• Aucun résultat trouvé

Les différentes dimensions de l’objectif de « rentabilité raisonnable » des installations

B) Une place importante de l’autorité administrative dans la politique de soutien à la production d’électricité renouvelable

1) Les différentes dimensions de l’objectif de « rentabilité raisonnable » des installations

298. Si la LTECV ne contient pas de disposition garantissant explicitement aux producteurs d’énergie renouvelable un niveau de rentabilité suffisant à travers l’application des mécanismes de soutien, le législateur a cependant suivi dans la rédaction de son article 104 un principe selon lequel les différents mécanismes de soutien doivent garantir une

260 JORF, Sénat, Session ordinaire de 2014-2015, Compte rendu intégral, Séance du mercredi 11

108 « rentabilité raisonnable ». Il a pour cela donné à cette notion un sens plus large que celui qui découlerait d’une simple application des LDAEE 2014.

299. L’article L.314-4 du code de l’énergie, reprenant une disposition auparavant située à l’article L.314-7 du même code, dispose que « les conditions d'achat ne peuvent

conduire à ce que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l'installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, excède une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation ». De même, l’article L.314-20 dispose que « le niveau de ce complément de rémunération ne peut conduire à ce que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l'installation et des aides financières ou fiscales, excède une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités ».

300. L’absence de seuil minimum à la rémunération apportée s’explique par le contexte historique et juridique dans lequel ces dispositions ont été adoptées. Le législateur souhaitait tout d’abord écarter le risque de rémunération excessive, produisant des effets d'aubaine et pouvant aboutir à la constitution de bulles spéculatives. Il s’agissait notamment d’éviter le renouvellement de la bulle survenue dans la filière solaire261, qui a conduit en 2010

à un moratoire sur les tarifs d’achat262. Ensuite, ces dispositions visent à garantir la conformité des mécanismes d’aide notifiés à la Commission avec les principes du droit des aides d’Etat tels qu’interprétés dans les LDAEE 2014, notamment la condition de proportionnalité de l’aide, c’est-à-dire la limitation du montant de l’aide au minimum nécessaire pour susciter les investissements voulus263. Ces motifs expliquent que les termes de « rémunération raisonnable » aient été retenus par le législateur, en dépit des critiques portant sur leur caractère subjectif, qui serait porteur d’interprétations diverses et introduirait une incertitude économique. Une proposition, non retenue, prévoyait ainsi de les remplacer par un indice vérifiable par rapport à des activités connexes afin de disposer d’éléments de comparaison fiables pour déterminer la rémunération des capitaux264. Les termes de « rémunération

raisonnable » ont été retenus pour plusieurs raisons. Outre le fait que cette notion était déjà utilisée dans le code de l’énergie sans susciter de difficulté particulière265, le choix de ces

termes repose sur le fait qu’ils renvoient à la terminologie utilisée dans les LDAEE 2014, qui prévoient que les aides procurent des « taux de rendement raisonnables ». Il est ainsi possible de s’appuyer sur les décisions de la Commission, qui indiquent si, pour chaque filière, le

261 Rapport n° 263 fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, tome I, p. 202. 262 Ibid., p. 202.

263 Rapport n° 2230 fait au nom de la commission spéciale de l’Assemblée nationale pour l’examen du

projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, Tome I, p. 459.

264 Rapport n° 263 fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, tome I, p. 490. 265 Ibid., p. 491.

109 dispositif de soutien est compatible avec le marché intérieur, pour vérifier si la condition de rémunération normale des capitaux est remplie266.

301. Cependant, les travaux préparatoires de la LTECV montrent que cette dimension « négative » de la notion de rémunération raisonnable des capitaux, qui vise à éviter une trop forte rémunération, se double d’une dimension « positive », qui vise à garantir une rémunération suffisante pour assurer la rentabilité des installations. L’intention du législateur en révisant l’article L.314-1 du code de l’énergie, qui distingue désormais les filières d’une part et les installations relevant de chaque filière d’autre part, est en effet clairement que toutes les filières inscrites à cet article demeurent éligibles aux mécanismes de soutien, et soient, par ce moyen, « assurées d’une rentabilité économique suffisante »267. En effet, la réforme des mécanismes de soutien vise aussi à garantir une rentabilité suffisante aux installations bénéficiant d’un complément de rémunération, qui sont donc confrontées aux risques du marché, afin de maintenir « la possibilité de constituer des plans d’affaires

prévisibles pour assurer la « bancabilité » des projets, malgré leur intégration sur le marché de gros de l’énergie, laquelle amène en contrepartie son lot de nouveaux risques de marché et d’incertitudes »268.

