A la lecture des articles de Reich et Benbasat (1996, 2000), nous avons remarqué que les données sur lesquelles les auteurs se sont appuyés pour tester leurs hypothèses concernant l’alignement sociale ont été exclusivement recueillies auprès d’acteurs appartenant au
top-management. A partir de ce constat, nous analysons en détail les méthodes de recherche
utilisées par les auteurs traitant de l’alignement social (cf. Encadré 3).
L’analyse du Tableau 16 montre que quel que soit le type de méthodologie utilisée (quantitative ou qualitative), et quel que soit le type de données recueillies, les informateurs
proviennent quasi-exclusivement d’une catégorie d’acteur que nous appelons le
top-management : des PDG, des DSI, des responsables SI, des cadres dirigeants, des cadres
séniors, etc. L’ensemble des études traitant d’alignement social que nous avons analysées, à l’exception des travaux de Hartung et al. (2000), Reich et Kaarst-Brown (2003) ou Becker (2002)55, sont donc construits sur le discours des managers et des top-managers et pas sur celui des utilisateurs ou d’autres parties prenantes à l’alignement stratégique.
Nous retrouvons ici la perspective managériale très prononcée du modèle SAM. Cette analyse confirme notre intuition quant à la dimension managériale de l’alignement humain.
Tableau 16 : La dimension humaine de l’alignement stratégique – une approche managériale
Auteurs Année Méthodologie Populations étudiées
Reich et
Benbasat 1996
Qualitative : étude de cas multiples
57 Interviews : Cadres d’affaires seniors, cadres SI seniors, Membres du comité de pilotage TI.
Johnston et
Yetton 1996
Qualitative : étude de cas
positiviste 17 managers et top-managers.
Reich et
Benbasat 2000
Qualitative : étude de cas multiples
Cadres dirigeants des unités d’affaires (un de chaque dimension telle que le marketing,
l’administration, etc.)
Tous les interviewés étaient membres du comité de pilotage TI et à la direction d’autres
fonctions TI Hartung, Reich
et Benbasat 2000 Qualitative : étude de cas
25 officiers membres de l’administration des TI, 40 membres du staff administratif56
Reich et
Kaarst-Brown 2003 Qualitative : étude de cas
25 professionnels TI travaillant dans les unités d’affaires57
Johnson et
Lederer 2005
Quantitative : étude
statistique 202 paires de PDG et DSI
55
Concernant cet article, nous ne nous prononcerons pas quant aux sources des données, par manque de précisions dans l’information donnée par les auteurs
56
Les auteurs ne nous apportent pas les détails nécessaires dans leurs articles pour juger du niveau hiérarchique de ces personnes interrogées.
57
Auteurs Année Méthodologie Populations étudiées
Campbell 2005 Qualitative : théorie enracinée
3 focus groups : 6 managers TI seniors, 3 managers d’affaires seniors
Interviews : 16 managers SI et 4 managers d’affaires
Campbell, Kay
et Avison 2005 Qualitative
6 managers seniors SI/TI. L’auteur précise qu’ils ne sont pas des top-managers Preston, Kaharanna et Rowe 2006 Quantitative : étude statistique 163 DSI américains 44 DSI français
Tan et Gallupe 2006 Quantitative : cartographie cognitive
50 cadres dirigeants d’affaires (6 entreprises 30 cadres dirigeants SI (6entreprises) Chan,
Sabherwal et Thatcher
2006 Quantitative : étude statistique
1ère étude : 164 cadres dirigeants d’affaires ; 2nde étude : 62 cadres dirigeants seniors SI Lee, Kim,
Paulson et Park 2008
Quantitative : étude statistique
51 managers d’affaires et 162 managers SI (de 12 entreprises)
Preston et
Kaharanna 2009
Quantitative : étude
statistique 243 paires de DSI – top-managemers Tarafdar et
Qrunfleh 2009
Qualitative : étude de cas multiples
30 interviews sur 4 sites : DSO, managers seniors d’affaires et TI, administrateurs et
managers junior d’affaires et TI Heart, Maoz et
Pliskin 2010
Quantitative : étude statistique
196 DSI
190 cadres dirigeants d’affaires (non TI)
Gregor, Hart et
Martin 2007 Qualitative : étude de cas
