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L’IMPLANTATION ET LA CONSOLIDATION À l’époque coloniale, certains Arabisés

LES PEUPLES ET LES LANGUES

2. LES PEUPLES

2.5. LES ARABISÉS OU WANGWANA

2.5.1. L’IMPLANTATION ET LA CONSOLIDATION À l’époque coloniale, certains Arabisés

origi-naires de la côte orientale de l’océan Indien vivaient dans des agglomérations disséminées sur les deux rives du lac Tanganyika, au Kivu, au Tanganyika et au Maniema. D’autres commerçants arabisés, en provenance du Soudan égyptien, étaient actifs dans les royaumes zande dans le bassin de l’Uele, au nord du Congo.

Ces (Wa)Ngwana influencèrent les cultures locales ou imposèrent parfois leur architecture et leur mode vestimentaire, dont la longue robe musulmane était le meilleur symbole. Lors de leur pénétration au Congo, les deux groupes d’Arabisés introduisirent tant la langue arabe que le swahili, devenu lingua franca. En outre, dans certaines régions, les popula-tions autochtones adoptèrent certaines coutumes et mœurs arabes (Luffin 2004 : 373-398).

À maints égards, dans la seconde moitié du xixe siècle, l’histoire de l’Afrique orientale et centrale dans l’État indépendant du Congo fut dominée par les invasions arabe et européenne. Partant de l’île de Zanzibar, cette pénétration commerciale, scienti-fique, missionnaire et politique visait en premier lieu les Grands Lacs : le lac Tanganyika, le lac Victoria et

« Lac Jaune » situé à 20 km au nord de Kalemie et parsemé de plusieurs îles.

Selon une légende locale, des esclaves furent embarqués ici et transportés vers Ujiji en Tanzanie.

(Collection MRAC Tervuren [fonds L. de Winter], 2010, droits réservés).

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le lac Nyassa (Renault 1971 ; Haddad 1983 ; Kisonga

& Nkuku 1987 : 127-142). L’ouest du lac Tanganyika, qui n’était à l’époque qu’un repaire de fauves, une zone de hauts plateaux et de marais boueux, devint aussi une région de chasse gagnée au commerce des esclaves. Les vols de femmes et d’enfants en bas âge étaient des faits journaliers dans cette partie du pays où le commerce de l’ivoire allait de pair avec celui des esclaves (Antoine 1945 : 9-32).

L’expansion arabe prit différentes formes, selon les conditions physiques et humaines des différentes régions. Cependant, quelques traits fondamentaux communs la caractérisaient. Elle ne fut pas une conquête territoriale, mais consista plutôt en l’ouver-ture de grands axes qui, en se prolongeant, se rejoi-gnaient jusqu’à former un réseau2. Ces différents axes formaient eux-mêmes des points de départ pour l’exploitation des pays voisins, selon les possi-bilités3. Un ensemble de densité inégale, mais vaste, finit par se constituer.

Des centres de résidence quasi permanents s’y répartissaient de façon tout aussi inégale (« centres de résidence » : c’est-à-dire villes contrôlant la région aux alentours, centre de commerce), mais jouissant d’une influence importante. Les Arabes y reconsti-tuèrent tout naturellement les conditions de vie de leurs pays d’origine en y intégrant plus ou moins la population locale, comme à Udjidji où une hié-rarchie sociale s’édifiait ainsi : au sommet les « vrais » Arabes et les commerçants les plus importants, ensuite la classe moyenne formée par les (Wa)Djidji et les Ngwana, enfin, les esclaves, qui constituaient la plus grande partie de la population. Comme à Zanzibar, ces derniers se subdivisaient en esclaves domestiques et en travailleurs de plantations. Pour les harems, les femmes d’Ouganda et du Maniema étaient particulièrement recherchées en raison de leur complexion. Dans les maisons, gravitait autour du maître tout un cercle de gens de confiance venus avec lui de la côte ou distingués sur place parmi les hommes achetés et donnés comme volontaires.

2 Ainsi, par exemple, de Tabora à Kazembe, les caravanes rejoignaient assez facilement celles du lac Nyassa. Et Tippo-Tip, marchand d’esclaves originaire de Zanzibar, une fois arrivé dans l’Utetela par le sud du lac Tanganyika, n’eut qu’à pousser un peu plus au nord pour retrouver, à Nyangwe, les traitants venus d’Udjidji.

