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C HAPITRE 3 B I MULTILINGUISME ET LEXIQUE DANS LE LANGAGE DES JEUNES D 'A NDRALANITRA

3.3. E TUDE LEXICALE QUALITATIVE

3.3.5. Les adjectifs numéraux et ordinau

L’usage d’adjectifs numéraux et ordinaux d’origine française est très fréquent non seulement dans le discours des jeunes de la décharge mais aussi dans ceux des autres catégories sociales de la société malgache. La cohabitation du français et du malgache a toujours été notée dans l’énonciation des nombres et des chiffres, notamment à l’oral (voir Tableau 11).

Le français occupe une place importante dans la dénomination des niveaux d’études dès le cycle primaire, et ce malgré les diverses mesures linguistiques – dont la malgachisation, la francisation et la mise en place d’un système bilingue – mises en œuvre dans le système d’enseignement. Les différents niveaux scolaires sont habituellement indiqués soit en français, soit par hybridation malgache+français, (voir Tableau 10). En réalité, certaines appellations entièrement malgaches, particulièrement établies durant la période de malgachisation de 1976 à 1991 s’effacent peu à peu du langage populaire en faveur du français. On n’y fait référence actuellement à travers les manuels de malgache associés à chaque niveau. Toutefois, quelques unes de ces anciennes dénominations en malgache restent dans l’usage populaire. De surcroît, l’on trouve également des coexistences franco-françaises, qui sont en concurrence dues au fait que les terminologies sont étroitement associées aux politiques éducatives mises en œuvre par les divers régimes qui se sont succédés.

Ainsi, à l’école primaire, la dénomination de classe en français (Français 1) est la forme héritée de la période d’avant l’indépendance du pays en 1960, et qui continue à être utilisée aujourd’hui. Chaque régime qui se sont succédé à Madagascar a défini des mesures linguistiques éducatives et, par la même occasion, a mis en vigueur l’emploi de nouvelles appellations des classes (Français 2). En ce qui concerne les formes hybrides, leur utilisation officielle remonte à la période de la deuxième république (1992-2002), particulièrement marquée par la campagne de malgachisation, mais elles restent encore en usage, à un degré moindre, dans le langage familier. L’on peut de ce fait supposer que chaque génération de Malgaches qui ont fréquenté le cycle primaire pourrait faire usage d’une appellation ou d’une autre selon la terminologie en vigueur au cours de leur scolarisation.

Tableau 10 : Correspondances des noms des différents niveaux scolaires52

Français 1 Français 2 Malgache Hybride

Douzième Maternelle

Onzième Cours préparatoire 1 – CP1

Garabola Taona un (T-un ou T1)

Dixième Cours préparatoire 2 – CP2

Harivola Taona deux (T-deux ou T2)

Neuvième Cours élémentaire – CE Kingavola Taona trois (T-trois ou T3)

Huitième Cours moyen 1 – CM1 Rosovola Taona quatre (T-quatre ou T4)

Septième Cours moyen 2 – CM2 Kingavola Taona cinq (T-cinq ou T5)

Sixième Taona fahaenina Taona six (T-six ou T6)

Cinquième Taona fahafito Taona sept (T-sept ou T7)

Quatrième Taona fahavalo Taona huit (T-huit ou T8)

Troisième Taona fahasivy Taona neuf (T-neuf ou T9)

Seconde Taona fahafolo Taona dix (T-dix ou T10)

Première Taona fahairaika

ambin’ny folo Taona onze (T-onze ou T11)

Terminale Kilasy

famaranana

Taona douze (T-douze ou 12)

Par ailleurs, les numéraux en français sont largement employés dans les références aux valeurs ou au somme d’argent. C’est une pratique héritée non seulement de l’influence du français d’avant et d’après l’indépendance, mais aussi de l’usage de l’unité monétaire en vigueur à Madagascar, le franc malgache, jusqu’au 1 janvier 2005, le jour où l’ariary est officiellement imposé comme l’unité monétaire nationale. Il est toutefois important de noter que l’ariary et le franc malgache ont toujours cohabité. Les deux valeurs sont indiquées sur les billets de banques émis par la banque centrale de Madagascar. Avant l’établissement de l’ariary comme unité monétaire officielle, les valeurs qui y sont associées étaient présentées dans les deux langues : les valeurs en

ariary en malgache et les valeurs en franc en français (l’ariary étant 1/5 du franc

malgache). L’adoption de l’ariary indique entre autres un choix politique par rapport aux langues en usage à Madagascar et surtout une valorisation socio-identitaire importante. En effet, depuis des années, l’énonciation des valeurs en malgache associée à l’ariary est fréquemment utilisée dans les petits commerces et par les petits peuples alors que le franc malgache, dont l’usage du français est de rigueur, était largement employé par les populations citadines.