Documents d’archives et 9 entretiens avec des cadres dirigeants (1 DSI, 5 directeurs d’agences
et des analystes/programmeurs)
Becker 2002 Pas d’informations Pas d’informations – article rédigé par un professionnel d’après son expérience
De prime abord, l’alignement humain entre le domaine du SI et le domaine des affaires dans une organisation devrait concerner l’ensemble des parties prenantes à ces deux domaines. A cet égard, la définition de la dimension sociale de l’alignement affirme que « l’ensemble des
membres de l’organisation doit avoir une compréhension et un engagement mutuel par rapport aux missions, plans et objectifs des dimensions TI et business » (Reich et Benbasat
(2000 : p. 58). Pourtant, en affirment que ceci est particulièrement vrai pour les managers, les auteurs justifient le fait de ne pas prendre en compte l’ensemble des acteurs des organisations dans leurs études. Les articles précités de Reich et Benbasat sont construits exclusivement sur des interviews de top-managers. Plutôt que de parler d’alignement humain il serait plus juste de parler d’alignement managérial. Cette prépondérance du discours des managers dans les
articles traitant de l’alignement stratégique biaise les prescriptions qui sont alors construites sur cette seule perspective. Toutefois, les autres parties-prenantes sont implicitement prises en compte dans les discours et la réflexion menés par les managers. Ces derniers parleraient au nom des parties prenantes oubliées. Or, la perspective managériale peut différer des considérations de terrain. Une configuration (ici l’alignement) pertinente d’un point de vue managérial, ne l’est pas nécessairement du point de vue des utilisateurs (Jarzabkowski et Paul Spee, 2009 ; Balogun, 2007).
Le nombre d’article traitant de la dimension sociale de l’alignement est relativement limité selon Campbell (2005). Toutefois, dans un souci d’exhaustivité nous avons suivi une méthode systématique de collecte des articles.
La première étape de cette étude est la collecte des articles. Nous les avons recueillis dans les différentes bases de données disponibles dans notre institution à partir de mots clés correspondant à la thématique investiguée, tels que intellectual alignment, human
alignment, social alignment dans les champs de recherche titre, résumés, mots clés et texte
intégral. Pour compléter cette première recherche, nous avons élargi la requête aux termes
social et alignment simultanément dans le titre, le résumé et les mots clés. Pour ces deux
termes, relativement communs dans la recherche, nous n’avons pas utilisé le champ texte intégral car nous aurions récolté trop d’articles non pertinents. De plus, comme le soulignent de Vaujany, Walsh et Mitev (2011 : p. 8) « les résumés d’articles tendent à
préserver une structure rhétorique des discours équivalente de celles des articles (…). Les résumés sont donc supposés être le miroir des articles, de la même manière que les articles sont supposés être le miroir de la recherche ».
Toutefois, l’élargissement des recherches dans cette seconde phase de collecte nous a apporté un grand nombre d’articles (environ 500) qui n’ont pas tous du sens pour notre recherche. Nous avons trié manuellement ces articles en sélectionnant ceux publiés dans les revues de recherche en gestion, puis par la lecture des résumés de ces articles. Nous avons uniquement conservé les articles qui nous semblaient être en lien direct avec la thématique de l’alignement stratégique des systèmes d’information.
Cette recherche a été complétée par des articles sélectionnés par Chan et Reich dans leur revue de littérature annotée (2007b). C’est le cas de l’article de Campbell (2005) qui est une communication présentée dans le cadre d’une conférence continentale sur les systèmes d’information et de Gagnon, Jansen et Michael (2008). Une fois l’échantillon constitué, nous nous sommes concentrés sur deux points d’analyse : le type de méthode utilisée ; et le type de populations étudiées.