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C HAPITRE 4 E TUDE SUR LES MOTIVATIONS DES CHOIX LEXICAUX ET LINGUISTIQUES DANS LE LEXIQUE DES JEUNES DE LA DÉCHARGE

4.3. D ES FAITS ET NOTIONS SOCIÉTAUX ET / OU COMMUNAUTAIRES

4.3.3. Les liens socio-affectifs (code ix)

Les Liens socio-affectifs (code ix) rassemblent les notions qui ont trait au familialisme, aux liens et rapports sociaux, ainsi qu’à la perception de soi et de l’autre (Valade 2005). Les éléments lexicaux entrant dans ce domaine occupent 11,07% du lexique global et dont 11,26% sont des éléments lexicaux d’origine étrangère. Parmi ces emprunts, 20 termes (60,61% des emprunts) sont en cohabitation avec leurs équivalents lexico-sémantiques

malgaches. L’examen de ce lexique nous révèle que 75,76% des emprunts sont employés par les garçons contre 54,55% par les filles.

De prime abord, les notions relatives à la famille dominent le lexique de ce domaine. La famille, qu’elle soit limitée au ménage ou élargie aux individus partageant les mêmes aïeuls, est depuis toujours au centre de la vie sociale et culturelle malgache. C’est dans le cadre de la famille que se construit dans un premier temps l’identité de l’individu. La famille est un miroir devant lequel l’individu se reconnait, marque sa différence, établit la représentation de sa propre identité, procède à la construction de l’image de l’autre. C’est de cette manière que les individus déterminent ce qui rapproche et ce qui différencie les uns des autres. Les jeunes évoquent ces différents liens et la perception des uns et des autres parfois avec des choix lexicaux particuliers et délibérés. La tendance à souligner l’importance sociale de la famille est d’ailleurs observée à l’aune de la diversité des éléments lexicaux relatifs à ce domaine. Certains présentent des particularités propres à la langue malgache pour leur nuance et subtilité. Quelques cas illustrant cet état de fait concernent les références à la notion de « parent(s) », pour laquelle nous avons plusieurs termes différents pour l’exprimer, allant du plus soutenu au plus familier ou vulgaire.

Même si ces termes sont rencontrés dans le langage à différents contextes d’usage, l’on note que certains sont davantage employés dans des circonstances plus spécifiques que d’autres. Par exemple, bainina (arg. vieux, père), baofy (arg. vieille, mère) pourraient être considérés comme irrespectueux et vulgaires, et s’emploient dans une situation de communication où les interlocuteurs sont des jeunes de même génération. Serait manquer de respect d’employer ces termes devant ou à l'endroit des parents. Quant à dada (de ang. dad ; papa, père) et neny (maman), papa et mama (du fr. papa et maman), ils sont des termes porteurs de valeurs marquées d’affectivité par rapport à ray (père), reny (mère), ray aman-

dreny (parents), loham-pianakaviana (chef de ménage), raim-pianakaviana (père de famille), renim-pianakaviana (mère de famille), dont l’emploi marque un certain détachement affectif

pour insister sur la position sociale de la ou des personne(s) indiquée(s). L’on peut en déduire que l’emploi des emprunts évoquant la notion de parent(s) est motivé par des sentiments d’affection et de respect du lien à l’égard de ces personnes, alors que leurs correspondants malgaches sont porteurs de valeurs neutres et d’indicateurs de statut social.

D’autres termes malgaches, plus compliqués à transposer dans les langues européennes du fait des nuances de sens ou d’affectivité, concernent tout particulièrement les liens de parenté collatérale, de fratrie ou de parenté entre cousins etc. Si le malgache n’a pas d’affixes marqueurs de genre et de nombre comme le français, cette langue a la capacité de

rendre davantage précise la nature des liens existants entre les individus. Par exemple,

dadafara (oncle, le frère le moins âgé du père ou de la mère, ou encore l'époux de la sœur

benjamine du père ou de la mère), dadatoa (oncle, un frère du père ou de la mère, ou encore l'époux de la sœur du père ou de la mère), zana-drahalahy (cousin germain, enfant du frère du père), anadahy (frère d’une personne de sexe féminin), anabavy (sœur d’une personne de sexe masculin), etc. Le malgache dispose ainsi des ressources lexicales qui la particularisent et dont plusieurs termes ne trouvent pas de correspondances dans d’autres langues, notamment pour rendre plus précise ces différents degrés et la nature des relations entre les personnes.

