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Une définition extensive du service public de l’électricité justifi ant le rôle planificateur de l’Etat

177. La notion de « service public de l’électricité » remplit en droit interne deux fonctions au regard du rôle planificateur de l’Etat. Sur le plan juridique, sa définition et son contenu orientent l’exercice du rôle planificateur de l’Etat en en définissant les objectifs, tandis que, sur le plan politique, la nature de « service public » de ces missions légitime en retour l’exercice de ce rôle planificateur. Le législateur a donc tiré parti de la marge d’interprétation laissée par la notion communautaire d’« obligations de service public » pour en adopter une définition « défensive » (1), de manière à en faire un instrument de préservation d’un certain nombre d’intérêts publics (2).

1) Une définition « défensive » du service public de l’électricité au cœur de la loi

178. La directive 96/92/CE, à son article 3, a ouvert la possibilité aux Etats membres d’« imposer aux entreprises du secteur de l'électricité des obligations de service

public, dans l'intérêt économique général, qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d'approvisionnement, la régularité, la qualité et les prix de la fourniture, ainsi que la protection de l'environnement ». Cette reconnaissance de l’existence d'un service public de

l'électricité dans le droit dérivé de l’Union européenne résulte de longues négociations pour faire admettre « l'exception française » en matière de services publics. Le législateur a donc fort logiquement saisi l’occasion de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, qui transposait cette directive, pour instaurer dans le droit interne un « service public de l’électricité », notion jusque-là inexistante. Il a voulu par ce moyen maintenir un rôle central de l’Etat dans l’organisation du secteur énergétique, en matière de programmation d'investissement, de fixation des prix et de délivrance des autorisations. Ainsi, suivant les termes du rapporteur de la loi, « le service public de l'électricité constitue le cœur du texte »162.

179. La définition du service public de l’électricité donnée par la loi visait à préserver la maîtrise de l’Etat sur la structure du secteur énergétique national et assurer le

162 Rapport n° 1371 fait au nom de la commission de la production et des échanges de l’Assemblée

71 maintien des missions de service public assurées jusque-là. En effet, le contenu des missions de service public résultant de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité « procède d'une construction intellectuelle

élaborée à partir des différentes missions assignées aux opérateurs dans les cahiers des charges de concession des réseaux de transport et de distribution »163. Ainsi, après avoir énoncé que « le service public de l'électricité a pour objet de garantir l'approvisionnement en

électricité sur l'ensemble du territoire national, dans le respect de l'intérêt général », l’article

premier de la loi listait une série d’objectifs auxquels il « concourt » ou « contribue ». Aux termes de ces dispositions, il était ainsi prévu que le service public de l'électricité contribue « à l'indépendance et à la sécurité d'approvisionnement, à la qualité de l'air et à la lutte

contre l'effet de serre, à la gestion optimale et au développement des ressources nationales, à la maîtrise de la demande d'énergie, à la compétitivité de l'activité économique et à la maîtrise des choix technologiques d'avenir, comme à l'utilisation rationnelle de l'énergie ».

De même, il devait concourir « à la cohésion sociale, en assurant le droit à l'électricité pour

tous, à la lutte contre les exclusions, au développement équilibré du territoire, dans le respect de l'environnement, à la recherche et au progrès technologique, ainsi qu'à la défense et à la sécurité publique ».

180. Cette longue énumération d’objectifs du service public de l’énergie, au caractère général et à l’interprétation potentiellement très extensive, conférait à cet article premier de la loi une fonction d’essence plus politique que juridique. Celui-ci avait en effet une fonction essentiellement défensive à l’égard du droit communautaire, en formant, suivant la formule du professeur Richer, « une sorte de ligne Maginot du service public », dans laquelle « toutes les formes d'intérêt général possibles sont convoquées pour légitimer la

position française en matière de libéralisation du marché de l'électricité »164. 2) Un service public de l’électricité au contenu étendu

181. La loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, puis sa codification par l’ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011 aux articles L.121-1 à 5 du code de l’énergie, ont défini précisément le contenu du service public de l’électricité, de manière à assurer la conformité des missions de service public avec la jurisprudence de la Cour de justice. Celle-ci impose en effet, pour attribuer à un opérateur public des droits exclusifs, que ledit opérateur soit expressément chargé par un acte de la puissance publique de la gestion d’un service d’intérêt économique général (SIEG), que la « mission particulière » résultant de ce SIEG soit précisément définie, et que les droits

163 Ibid., p. 119.

164 Richer (L), « Commentaire de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et

72 exclusifs accordés soient nécessaires pour permettre l’accomplissement de cette mission dans des conditions économiques acceptables165. La Cour a toutefois retenu une conception large de ces « missions particulières ». Elle a ainsi admis que qu’il ne saurait être interdit aux Etats membres de tenir compte, lorsqu'ils définissent les services d'intérêt économique général dont ils chargent certaines entreprises, d'objectifs propres à leurs politiques nationales. De même, les Etats peuvent atteindre ces objectifs au moyen d'obligations et contraintes qu'ils imposent auxdites entreprises, y compris des obligations en matière d’environnement et d’aménagement du territoire166.