3 Certains pays se fermaient rigoureusement à toute pénétra-tion, comme le Ruanda, d’autres s’y ouvraient, mais en se plaçant sur un pied d’égalité, comme les Yao ; d’autres étaient soumis et payaient tribut comme au Congo.

La pénétration arabe ne se réalisa pas par dépla-cement de masses humaines, comme ce fut le cas lors des migrations des Ngoni venus du sud ou des invasions des Chokwe venus de l’ouest, ou encore de la formation du royaume de Msiri avec les Yeke, qui ne conquirent de nouvelles positions qu’en aban-donnant les précédentes4. Elle ne se basait pas non plus sur une violence systématique, mais plutôt sur le talent des Arabo-swahili à superposer leur culture et leur structure sociale aux structures locales, tout en s’intégrant en même temps à ces dernières.

Certes, l’emploi de la force brutale chez les Arabo-swahili ne manqua pas. Mais il ne les empêcha pas de laisser une marge de manœuvre et d’autonomie aux autochtones, faisant même preuve en cela d’une certaine diplomatie. Toutefois, les ententes conclues aboutissaient souvent à des actions guerrières et, à considérer l’ensemble de leurs zones de pénétration, une grande souplesse dans les moyens employés est à remarquer chez les Arabes. Ils surent s’intro-duire dans des régions très diverses : physiquement (grande forêt équatoriale et savane tropicale) et humainement (États puissants ou groupes inorgani-sés). Là où les migrations ngoni, chokwe, malgré leur forte présence, s’essoufflèrent rapidement, les Arabo-swahili s’implantèrent durablement en intégrant les populations locales à leur système. Plus que d’une implantation, il s’agissait d’un accroissement de leur aire d’opérations, auquel il ne fut définitivement mis fin qu’à la fin du xixe siècle, avec l’arrivée des Européens. Ces différences découlent du caractère exclusivement commercial de la pénétration arabo-swahili en Afrique centrale, où son influence et le dynamisme commercial qu’elle imprima se matéria-lisèrent par la création de certaines richesses locales.

Après la consolidation des positions arabo- swahili sur la côte orientale et le début de leurs incursions à l’intérieur des terres, certaines popu-lations africaines entrèrent vite en contact avec eux et élargirent leurs relations commerciales. C’est le cas des Shaga et des Kamba au Kilimandjaro, et des Sumba de Tanzanie (Kalungwe 1974 : 61). Au début, ces routes commerciales suivaient les sentiers bat-tus par les nyamwezi : limité à Isanga, localité située

4 Ces divers mouvements (Chokwe, Ngoni, Yeke) ont revêtu un caractère massif avec assimilation progressive des popula-tions rencontrées. La progression s’est faite à peu près exclusi-vement par actions guerrières, et ladite progression se terminait par la fixation d’un ou plusieurs groupes en des régions bien circonscrites.

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juste au milieu du pays de Gamoyo (océan Indien) et de Karema (lac Tanganyika). C’est vers 1850 que les Arabo-swahili entreprirent de fonder une colo-nie importante à l’endroit qui allait, quelques années plus tard, s’appeler Tabora. De cette localité partait une route qui conduisait jusqu’au Buganda où un Arabo-swahili, un certain Ibrahim, serait arrivé en 1844 (Renault 1971 : 39-50). Une autre route par-tait de Tabora vers le lac Tanganyika en passant par Udjidji. Elle permettait d’atteindre le Congo soit par la traversée du lac, soit alors par la voie passant par le Buha, le Burundi pour aboutir à Uvira, point de transit vers le Maniema, l’Urua et le Bubembe (Mwendanababo 1987 : 14-15). Deux Swahili, dont les identités ne sont pas connues, visitèrent Udjidji pour la première fois en 1840, alors qu’un centre important s’y établissait avec, comme chef reconnu, un certain Mwenyi Heri. D’Udjidji deux voies impor-tantes touchaient le sud-est du Congo. La première traversait le lac Tanganyika, aboutissait à Mpala et, de là, passait dans l’Urua. De l’Urua, il était possible de joindre facilement les terres de Mwant Kazembe.