Le familialisme est le champ où le genre est le plus marqué, notamment grâce à l’ajout au terme à qualifier d’éléments lahy (pour indiquer le masculin) et vavy (pour indiquer le féminin). Cet ajout s’applique généralement aux êtres vivants, humains et animaux, et moins fréquemment pour les plantes. Par exemple rahalahy (frère), rahavavy (sœur), où raha désigne la fraternité. Mianadahy et mpianadahy (de m(p)iana[ka+Ø lahy ] sont toutefois des exceptions puisqu’il s’agit de termes invariables et désignent une fratrie mixte, ou encore deux personnes de sexe opposé mais à peu près de même âge.

Dans les relations interpersonnelles, le choix lexical opéré est souvent conditionné par les positions socio-affectives qu’occupent chacun des interlocuteurs. Les titres relatifs à la profession de l’individu ou parfois à son statut social illustrent bien l’exigence de l’usage des différents termes de civilité. Le plus souvent, ces titres sont également employés à la place du nom propre, plus particulièrement dans les situations de communication ordinaires, tantôt pour marquer la familiarité tantôt pour afficher le respect à l’individu. Ces termes marquent ainsi non seulement la civilité et le degré de familiarité entre les interlocuteurs mais offrent également des indices sur le fonctionnement des rapports interpersonnels, inter et intra- groupaux dans la société. Par exemple, pour nos jeunes, madama et madame (fr. madame) présentent des nuances de sens sur la base de leurs caractéristiques phonétiques. Effectivement, madama désigne une femme d’un certain âge avec qui le locuteur n’a pas nécessairement un rapport de familiarité. De ce fait, ce terme a une valeur affective neutre et entre en concurrence avec son correspondant malgache, ramatoa (une dame, madame). Il est utilisé de manière isolé et autonome et n’est pas suivi du patronyme de la personne indiquée. Il importe de noter au passage que ramatoa est également le titre porté par l’épouse d’un pasteur dans les cultes protestants. En ce qui concerne madame, ce terme fait tout particulièrement référence à une institutrice ou à une enseignante, notamment lorsqu’il est suivi le plus souvent du prénom de la personne dans le langage courant et ordinaire, ou du nom patronymique selon les exigences d’une situation de communication particulière.

Madame marque la civilité lorsqu’il est employé seul. Ce terme est également

particulièrement utilisé pour marquer la déférence à une femme d’un certain statut ou position sociale ; d’où l’attention particulière apportée à la bonne prononciation de ce mot.

Les mêmes observations sont faites chez les hommes en ce sens que le mot d’origine française, ramose (fr. ra-monsieur) désigne à la fois un homme d’un certain âge et souvent d’un certain statut social au regard du locuteur – et aussi un enseignant ou un employeur. Il est également employé dans un souci de bienséance, donc affectivement marqué. Quand à son correspondant malgache, rangahy (monsieur) semble connoter un certain détachement par rapport à un individu inconnu ou étranger au groupe, ce qui dénote une annulation de la charge affective et une indication de non familiarité.

L’usage de termes familiers et parfois vulgaires qui se substituent aux pronoms personnels est courant dans le langage parlé au quotidien. Ces termes occupent une fonction conative. Ils sont également évocateurs d’intention de coudoiement et parfois d’empathie avec l’/les interlocuteur(s), mais aussi d’adhésion de ce(s) dernier(s) au propos émis. Parmi ces termes on trouve ry ireto (fam. vous), ry zalahy (fam. eux ; nous inclusif), ry zareo (fam. eux ; vous) ; ledala, nedala (fam. lui), ry leirony (fam. eux), i tena (vulg. toi), i tena isany (vulg. vous), razoky (fam. lui ; toi), leiry (fam. lui), ialahy (fam. toi), ialahy isany (fam. vous),

ingahy (fam. toi), ny kôf, ny kôfboay (fr./ang. cowboy, moi. arg. impers.), ny bandy (fr. bandit,

moi. arg. impers.), etc.