302. Il reste que la LTECV demeure peu précise sur ce point, et que la lettre reflète peu cet objectif du législateur. Cet aspect n’est d’ailleurs pas propre à cette disposition, et illustre une caractéristique de la LTECV, qui de manière générale « contient un grand nombre

d’articles qui restent relativement évasifs laissant, le plus souvent au pouvoir exécutif, le soin de préciser par ordonnances ou décrets les moyens de satisfaire les prétentions de la loi »269. 2) Le système de l’acheteur en dernier recours

303. L’article 104 de la LTECV complète l’acception « positive » de la notion de rémunération raisonnable des capitaux par un dispositif assurantiel de la rentabilité des projets, le système dit de « l’acheteur de derniers recours ».

266 Rapport n° 2230 fait au nom de la commission spéciale de l’Assemblée nationale pour l’examen du

projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, Tome I, p. 459.

267 JORF, Sénat, Session ordinaire de 2014-2015, Compte rendu intégral, Séance du mardi 17 février

2015, p. 1846.

268 Fourmon (A), « L'évolution des mécanismes de soutien applicables aux énergies renouvelables

pour la transition énergétique : 1 ers commentaires sur la notion de complément de rémunération »,

Énergie - Environnement - Infrastructures, n° 8-9, août 2015, étude 15.

269 Denolle (A-S), « Commentaire de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance

110 304. L’article L.314-26 du code de l’énergie, issu de l’article 104 de la LTECV, prévoit que, « par exception à l'article L.314-18, l'autorité administrative peut désigner, par

une procédure transparente, un acheteur en dernier recours tenu de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par les installations bénéficiant d'un contrat de complément de rémunération (…) avec tout producteur qui en fait la demande et qui justifie l'impossibilité de vendre son électricité ».

305. Dans l’esprit du législateur270, ce dispositif, inspiré de ceux mis en place dans

d’autres Etats membres, notamment en Allemagne271, vise à sécuriser le financement des installations de production d’énergie renouvelable sous complément de rémunération tant que le marché des agrégateurs n'est pas suffisamment mature. Il s’agit de concilier l’objectif d’intégration des énergies renouvelables au marché avec la nécessité de limiter l’exposition des producteurs aux risques et incertitudes liés à la volatilité du marché. L’objectif est en effet d’offrir « un cadre suffisamment lisible, stable et attractif aux investisseurs », afin d’éviter le renchérissement du financement des projets dû aux risques liés à la « solvabilité » des agrégateurs. Ce dispositif doit également permettre d’encourager la concurrence entre agrégateurs, alors que ce marché nouveau ne compte encore que peu d’acteurs, en garantissant aux producteurs d’énergie renouvelable un « filet de sécurité » fixé à un niveau suffisamment élevé pour rendre crédible ce mécanisme.

306. Le dispositif envisagé par le législateur consiste à mettre en place un dispositif « de type assurantiel » à travers la désignation d’un acheteur en dernier recours, qui se substitue à un acheteur potentiellement défaillant en cas d’impossibilité de trouver un autre acheteur sur le marché. L’article L.314-26 du code de l’énergie précise que ce contrat d’achat, qui se substitue au contrat de complément de rémunération, « ne peut engendrer un niveau de

rémunération supérieur à 80 % de la rémunération totale qui aurait été tirée de la vente de l'électricité produite sur le marché et du versement du complément de rémunération », afin

que le producteur n’ait pas d’intérêt économique à recourir à l’acheteur en dernier recours plutôt que de passer par le marché272.

307. Dans cette perspective, le législateur a veillé à limiter strictement ce système au mécanisme du complément de rémunération, en évitant que l’élargissement de l’activité d’obligation d’achat n’entraîne la création d’un mécanisme équivalent.