Une autre voie était lacustre. Avec des pirogues ou des voiliers qui descendaient le lac dans sa lon-gueur jusqu’au sud, la trajectoire tournait vers l’ouest pour rejoindre les routes commerciales de l’Urua.

Ce fut d’abord la recherche de l’ivoire qui attira les trafiquants arabisés vers l’intérieur du conti-nent. Par la suite, le seul commerce de l’ivoire s’étant avéré insuffisant, il fut complété par le trafic d’êtres humains. À noter que le commerce de l’ivoire était plus profitable, car celui des esclaves occasionnait tout au long du parcours de fortes pertes ; ce qui alourdissait les conditions de trafic, alors que l’ivoire pouvait être conservé indéfiniment. Néanmoins, l’esclave, comme le fait ressortir F. Renault, avait bien d’autres avantages. Il constituait un moyen de trans-port parfait, capable de trans-porter de lourds fardeaux de l’intérieur du continent jusqu’à la côte. Il était aussi une marchandise fort appréciée ; car, même si son prix de vente à la côte ne dépassait pas son prix d’achat à l’intérieur du continent, il rapportait plus au traitant arabo-swahili qui l’aurait utilisé au départ comme moyen de transport et qui, pour sûr, allait l’écouler ensuite auprès des planteurs de Zanzibar (Renault 1971 : 323-324).

En définitive, la traite du bois d’ébène était donc aussi rentable que celle de l’ivoire. C’était là deux richesses inséparables, car elles se complétaient selon la formule « l’esclave portant l’ivoire et l’ivoire créant l’esclave ». Au départ, les traitants se

procu-raient les esclaves grâce au concours des populations autochtones où l’esclavage existait déjà. Par la suite, la demande de cette denrée étant devenue de plus en plus croissante, ils se mirent à procéder par razzias systématiques au cours desquelles des femmes, des hommes et même des enfants étaient enlevés.

L’esclavage, c’est-à-dire la possession d’êtres hu-mains en propriété privée, existait en Afrique depuis des temps reculés, comme dans d’autres coins du monde. Il s’agissait alors d’un phénomène relative-ment mineur et limité. Mais l’esclavage comme phé-nomène lucratif est un concept nouveau imaginé par l’esprit mercantiliste et impérialiste de l’Occident.

Pour rappel, ce commerce allait de l’Europe vers l’Amérique via l’Afrique. Ce qui lui valut le triste-ment célèbre nom de commerce triangulaire. C’est dans ce circuit que naquit le commerce des esclaves noirs pratiqué à grande échelle par les Arabes et Arabo-swahili sur la côte est de l’Afrique, au centre et à travers le désert du Sahara5.

Les premiers arrivés dans le Marungu furent les Arabo-swahili appelés « Wangwana » (hommes civilisés) en swahili. Ils venaient de Zanzibar où ils avaient auparavant développé des plantations de girofliers nécessitant une main-d’œuvre abondante.

Ils arrivèrent vers 1845 au bord du lac Tanganyika où, au début, ils évitèrent d’effaroucher les popula-tions établies sur la côte. Ils avaient tout simplement besoin d’elles pour la garde de leurs embarcations, de leurs dépôts de marchandises et de leurs cargai-sons d’esclaves. En échange du service rendu, ils leur remettaient des articles de traite : savons, allumettes, assiettes émaillées, étoffes, perles ou leur imitation en faïence. C’est ainsi qu’à Lubanda (Mpala), le cheik Saïd Ben Habib et, plus tard, Djuma Merikani, pro-tégèrent les chefs de la dynastie Mpala de 1869 à 1880 (Nagant & Ali 1987 ; 1988).

La recherche de l’ivoire et des esclaves conduisit à la naissance de marchés intérieurs situés dans les différentes zones gagnées au commerce arabe. Ce paragraphe retrace brièvement la chronologie des faits.

5 Le principe de départ était le suivant : si le Coran interdit aux musulmans de réduire en esclaves d’autres humains, il n’inter-dit cependant pas l’esclavage, il permet de l’imposer à ceux qui s’opposent à la foi islamique. Aussi, l’esclavage a-t-il toujours été pratiqué dans les territoires pénétrés par les Arabes. Notons que les Arabo-Swahili travaillaient pour leur compte (et non pour celui de la religion), se livrant couramment à des razzias dans les régions visitées et amenant en captivité les personnes qu’ils pouvaient prendre vivantes.