D’autres éléments plus familiers sont moins évocateurs mais gardent toujours leur fonction conative. Ils assument par ailleurs une fonction phatique dans la mesure où leur présence ou leur absence dans l’énoncé n’affecte pas le sens. Ces éléments servent essentiellement à garder l’attention de l’interlocuteur, à souligner un rapport de proximité, à rappeler à l’interlocuteur une volonté de préserver une certaine affinité avec lui. Par exemple,

oh leity ! ([vois-tu] mec), oh ry leiry ! (vois-tu mec), leisy (vois-tu), rangahy ity ! (mon

vieux !), oh razoky ! (hey man/mec !), etc. A l’exception du dernier, ces éléments sont notamment employés dans un contexte où les interlocuteurs ont à peu près le même âge et souvent de même sexe. Mais d’autres éléments sont également utilisés dans le cadre d’un échange verbal entre deux individus de statut socio-familial différent : parent-enfant, plus âgé- moins âgé, etc. Tel est le cas de rankizy (fam. mon enfant, mes enfants), anaka (mon enfant),

razoky (fam. toi ; lui ; man – du moins âgé au plus âgé), zandry (fam. toi, petit/frérot). Ces

éléments, qui portent des valeurs sémantiques différentes lorsqu’ils sont isolés, servent à donner au propos une charge émotive et à stimuler la sensibilité. A l’exception de razoky, ils orientent également la focalisation de(s) l’interlocuteur(s) sur la nature des rapports existant

entre les deux acteurs, notamment sur le statut et la forme d’autorité qu’occupe le sujet parlant par rapport à son (ses) interlocuteur(s).

De surcroît, si la migration caractérise l’histoire des membres de la communauté d'Andralanitra, elle est aussi un facteur non négligeable dans l’affirmation identitaire liée à l’origine sociale ou géographique de chacun. Les sentiments d’appartenance à un groupe s’opposent ainsi à la volonté d’affirmer sa différence, notamment autour de l’idée de l’altérité. De ce point de vue, les membres de la communauté d'Andralanitra accordent une importance particulière à l’ancienneté sur le site. Les indigents, qui arrivent pour la première fois au centre d’accueil d’Akamasoa, sont désignées par arrivage ou cas spécial, attribuant à ces deux termes de nouvelles acceptions.

Arrivage a subit un glissement de sens et fait référence aux personnes arrivées pour la

première fois au centre d’accueil. Il rappelle également l’idée d’ancienneté sur le site et celle d’altérité. Il est surtout question de marquer la différence entre les nouveaux venus et ceux qui y sont déjà installés. Quant à cas spécial, dont on soupçonne qu’il s’agit d’un terme utilisé par les responsables du centre d’accueil, il est employé pour désigner les personnes âgées ou nécessitant une prise en charge particulière, telles les infirmes, les enfants orphelins ou abandonnés, etc.

Toujours dans l’expression de l’altérité, les personnes originaires d’autres régions qu’Antananarivo et qui se sont installés au centre d’accueil ou ses environs sont désignées par des termes très spécifiques. Mpiavy (celui qui est venu de loin) et mpila ravinahitra (celui qui est à la recherche d’herbes [vertes]). L’usage de ces termes indique que les jeunes, autant que les autres membres de la communauté d'Andralanitra, marquent également une différence entre eux-mêmes, selon l’origine de chacun. Il s’agit surtout de circonscrire davantage leur groupe d’appartenance, et parfois sur le plan ethnique. En effet, ce que l’on considère comme

mpiavy – mais qui n’est pas toujours le cas avec mpila ravinahitra, lequel est plus générique –

sont les migrants d’autres régions. De ce fait, en désignant les personnes avec ces termes, les jeunes expriment un marquage identitaire fort face à la notion de l’altérité. L’idée de l’altérité a une dimension impondérable chez les jeunes. Elle est dans son essence opposée à zanatany (natif du lieu). L’opposition de ce dernier terme avec mpiavy se modélise sur la base d’une volonté constante d’affirmation de la différence socio-identitaire et de complaisances.