308. En effet, la LTECV a, par le VIII de son article 104, inséré un nouvel article L.314-6-1 au code de l’énergie, qui dispose que « l'autorité administrative peut agréer des

270 JORF, Session extraordinaire de 2014-2015, Compte rendu intégral, Séance du vendredi 10 juillet

2015, p. 7627

271 Articles 20, 21 et 38 de la loi EEG.

272 JORF, Session extraordinaire de 2014-2015, Compte rendu intégral, Séance du vendredi 10 juillet

111

organismes qui, lorsqu'un producteur en fait la demande dans un délai de six mois après la signature d'un contrat d'achat conclu avec Electricité de France ou des entreprises locales de distribution, peuvent se voir céder ce contrat ». Cette disposition a été introduite afin de

partager l’activité de l’obligation d’achat, jusque-là réservée à EDF et aux ELD, entre les différents producteurs, tout en assurant une certaine cohérence de fonctionnement. En effet, la complexité de gestion du mécanisme de l'obligation d'achat croît avec le nombre d’acheteurs obligés. Cette disposition préserve donc un guichet unique pour l’élaboration du contrat initial, mais permet ensuite de déléguer la gestion du contrat et de l’énergie à un organisme tiers agréé, « qui pourra être un fournisseur ou un agrégateur »273. Cela visait initialement à donner la possibilité aux distributeurs, notamment coopératifs, qui estiment pouvoir mieux valoriser qu’EDF et les ELD le potentiel économique des garanties d’origine, d’avoir accès à la production d’énergie renouvelable au même coût274. La seule exception à cette ouverture du « marché de l’activité d’obligation d’achat » concerne les ZNI, en raison de l’absence dans les réseaux de ces territoires de mécanisme de responsable d'équilibre, nécessaire à la mise en œuvre d'une telle disposition275.

309. Dans la mise en place de l’ouverture de l’activité d’obligation d’achat, le législateur a préféré le régime de la cession à celui de la subrogation, « deux notions proches

en droit des obligations, mais qui ont des répercussions différentes sur les relations entre EDF ou l'ELD concernée et l'organisme agréé cessionnaire ou subrogataire »276. Il s’agissait

par ce choix d’éviter d’aboutir à un système dans lequel EDF ou les ELD auraient été placées en position « d'acheteur en dernier recours » de fait, sans même que les producteurs n’aient à prendre en compte le risque d’une décote du prix d’achat. En effet, dans le régime de la subrogation, si le subrogataire fait défaut, le subrogé, en l’occurrence EDF ou une ELD, est tenu de reprendre à son compte le contrat d'obligation d'achat, et donc de redevenir acheteur obligé. Dans le régime de la cession, au contraire, le transfert du contrat d'obligation d'achat est définitif et entraîne la cession de tous les droits et obligations d'EDF ou de l'ELD concernée vers le cessionnaire.

273 JORF, Assemblée nationale, Session ordinaire de 2014-2015, 14e séance, Compte rendu intégral,

3e séance du vendredi 10 octobre 2014, p. 7099, Amendement n° 2663.

274 Rapport n° 2230 fait au nom de la commission spéciale de l’Assemblée nationale pour l’examen du

projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, Tome I, p. 434 et suiv.

275 Rapport n° 263 fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, tome I, p. 492. 276 Rapport n° 2736 fait au nom de la commission spéciale de l’Assemblée nationale pour l’examen du

112 Section II : Des principes d’attribution des mécanismes de soutien

imparfaitement conciliables

310. Parallèlement à l’objectif de diminution de l’impact des mécanismes de soutien sur le fonctionnement du marché de l’énergie, la Commission s’est donnée pour objectif de renforcer l’efficience économique des systèmes de soutien eux-mêmes, en fondant le déploiement de la production d’énergie renouvelable soutenue sur des mécanismes de marché. De cette manière doit être garantie une allocation optimale des ressources économiques, en dirigeant celles-ci par des procédures de mise en concurrence vers les filières de production ayant les coûts les plus bas et en déployant chaque technologie dans les zones où sa rentabilité est maximale. La Commission a en effet fait le constat que le recours aux procédures de mise en concurrence restait peu fréquent et que les Etats membres qui réformaient leurs systèmes de soutien continuaient à privilégier les systèmes de tarifs établis administrativement277. Elle a

donc inscrit dans ses LDAEE 2014 deux principes concurrentiels relatifs à l’octroi des aides au fonctionnement aux producteurs d’énergie renouvelables.

