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Une loi ambiguë, source d’incertitude

B) Une place importante de l’autorité administrative dans la politique de soutien à la production d’électricité renouvelable

2) Une loi ambiguë, source d’incertitude

355. Cette différence, sinon cette contradiction, entre les objectifs de nature politique énoncés à l’article premier de la LTECV et la politique suivie par les pouvoirs publics pose la question du manque de clarté et d'intelligibilité, voire du caractère équivoque, des dispositions programmatiques de la LTECV.

356. Le caractère peu clair, complexe à mettre en œuvre, du cadre de la politique de l’énergie mis en place par l’article premier de la LTECV a fait l’objet d’une importante controverse au cours de la discussion parlementaire, avant d’être toutefois validé par le Conseil constitutionnel. Il a en effet été souligné et rappelé plusieurs fois au cours des débats que les objectifs et moyens de la politique de l’énergie ne sont pas hiérarchisés. Au contraire, selon le ministre chargé de l’énergie, ils « ont tous la même importance et le même

intérêt »309. Ce choix a fait l’objet de fortes critiques de l’opposition, qui a souligné les inconvénients d’un article assignant plusieurs objectifs à une même politique, qui elle-même couvre des champs très différents, sans lier un objectif particulier à chaque aspect de la politique de l’énergie. Ainsi, cette multiplicité de finalités, d’instruments et d’objectifs chiffrés non hiérarchisés serait contraire à une méthode qui voudrait, par analogie avec la « loi de Taylor » en politique monétaire, qu’à un objectif corresponde un instrument spécifique310. Ni la multiplicité d’objectifs, ni leur formulation en termes généraux et vagues, n’ont cependant été jugées contraire à l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi par le Conseil constitutionnel, en raison de la nature programmatique des dispositions de l’article premier de la LTECV. Celui-ci avait d’ailleurs déjà jugé, relativement à la loi POPE, que le grief tiré de l’imprécision des dispositions programmatiques de cette loi ne pouvait être invoqué, en raison précisément de leur portée non normative311. De manière cohérente, il a jugé que, le titre premier de la LTECV étant sans portée normative, « ne sauraient davantage

être invoqués les griefs tirés de ce que ces dispositions portent atteinte (…) à l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi »312.

309 Rapport n° 2230 fait au nom de la commission spéciale de l’Assemblée nationale pour l’examen du

projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, Tome I, p. 56.

310 JORF, Assemblée nationale, XIVe législature, Session ordinaire de 2014-2015, Compte rendu

intégral, Première séance du lundi 6 octobre 2014, p. 6725.

311 Décision n° 2005-516 DC du 7 juillet 2005, considérant 7. 312 Décision n° 2015-718 DC du 13 août 2015, considérant 12.

126 357. Si le défaut de clarté et d'intelligibilité des dispositions programmatiques n’est pas susceptible d’invalidation par le Conseil constitutionnel, cette pratique n’est cependant pas exempte de critiques.

358. Dès leur formulation par la loi POPE, les principes de la politique énergétique ont fait l’objet de réserves de la part de la Commission des affaires économiques du Sénat, qui soulignait les « difficultés résultant du flou qui entoure la portée normative d'un texte

éloquent annexé à une loi » et d’articles qui « contiennent essentiellement la déclaration de grandes orientations et de principes généraux qui, pour la plupart, ne peuvent pas être traduits en normes juridiques opposables ». En conséquence, elle préconisait de ne pas

intégrer de telles dispositions dans la loi, afin de « limiter l'ampleur des déclarations de

principe pour ne pas favoriser la création d'un droit surabondant et, au total, inopérant, voire bavard » 313.

359. Cette critique rejoint plus largement un enjeu contemporain du droit, celui du risque d’émergence d’un « droit mou », selon les termes utilisés par le Conseil d’Etat dans son rapport public de 1991. En effet, « il n'est pas souhaitable que la frontière entre ce qui est

obligatoire et ce qui ne l'est pas, ce qui est sanctionnable et ce qui ne saurait l'être, devienne incertaine aux yeux du citoyen, au risque d'étendre cette incertitude à ceux du juge » 314. Cette

dérive pose, de manière générale, la question des effets des « lois équivoques », selon la définition qu’en donne le vice-président de la section de l’intérieur du Conseil d’Etat, M. Jean-Eric Schoettl, à savoir « toute disposition législative dont la portée ou l’intensité

normative sont incertaines en raison du caractère imprécis, obscur ou ambigu de sa formulation » 315. Comme le notait celui-ci, l’une des causes de la présence de telles dispositions vient de ce la loi revêt souvent « une fonction cathartique ou propitiatoire », d’où vient d’une part l’emploi de termes particuliers et peu précis, et d’autre part la poursuite de buts inconciliables.