Toujours dans cette optique de la perception de l’altérité, il est des termes plus génériques pour désigner toute personne étrangère à un groupe ou une communauté, qu’elle soit de passage ou venue s’y installer. Il s’agit de olona avy any ivelany (quelqu’un venu de l’extérieur). Ce terme, lorsqu’il est employé par les jeunes, semble faire allusion à la présence

d’une ligne démarcative imaginaire du territoire de la communauté. Toutefois, ce terme peut également désigner toute personne venue d’un pays étranger. La langue malgache dispose davantage d’éléments lexicaux qui correspondent au terme étranger : vazaha et vahiny vazaha sont exclusivement réservés aux étrangers de type européen, c'est-à-dire qui ont la peau blanche. Dans l’esprit des jeunes, ce qui est d’ailleurs partagé par la majorité des Malgaches, les personnes de type autre qu’européen ne sont pas désignées par vazaha. A la place, leur désignation se fera en fonction de la couleur de leur peau ou de leurs traits physionomiques caractéristiques. Par exemple, les Asiatiques, c'est-à-dire toute personne ayant les yeux bridés, seront avant tout appelés Sinoa (fr. Chinois) ; les personnes à la peau noire Afrikanina (fr. Africain ; ang. African), les Comoriens Kômôrianina (fr.), les Indiens et les Pakistanais

Karana, etc. A ces termes s’ajoutent également d’autres dont l’emploi est réservé à des

situations particulières, comme torista (fr. touriste), ou torisma (fr. tourisme) pour désigner les touristes étrangers.

La notion de l’altérité chez les jeunes, et également chez la majorité, repose sur des bases identitaires et d’appartenance socioculturelle. Cette notion d’appartenance est particulièrement prononcée dans les rapports avec autrui en ce sens que certaines personnes sont toujours susceptibles d’essayer de déterminer ce qui les rapproche et ce qui les diffère des autres, notamment sur le plan historique de la famille et parfois ethnique, notamment dans un contexte migratoire. Elle pourrait se produire aussi sur la base des aspects physionomiques ou raciaux, dans la divergence ou au contraire la convergence des traits culturels ou religieux de chacun, etc. Il s’agit en tout autant de paramètres qui conditionnent un choix lexical à opérer dans l’expression de l’altérité.

Le regard que les jeunes portent sur la société actuelle repose sur une vision pragmatique des choses ; c'est-à-dire qu’à la différence des langues européennes, les termes employés sont ici plus concrets qu’abstraits. La hiérarchisation prédominante dans la société est perçue non sur la base des paramètres économiques, culturels et sociaux classiques. Elle est surtout appréciée à l’aune de l’occupation et les attitudes qu’un individu adopte en société, et plus particulièrement les aspects extérieurs perceptibles ou visibles. Ainsi lorsque les jeunes de la décharge abordent les différences entre eux et les autres membres de la société, plusieurs termes sont employés selon les comportements, le statut social et les aspects visibles de richesse ou de pauvreté de chacun.

Les nuances conceptuelles ne résident pas uniquement dans l’appartenance de certains termes au vocabulaire standard ou au domaine familier, voire argotique, mais aussi dans la flexibilité notionnelle d’autres termes. Deba, debabe (fr. de Chef de bande, fam.), par

exemple, peuvent désigner, dans le langage familier, quelqu’un de plus aisé, jugé sur le plan de sa fortune ou de son apparence, et en raison de sa position sociale dans le groupe ou la communauté. Dans cette optique, l’on peut associer sémantiquement ces deux termes d’une part, à mpanan-karena, manan-karena (celui qui est fortuné, riche), ou à mahitahita (celui qui a plein de ressources), manam-bola, mpanam-bola (celui qui a plein d’argent), miadana (dans l’aisance, sans souci). D’autre part, ces termes courants dans le langage familier peuvent aussi désigner des personnes occupant une fonction hiérarchique supérieure, notamment dans un type de relation employeur-employé. L’on peut ainsi trouver des équivalences sémantiques et conceptuels de ces deux termes dans les éléments tels que patrô (fr. patron), directeur*61,

directrice (fr.), mpampiasa (employeur) et mampiasa (vx act. employer), manakarama et manakaramarama (vx act.). payer [quelqu’un en échange d’un service]), tale (directeur/rice), mitantana (vx act. diriger, gérer).

Deux autres termes interviennent dans la désignation des personnes qui ne sont pas forcément riches, mais que les jeunes considèrent comme disposant des ressources nécessaires pour vivre convenablement. Il s’agit de manan-katao (litt. celui qui a les moyens de faire des choses) et manan-katokona (celui qui a de quoi faire cuire). La société malgache diffère des sociétés occidentales en termes de stratification sociale en raison du fait que le système de classes ne peut s’appliquer dans cette société. A Madagascar, on parle surtout de catégorie défavorisée et de catégorie aisée. Toutefois, l’on peut supposer que ces deux termes sont des termes suffisamment génériques pour désigner les personnes qui n’entrent plus dans la catégorie des gens défavorisés, c'est-à-dire pauvres du point de vue non seulement économique mais aussi du point de vue d’accès à la mobilité sociale et culturelle, et qui ne sont pas considérées comme riches non plus.