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Avant le xixe siècle, la côte est de l’Afrique avait déjà connu des siècles de présence étrangère. Mais ce n’est que vers le milieu de ce siècle que ces étrangers se risquèrent à pénétrer plus profondément dans les terres, au point d’atteindre le Katanga entre 1840 et 1850. À ce moment-là, l’Europe connaissait sa révo-lution industrielle et la demande en esclaves et en ivoire augmenta très soudainement, ainsi que leur prix également (l’ivoire pour l’export et les esclaves pour leur exploitation dans les plantations de Zanzi-bar). Les éléphants et les hommes se faisant rares sur la côte orientale du lac Tanganyika, les commerçants arabes pénétrèrent toujours plus loin à l’intérieur des terres. Dès les années 1860, le Congo devint la source principale d’ivoire et d’esclaves pour les mar-chands côtiers.

L’élargissement de ces marchés aboutit à la création des centres de négoce d’où partaient les caravanes. Dans ces zones se trouvaient des trai-tants permanents qui contrôlaient la chasse et les échanges avec les autochtones. Ces traitants orga-nisaient aussi le départ des caravanes vers les côtes mais ne jouaient pas le rôle d’autorités politiques, même s’ils exerçaient une influence sur les chefs locaux, devenus leurs complices. L’autorité politique arabo-swahili s’installa uniquement dans les régions d’occupation comme le Maniema, avec Tippo-Tip, marchand d’esclaves originaire de Zanzibar, et plus tard dans le Litabwa où le même Tippo-Tip déposa le grand chef tabwa, Nsama, en 1867.

Certains coins de la région du Tanganyika res-tèrent encore des zones d’influence gagnées au com-merce avec la côte, mais gardant leurs structures politiques traditionnelles.

Les Arabo-swahili avaient déjà atteint cette zone de forêt, quand, après 1870, ils traversèrent le lac Tanganyika pour s’établir dans l’Uguha, au nord de l’Urua. Mais, peu de temps après, ils se tournèrent vers le sud pour se diriger sur Kazembe, tentative qui fit cependant long feu. Jusqu’alors, ils avaient parcouru des pays de steppes ou de savanes relati-vement aisées pour le déplacement et où les habi-tants étaient habitués aux étrangers. Par contre, la grande forêt présentait un tout autre milieu : maints obstacles s’opposaient à la circulation, surtout celle des caravanes, et les populations y vivaient dans un isolement qui ne les avait pas préparées à accueillir de nouveaux venus. Toutefois, certains avantages contrebalançaient ces difficultés. En effet, à travers la forêt, le fleuve Congo formait une magnifique voie de passage pour la simple raison que les populations

étaient émiettées en groupes réduits, le plus sou-vent en situation d’infériorité vis-à-vis de traitants organisés et nettement plus nombreux. Là, ces der-niers étaient à l’abri de l’œil de toute autorité locale gênante. Ils pouvaient ainsi être les maîtres absolus et avoir jeu libre, de sorte que ce fut paradoxalement dans ce milieu tout naturellement hostile et ouvert plus tardivement qu’ils exercèrent, en définitive, l’ac-tion la plus puissante, sinon la plus dévastatrice.

Les premiers à s’engager dans ces contrées ne furent pas des commerçants au sens strict du terme, et n’emportaient pratiquement pas d’objets d’échange ; c’étaient des aventuriers ngwana qui tentaient leur chance dans un milieu encore vierge. Ils s’installèrent alors sur place, pillant, si nécessaire, les villages voi-sins, comme cela arriva maintes fois au Maniema (Renault 1971 : 62).

À Zanzibar, les gens du Tanganyika étaient fort recherchés, car ces esclaves étaient réputés excellents ouvriers agricoles et dociles à leurs maîtres. C’est ainsi que la région de Moba fut un lieu de chasse de prédilection pour le commerce arabe. À l’époque, le plateau de Marungu (qui couvre la presque totalité du territoire de Moba) n’était encore qu’une brousse hostile, un repaire de fauves, une zone de collines et de marais boueux. Les traitants arabo-swahili fré-quentèrent régulièrement cette région où des jeunes gens et des jeunes filles étaient enlevés presque jour-nellement et vendus comme esclaves sur les marchés d’Afrique orientale.

