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Vers la prise en compte de l’humain

2.3.2. L’alignement dynamique : le punctuated equilibrium model

Le modèle SAM est, selon ses auteurs, un modèle dynamique puisqu’il décrit l’alignement comme le résultat d’un processus, d’une succession d’influences de domaines sur les autres. Rappelons qu’Henderson et Venkatraman (1989b) proposent deux processus différents impliquant à chaque fois deux types d’alignements croisés pour respecter les critères de complétude, de consistance, d’exhaustivité et de validité.

Cette approche a été négligée par la littérature en faveur d’une lecture statique cherchant à mesurer le niveau d’alignement d’une organisation à un moment donné ou à tester la corrélation du niveau d’alignement avec la performance. Ceci est à nos yeux le résultat de la représentation graphique du modèle qui ne restitue pas le caractère dynamique de l’approche, mais au contraire incite à lire l’alignement comme un état de cohérence entre différentes domaines.

Néanmoins, certains auteurs comme Levy, Powell et Yetton (2001) s’interrogent sur la chronologie de mouvements des différents domaines de l’organisation. Cette question rejoint l’idée du processus défendue par Henderson et Venkatraman et approfondie par des auteurs comme McDonald (1991a, b), Luftman (1996) ou Burn (1996, 1997). Elle reste toutefois très mécaniste car elle appréhende le phénomène comme une boucle fermée dans laquelle l’organisation doit respecter différentes phases successives. Ils développent de plus une approche prescriptive de la dynamique en définissant des cycles par lesquels les entreprises doivent passer pour espérer être alignées. Ainsi, le caractère dynamique est relativement rigide car contraint par le cadre figé des différentes étapes de l’alignement.

Hirschheim et Sabherwal (2001) montrent, par des études de cas, la nécessité d’étudier l’alignement dans une perspective dynamique. L’alignement n’est pas appréhendé comme une situation figée, mais comme une succession de périodes pendant lesquelles les modalités d’alignement évoluent. Ils montrent, par exemple, l’évolution du type d’alignement stratégique d’un positionnement de type défensif et une approche SI spécifique (efficience, centralisé et intégré), à un nouvel alignement impliquant un comportement stratégique d’analyse et une approche SI différente (compréhensive, partagée et mixte). Entre ces deux phases, les auteurs identifient une phase de non-alignement dans laquelle la dimension SI n’est pas cohérente avec la stratégie d’affaires qui évolue.

L’article de Sabherwal et al. (2001) est le principal article traitant de l’alignement stratégique dans une perspective résolument dynamique à l’aide d’un emprunt à la littérature de management stratégique, le Punctuated Equilibrium Model (PEM) développé par Gersick (1991). Le PEM considère que les organisations connaissent de longues périodes de relatives stabilités, suivies de périodes de changements radicaux.

Brown et Eisenhardt critiquent sévèrement ce modèle en affirmant que le Punctuated

Equilibrium Model se focalise sur les changements radicaux, alors qu’en pratique le

changement est continu (1995 : p. 1). Pour le PEM, les changements sont rares, risqués et épisodiques. Les auteurs ne contestent pas le caractère total de certains changements, mais considèrent qu’ils sont issus de changements rapides et continuels, et pas nécessairement brutaux.

L’application aux systèmes d’information de ce modèle semble néanmoins pertinente du fait que les SI ont une part inhérente de rigidité. Sabherwal et al. (2001) assimilent la structure profonde des organisations à leur profil SI qui est supposé être initialement aligné à la stratégie. Or, comme le soulignent Bergeron et al. (2004b : p. 17), « tout équilibre

organisationnel n’est qu’éphémère et les événements externes ou internes entraînent irrémédiablement un déséquilibre qui deviendra à son tour le début d’un autre cycle d’ajustements stratégique et structurel vers un nouvel alignement et une performance d’affaires améliorée ». Puisque l’environnement est en perpétuel évolution, l’alignement

Les auteurs distinguent alors deux grandes phases dans la dynamique de l’organisation, les périodes de relative stabilité ou d’évolution se traduisant par des changements à la marge, et les périodes de révolution se caractérisant par des changements profonds.