311. Cette conception de l’organisation de la production d’énergie renouvelable, promue par la Direction générale de la concurrence de la Commission, a rencontré une forte opposition de la part d’une partie des Etats membres, et notamment de la France. Elle se heurte en effet à une longue tradition d’organisation du système énergétique national par l’Etat, qui ne répond pas uniquement à des considérations économiques mais aussi à de multiples enjeux de sécurité d’approvisionnement, d’organisation du territoire et de politique industrielle. Les principes concurrentiels d’attribution du bénéfice des mécanismes de soutien développés par la Commission dans les LDAEE 2014 ont donc, de manière générale, été contestés par les autorités françaises sur deux points essentiels. D’une part, le degré de précision adopté par la Commission « revient à imposer des choix relevant des Etats

membres ». D’autre part, les LDAEE 2014 couvriraient un périmètre « ne relevant pas de problématiques de concurrence mais de politique énergétique que ces lignes directrices n’ont pas vocation à traiter »278.

312. L’opposition sur cette question entre la Commission et le législateur français est perceptible en creux, dans le silence de la LTECV quant à ces principes concurrentiels. Au contraire, ses dispositions mettent en avant la compétence planificatrice de l’Etat. L’équilibre entre ces conceptions opposées du développement des énergies renouvelables n’est donc pas lisible dans la loi elle-même, et il a fallu attendre la publication des textes d’application pour

277 Etude d’impact accompagnant le projet de lignes directrices concernant les aides d’Etat à la

protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020, SWD(2014) 139, p. 30.

278 Réponse des autorités françaises à la consultation de la Commission sur le projet de lignes

113 que s’actualise le contenu de ses dispositions pertinentes sur ce point, dans la mesure où elles laissent un large champ de mise en œuvre possible.

313. Le régime juridique mis en place par la LTECV établit ainsi un équilibre encore précaire entre, d’un côté, les principes visant la concurrence entre les installations de production d’énergie renouvelable (I) et, d’un autre côté, les principes visant à maintenir une planification du mix énergétique français par l’Etat (II).

I/ Un refus implicite du législateur d’intégrer toutes les dimensions de l’objectif de concurrence dans l’octroi des mécanismes de soutien

314. À côté des principes portant sur le fonctionnement des mécanismes de soutien, qui ont pour objet la relation entre ceux-ci et le marché de l’électricité et pour finalité le bon fonctionnement de ce dernier, la Commission a également encadré le mode d’attribution du bénéfice de ces mécanismes d’aide, avec pour finalité l’efficience économique des mécanismes de soutien eux-mêmes. À cette fin, la Commission a voulu imposer le recours à des méthodes concurrentielles dans l’octroi du bénéfice des mécanismes de soutien. Un premier objectif est d’attribuer le niveau d’aide strictement nécessaire au développement de la production d’énergie renouvelable, de manière d’éviter les sur-rémunérations des installations plus performantes que la moyenne et le soutien inefficace des installations trop peu performantes. Un second objectif est d’accélérer la baisse des niveaux de soutien aux énergies renouvelables.

315. La Commission a donc imposé, avec certaines exceptions, deux principes concurrentiels aux modes d’attribution des aides par les Etats membres (A). La répartition de la mise en œuvre de ces principes dans le droit interne entre la LTECV et les instruments d’application de celle-ci montre une dichotomie paradoxale, révélatrice du rôle particulier de cette loi dans la transition énergétique (B).

A/ Les deux dimensions de l’objectif de concurrence dans l’octroi des mécanismes de soutien

316. L’objectif d’efficience économique des mécanismes de soutien a été détaillé et développé par la Commission dans deux documents de consultation, la communication du 5 novembre 2013, « Réaliser le marché intérieur de l’électricité et tirer le meilleur parti de l’intervention publique », 279 et le document du groupe de travail de la Commission du même

279 Communication de la Commission du 5 novembre 2013, Réaliser le marché intérieur de l’électricité

114 jour280 accompagnant ce texte. Conformément à ces documents, les LDAEE 2014 imposent deux principes à l’attribution du bénéfice des mécanismes de soutien par les Etats membres, principes qui ont rencontré une opposition plus ou moins forte des Etats membres. Le premier principe est celui d’une mise en concurrence des producteurs d’énergie renouvelable pour l’obtention du bénéfice des systèmes de soutien (1). Le second, dit de « neutralité technologique » prévoit une mise en concurrence entre les filières de production d’énergie renouvelable dans les procédures d’attribution des aides (2).

Outline

Documents relatifs