Stefano Kaoze décrivit le commerce des esclaves et ses conséquences dans la région de Marungu.

De par sa proximité avec les populations prati-quant le trafic d’esclaves, notamment les nyam-wezi, le Marungu joua un rôle déterminant dans les incursions négrières sur le territoire de Moba.

Les postes de Karema et de Kirando, tous deux en face de Kirungu, déversaient sur le lac Tanganyika des bandes de chercheurs d’esclaves. À la faveur du vent soufflant d’est en ouest le jour (karema) et dans le sens inverse la nuit (lubangwe), celles-ci traver-saient assez facilement le lac, razziaient le Marungu et repartaient la nuit avec le butin. Les villages de Mpala (au nord) et de Kapampa (au sud), respective-ment en face de Karema et de Kirando, servaient de point de pénétration vers l’intérieur de la région, car c’est là que venaient s’entasser les navires des mar-chands d’esclaves avant de repartir nuitamment.

Dans le Marungu se trouvaient les deux denrées les plus recherchées : l’ivoire et l’esclave. Les hordes d’éléphants n’étaient pas longues à trouver. Elles

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fréquentaient les cours d’eau tributaires du lac de tout l’arrière-pays du Marungu. Ces éléphants étaient surtout nombreux dans les chefferies Kansa-bala, Kayabala et Nganie actuelles, et les nyamwezi qui fréquentaient le Marungu se livraient tout parti-culièrement à la chasse de ces herbivores.

Les hommes n’y manquaient pas non plus, car le Marungu semble avoir été très peuplé à cette époque, si l’on s’en tient aux déclarations des voya-geurs qui eurent à traverser la région. Celles-ci ne suffisent cependant pas à donner lieu à des estima-tions exactes.

Ce trafic fut donc l’œuvre des commerçants arabes et arabisés à partir des centres de négoce de la côte de l’océan Indien vers le Maniema, le Buvira et le Bubembe (Kivu). Ces trafiquants se joignaient aux autres traitants en provenance de l’Unyanyembe en Tanzanie et considéraient la région comme un véri-table réservoir d’ivoire. Pour le collecter, les Arabo-swahili bénéficiaient du concours très efficace des ngwana et des ruga-ruga, leurs fidèles collaborateurs à l’intérieur des terres.

Le terme « ruga-ruga » désignait, en bloc, les mer-cenaires recrutés pour une action armée (la chasse ou la guerre) et les brigands occasionnels opérant par groupes très réduits de quatre à cinq individus.

Le plus souvent ces mercenaires étaient des éléments enlevés de leur milieu à la suite des guerres ou des razzias. Des razzias, il y en avait fréquemment entre le Tanganyika et le Nyassa. Il s’agissait aussi des fuyards rescapés des raids des Ngoni et des Bemba (Kalungwe 1974 : 61).

Selon F. Renault, les ngwana étaient d’abord des habitants de la côte commerçant à leur propre compte ou à celui des Arabes. Au fil du temps, le terme finit par désigner indistinctement les gens de la côte, les gens de l’intérieur et les esclaves associés de plus près aux affaires du maître. C’est leur adoption de certaines coutumes arabes qui leur valut l’appellation de « wan-gwana » (Renault 1971 : 54). Ils se voyaient confier la direction des caravanes, la garde des entrepôts et la charge des entreprises commerciales connexes. Dans le cas des chefs importants comme Tippo-Tip et Rumaliza, ce furent également ces ngwana qui s’occu-paient du prélèvement du tribut chez les populations soumises. Le vocable désignait anormalement aussi d’anciens esclaves affranchis ou de petits trafiquants qui, de concert avec quelques éléments locaux, se lan-çaient à leur propre compte. La plupart du temps, ils razziaient dans les contrées jugées peu propices par les grands traitants.

Les rapines négrières n’étaient pas sans consé-quences. En parler revient à analyser le commerce des esclaves lui-même, en envisageant les retombées de toutes les considérations quantitatives et qualita-tives dans la région dans tous les aspects de la vie : politique, démographique, économique, culturel et social.