Les périodes de stabilité ou d’évolution : ce sont des périodes durant lesquelles les

conflits concernant l’alignement stratégique sont gérés soit selon un principe de fine

tuning (d’ajustements fins) par des modifications à la marge n’entraînant pas de

révolution dans le profil SI (Sabherwal et al., 2001 : p 183) et permettant de conserver le niveau d’alignement ; soit en réinterprétant les facteurs non alignés pour éteindre le conflit de lui-même (Gresov, 1989) auquel cas un non-alignement est assumé sans pour autant être pénalisant pour l’organisation.

Les périodes de révolution : ce sont des périodes pendant lesquelles les transformations

dans le profil stratégique de l’entreprise (stratégie SI, stratégie d’affaires, structure SI et structure d’affaires) sont les plus catégoriques et modifient en profondeur la raison d’être de celle-ci.

Figure 14 : Le Punctuated Equilibrium Model, d'après Sabherwal et al. (2001)

Cette approche par le Punctuated Equilibrium Model a été reprise par Jouirou et Kalika (2007) qui confirment le caractère dynamique de l’alignement stratégique grâce à une étude

de cas longitudinale. L’entreprise qu’ils étudient connait une première phase de relative stabilité pendant laquelle son profil stratégique évolue à la marge, avant une période de révolution où le profil stratégique change radicalement. A une double phase pendant laquelle les domaines SI et business s’alignent à la marge, succède une phase où trois des quatre domaines se retrouvent bouleversés, parfois radicalement (passage d’une stratégie défensive à une stratégie prospective au sens de Miles et Snow).

Contrairement aux approches antérieures de l’alignement, la perspective offerte par la PEM est ni prescriptive, ni dogmatique quant au chemin à suivre pour atteindre un niveau d’alignement suffisant. Les auteurs soulignent la nécessité pour l’organisation d’être attentive aux évolutions environnementales et organisationnelles afin de gérer au plus près les différents domaines et de garantir leur cohérence mutuelle. Les changements d’alignement sont pour la plupart réduits et réalisés dans une perspective d’évolution. Or, la focalisation sur l’alignement empêche le mouvement vers d’autres schémas organisationnels potentiellement plus performants et induits par des changements radicaux, au profit des ajustements par la méthode de fine tuning sur les stratégies et les structures (Sabherwal et al., 2001 : p.196). Cette perspective nous interroge sur la dichotomie alignement comme un résultat / alignement comme un processus. Nous adhérons à l’idée que l’alignement soit un résultat. En revanche, si nous considérons que la volonté d’alignement est nécessairement à l’origine d’un changement organisationnel dans une perspective dynamique, le management de l’alignement stratégique constitue un processus organisationnel de management du changement. La distinction processus/résultat n’est donc pas justifiée puisque l’alignement et le processus d’alignement sont intimement liés : l’alignement stratégique est le résultat final, ou intermédiaire à un moment T, du processus d’alignement stratégique.

Ce raisonnement se retrouve implicitement, mais uniquement dans cet article de Sabherwal et al. (2001). Le mérite de leur approche est de prendre en compte le caractère dynamique des organisations et d’introduire plus de complexité dans l’analyse de l’alignement stratégique. Elle reste limitée puisqu’ils ne s’intéressent pas aux dynamiques organisationnelles en action, aux pratiques des parties prenantes qui font que les dimensions alignées évoluent. Ce point résonne avec notre critique des limites pratiques du modèle.

Chaque domaine est opérationnalisé selon plusieurs méthodes cohérentes avec le positionnement initial du modèle en fonction de la perspective adoptée par les auteurs. Cette opérationnalisation des construits permet la vérification et le test du modèle. Malgré les préconisations d’Henderson et Venkatraman (1989a, b), les chercheurs se positionnent rarement dans une perspective globale et dynamique. Certains travaux ont cherché à aller au-delà du modèle stricto sensu. Ils développent le concept d’alignement social qui favorise la réalisation de l’alignement stratégique des SI. Toutefois, la perspective sociale de l’alignement est limitée par le caractère managérial des études qui négligent la majorité des acteurs de la dimension sociale des organisations : l’ensemble des membres n’appartenant pas au top-management. D’autres études ont proposé une vision dynamique construite sur le PEM dans laquelle l’alignement stratégique ne doit pas s’appréhender comme un état, mais comme une étape dans une coévolution permanente des domaines de l’organisation. Cette approche est seulement descriptive et n’apporte pas d’outils de compréhension des dynamiques organisationnelles permettant d’atteindre une situation d’alignement dans le cadre de reconfigurations ou de management quotidien des SI.