emprise sur la population.

Cette collaboration entraîna l’exode massif, et sou-vent forcé, de nombreux Luba vers les chantiers de travail des compagnies minières et de chemins de fer. C’est dans ce contexte que de nombreux Luba s’installèrent quasi définitivement le long des rails de la Compagnie des chemins de fer des Grands Lacs et du Congo supérieur (CFL). Ils se retrouvent tour à tour à Kongolo, à Kabalo et à Albertville (Kalemie), chefs-lieux des territoires actuels du district du Tan-ganyika portant les mêmes noms.

Comme les Songye (voir infra), les groupes luntu et mputu firent partie du premier empire luba. Ils s’en détachèrent par suite de la famine qui sévissait au Katanga. D’après Mabika Kalanda, c’est entre 1750 et 1800 qu’ils arrivèrent dans les territoires qu’ils occupent actuellement ; ceux de Dimbelenge ([Bakwa]-Luntu) et de Lusambo ([Bakwa]-Mputu) (Mabika Kalanda cité par Willame 1964 : 36-37).