La désignation de la catégorie défavorisée chez nos jeunes varie et reflète plus particulièrement les sentiments et les représentations que ces jeunes portent sur eux-mêmes et sur les autres individus partageant les mêmes situations. L’on suppose qu’une étude plus élargie des phénomènes de langage auprès d’autres catégories sociales et d’âges nous permettrait de dresser un inventaire plus exhaustif des termes qui s’y rapportent. La première impression qui s’impose est que les jeunes de la décharge se donnent une image insignifiante d’eux-mêmes lorsqu’ils parlent de leurs situations et de leurs conditions. D’une part, cette auto-désignation pleine de complexe traduit la souffrance et le malaise vécus, lesquels sont occasionnés par les différents types de rapports qu’ils ont avec les gens d’autres catégories sociales. Cet état de fait se constate lorsqu’on examine le vocabulaire des jeunes qui intègrent

des termes employés par les membres d’autres catégories sociales susceptibles de les utiliser, notamment pour des termes génériques ou neutres : mahantra (pauvre), olona sahirana (nécessiteux, indigents), vahoaka sahirana (la population défavorisée) qui sont évocateurs de leurs conditions de vie et de leur apparence. Mais d’autres termes, toujours aussi largement employés par la société sont relevés, tels que mafy ady (celui dont le combat est rude) et

katirami (Quatre mi’s, indéf.), osa ara-pivelomana (à revenus faibles) qui sont tout aussi

courants dans les discours au quotidien.

L’idée d’insignifiance est d’autant plus accentuée lorsque les jeunes utilisent des termes qui semblent exprimer la considération et le regard qu’ils ont d’eux-mêmes. Leurs conditions de vie affecteraient leur perception de soi et les amènent à projeter une image négative d’eux-mêmes. C’est ainsi, par exemple, que nous relevons des termes tels que

madinika kely (les vraiment petits), gasy kely (les petits [Mal]gaches), tsy mankaiza

(insignifiant), tsinontsinona (rien, personne), tsy misy dikany (sans aucun intérêt), tarangana (décimé, qui ne possède rien), ny mahantra fanira-komana (litt. des pauvres dont on se soucie peu à part les offrir à manger), etc. Ces termes véhiculent des sentiments forts de désarroi et de déréliction chez ces jeunes.

Si les rapports interpersonnels et sociaux se construisent autour de système de valeurs et de modes de vie communs, les conflits d’opinions et l’entente entres les membres de la communauté animent et font avancer cette communauté dans son évolution tant sociale que culturelle. Les points de vue des uns et les attitudes des autres rendent ce dynamique sociale riche en perspectives dans la mesure où ils sous-tendent le renforcement – ou au contraire fragilisent – les liens entre les individus. Lorsque les jeunes d'Andralanitra parlent des réalités sociales et de ce qu’ils observent autour d’eux, tantôt l’on note leur sensibilité à l’importance du maintien du bon fonctionnement de ce lien social entre les individus. Tantôt, ils lèvent le voile sur certains faits qui sont sources de conflits et de tensions.

L’examen du lexique nous renseigne que les jeunes accordent une importance particulière aux notions relatives à l’entraide, au partage et à la solidarité. Considérées comme aspects fondamentaux assurant le maintien de l’unité sociale, ces notions se déclinent sous différentes manières. A l’évidence, elles rappellent quelques uns des piliers de la société et de la culture malgaches, à savoir le fihavanana et fifandeferana, et le firaisan-kina ou la solidarité. Toutefois, leur langage revêt aussi un caractère dénonciateur en ce sens qu’ils évoquent de manière explicite les différentes formes de maux et de frustration sociaux auxquels les filles semblent être plus sensibles que les garçons. Il s’agit plus particulièrement

d’inégalité sociale, d’individualisme, de discrimination et de condescendance, lesquels sont perçus comme contraire au système de valeurs auquel les jeunes aspirent l’attachement.