360. La LTECV, et notamment son titre premier, n’est pas indemne de ces dérives. Selon l’analyse faite par la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat dans son Rapport d’information316, cette loi souffre en effet de deux défauts majeurs au regard de l’objectif d’intelligibilité, d’une part « la tentation de donner à l'idéal une

expression juridique » et d’autre part « la solution de l'empilement normatif ». Suivant ce

rapport en effet, « le titre Ier, tout entier consacré à la définition des objectifs de la politique

énergétique, est emblématique de cette tentation de donner à l'idéal une expression juridique », tentation qui résulte d’un « penchant qui consiste à confondre l'action avec

313 Rapport n° 330 (2003-2004) fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat. 314 Conseil d’Etat, Rapport public annuel 1991, De la sécurité juridique, La Documentation française. 315 Commission des Lois du Sénat et l'Association française de droit constitutionnel, L'écriture de la

loi, colloque, juin 2014, p. 31.

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l'incantation, dessinant le monde idéal de la transition énergétique sans parvenir à dégager clairement son chemin d'accès juridique ».

361. S’il est vrai, comme le font remarquer les auteurs du rapport, que « l'appel à la

vertu propitiatoire de la loi est souvent lié à la difficulté de traduire les objectifs recherchés en commandements aisément applicables »317, la conséquence des dispositions équivoques, soulignée par le vice-président de la section de l’intérieur du Conseil d’Etat, est le renvoi fréquent au pouvoir réglementaire, qui se trouve investi de la mission de trancher entre les différents sens potentiels contenus dans la loi318.

362. Ainsi, faute de dispositions législatives normatives pertinentes, la réalité du sens des orientations données par l’article premier de la LTECV relativement à l’objectif de mise en concurrence dans le secteur de la production d’électricité renouvelable résulte en grande partie de la mise en œuvre de la loi par le pouvoir réglementaire et l’autorité administrative. De ce fait, comme l’a souligné l’un des commentateurs de la loi, il a fallu « considérer comme prématuré tout commentaire péremptoire qui surviendrait avant

l'improbable mise en œuvre complète de la loi... »319.

II/ Une volonté du législateur de renforcer le rôle planificateur de l’Etat

363. La LTECV montre une volonté du législateur d’équilibrer le principe de concurrence entre les producteurs et entre les filières, imposé par les LDAEE 2014, par la réaffirmation du principe de planification par l’Etat du développement des filières de production d’énergie renouvelable. Le législateur a ainsi affirmé, tant à travers les objectifs et principes de la politique énergétique qu’à travers certains articles plus spécifiques, sa volonté de maintenir cette compétence traditionnelle de l’Etat (A). Cette ambition est passée par une redéfinition et une revalorisation de la pratique de la programmation pluriannuelle de l’énergie dans le secteur de la production d’électricité renouvelable (B).

A/ Un objectif inscrit dans la continuité de la politique énergétique nationale

317 Rapport d'information n° 265 fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, p. 20 à 22. 318 Commission des Lois du Sénat et l'Association française de droit constitutionnel, L'écriture de la

loi, colloque, juin 2014, p. 129 et suiv.

319 Fonbaustier (L), « Une volonté politique énergique et croissante aux effets incertains. - À propos de

la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte », La Semaine

128 364. La planification du développement de la production d’énergie est depuis la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz une compétence de l’Etat, exercée essentiellement de manière centralisée. Cette organisation traditionnelle s’est poursuivie en matière de production d’énergie renouvelable au moyen des instruments mis à la disposition de l’Etat par la loi 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité puis par le code de l’énergie. Cette politique est particulièrement visible dans la répartition des compétences opérées en matière de gouvernance de la transition énergétique entre les différents échelons au niveau national. Si le législateur a certes voulu renforcer le rôle des collectivités locales, il a en revanche maintenu le pilotage du développement de la production énergétique entre les mains de l’Etat.

365. La LTECV s’inscrit donc dans la continuité de la politique de planification centralisée de la production d’énergie, d’abord en exprimant dans son titre premier la volonté politique de maintenir cet aspect de la politique de l’énergie (1), ensuite en maintenant en matière de production d’énergie renouvelable cette compétence au niveau de l’Etat (2).

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