182. Aux termes de l’article L.121-1 du code de l’énergie, le service public de l’électricité se trouvait tout d’abord chargé de quatre finalités, reprenant et développant l’article premier de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. La première, et la plus fondamentale, consistait de manière classique à garantir, dans le respect de l'intérêt général, l'approvisionnement en électricité sur l'ensemble du territoire national. Était ensuite assignée au service public de l’électricité une série d’objectifs auxquels celui-ci devait « contribuer », à savoir l'indépendance et à la sécurité d'approvisionnement, la qualité de l'air et à la lutte contre l'effet de serre, la maîtrise de la demande d'énergie, la compétitivité de l'activité économique et la maîtrise des choix technologiques d'avenir, l'utilisation rationnelle de l'énergie, ainsi que la gestion optimale et le développement des ressources nationales, ce dernier objectif visant à éviter l’exploitation des ressources d'énergie disponibles sur le territoire national mais non compétitives167. Cet article reprenait également les objectifs de la politique de l’énergie définis par la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (dite « loi POPE »), à savoir celui de concourir « à la cohésion sociale, à la lutte contre les exclusions,

au développement équilibré du territoire, dans le respect de l'environnement, à la recherche et au progrès technologique, ainsi qu'à la défense et à la sécurité publique ». Enfin, l’article

L.121-1 disposait, de manière traditionnelle, que le service public de l’électricité devait être géré selon les principes d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, ainsi que « dans les

meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix et d'efficacité économique, sociale et énergétique ».

183. Les trois missions du service public de l'électricité, reprises de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, étaient énumérées et détaillées par les articles L.121-2 à 5 du code de l’énergie, autour des trois pôles d’activité du système électrique, la production, le transport et la distribution, et enfin la fourniture.

165 CJCE, 23 octobre 1997, Commission c/ République française, C-159/94, points 49 et 52. 166 Ibid., points 56 et 57.

167 Rapport n° 1371 fait au nom de la commission de la production et des échanges de l’Assemblée

73 184. La première mission visait ainsi le développement équilibré de l'approvisionnement en électricité, en poursuivant un double objectif. D’une part ce « développement équilibré » devait remplir les objectifs assignés par la programmation pluriannuelle des investissements de production. La notion d’équilibre impliquait d’aboutir à une répartition conforme à l'intérêt général entre les différentes énergies primaires, les différentes techniques de production et les localisations géographiques des sites de production168. D’autre part, ce « développement équilibré » devait garantir l'approvisionnement de zones non raccordées au réseau métropolitain continental, c’est-à-dire les départements d'outre-mer et certaines îles métropolitaines, en dépit du coût important des systèmes de production autonomes dans les régions insulaires.

185. La deuxième mission du service public de l'électricité visait le développement et d'exploitation des réseaux de transport et de distribution d'électricité, avec tout d’abord l’objectif d’assurer la desserte rationnelle du territoire par ces réseaux. Il est à souligner que le législateur n’entendait pas cette « rationalité » de l’organisation du transport et de la distribution selon des critères uniquement économiques, mais également selon des critères liés à l'aménagement du territoire et à la protection de l'environnement169. Cette mission visait par ailleurs le raccordement et l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution dans des conditions non discriminatoires, impératif essentiel pour toute activité de réseau s'ouvrant à la concurrence.

186. Enfin, la troisième mission du service public de l'électricité, portant sur la fourniture de l'électricité, se divisait en trois éléments. Elle comprenait premièrement une obligation générale de fourniture d'électricité aux « clients non éligibles », c'est-à-dire ceux n’ayant pas encore accès au marché concurrentiel de la fourniture d’électricité. Elle comprenait ensuite une obligation spécifique faite à EDF d'assurer aux clients dits « éligibles » une fourniture de secours. Enfin, elle comprenait une obligation, pesant également sur EDF, de conclure des contrats avec les clients « éligibles » ne trouvant pas de fournisseur « dans des conditions économiques ou techniques raisonnables ».

187. Les dispositions issues de l’article 2 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité et codifiées par l’ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011 détaillaient donc précisément le contenu du service public de l’électricité, sans se limiter à une référence aux grandes lois du service public d'égalité, de continuité et d'adaptabilité, mentionnées à la fin de l’article premier de cette loi. L’objectif était, aux termes de ces dispositions, « d'empêcher la dérive purement

concurrentielle du système »170. Dans cette optique, les articles L.121-2 à 5 du code de

168 Ibid., p. 156. 169 Ibid., p. 157.

170 Richer (L.), « Commentaire de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et

74 l’énergie définissaient au sein de chacune des trois fonctions du système électriques un « noyau dur » d'activités nécessaires à la sécurité de l’approvisionnement, à la cohésion sociale et à la préservation de l'environnement, légitimant une intervention des pouvoirs publics dans le fonctionnement du marché de l’énergie.

B) Une place importante de l’autorité administrative dans la politique de soutien

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