Il reste toutefois que les valeurs ou les sommes rondes comme les billets de banque sont tantôt dites en franc tantôt en ariary selon le locuteur et les circonstances. Concernant toujours les valeurs ou les sommes, le langage populaire oral est caractérisé par l’effacement de l’unité monétaire franc malgache et parfois par une ellipse subie par les milliers et les millions lorsque la somme est arrondie. Par exemple, cinq mille, cinq

cent mille, dix mille, etc. au lieu de cinq mille francs (malgaches), cinq cent mille francs (malgaches), dix mille francs (malgaches) ; ou encore un million cinq, vingt cinq, etc.

au lieu de un million cinq cent mille francs (malgaches) ou vingt cinq mille francs

(malgaches) (voir Tableau 11). D’ailleurs, depuis l’officialisation de l’ariary comme

unité monétaire en vigueur, l’énonciation des valeurs en français est entrée en concurrence avec l’annonce des numéraux en malgache dans les échanges quotidiens. Tableau 11 : Liste des adjectifs numéraux et ordinaux d'origine étrangère

Forme rencontrée Forme et langue d’origine Signification en français

Cinq Cinq (fr.) Cinq.

Cinq cent mille Cinq cent milles (fr.) Cinq cent mille francs malgaches.

Cinq mille Cinq-mille (fr.) Cinq mille francs malgaches.

Cinquième Cinquième (fr.) La classe de cinquième.

Deux plus deux

Deux (fr.) Deux.

Deux mille Deux mille (fr.) Deux mille.

Deux mille deux Deux mille deux (fr.) L’année 2002.

Dix à quinze pour cent Dix à quinze pour cent (fr.) Dix à quinze pour cent

Dix mille Dix mille (fr.) Dix mille francs malgaches

Douze deux mille dix Douze deux mille dix (fr.) 12-2010 (date de péremption).

Douzième Douzième (fr.) La classe de douzième.

Forme rencontrée Forme et langue d’origine Signification en français

Neuvième Neuvième (fr.) La classe de neuvième.

Onzième Onzième (fr.) La classe de onzième.

Quat'mille Quatre-mille (fr.) Quatre mille francs malgaches.

Quatre Quatre (fr.) Quatre.

Quatre vingt Quatre vingt (fr.) L’année 1980.

Quatre vingt dix Quatre vingt dix (fr.) L’année 1990. Quatre vingt dix huit Quatre vingt dix huit (fr.) L’année 1998. Quatre vingt douze Quatre vingt douze(fr.) L’année 1992.

Quatre vingt firy Quatre vingt (fr.) + firy Litt. L’année quatre vingt quoi déjà ?

Quatre vingt neuf Quatre vingt neuf (fr.) L’année 1989. Quatre vingt onze Quatre vingt onze (fr.) L’année 1991. Quatre vingt quatorze Quatre vingt quatorze (fr.) L’année 1994. Quatre vingt quatre Quatre vingt quatre (fr.) L’année 1984. Quatre vingt treize Quatre vingt treize (fr.) L’année 1993.

Quatrième Quatrième (fr.) La classe de quatrième.

Seconde Seconde (fr.) La classe de seconde.

Septième Septième (fr.) La classe de septième.

Sixième Sixième (fr.) La classe de sixième.

Six mille Six milles (fr.) Six mille francs malgaches.

Six Six (fr.) Six.

Soixante dix Soixante dix (fr.) L’année 1970.

Soixante dix neuf Soixante dix neuf (fr.) L’année 1979.

Soixante sept Soixante sept (fr.) Lotissement résidentiel appelé cité des 67 ha, à l’ouest de la capitale.

Terminale Terminale (fr.) La classe de terminale.

Trente un Trente un (fr.) 31 décembre ; la nuit du saint

sylvestre.

Trois Trois (fr.) Trois.

Trois cents Trois cents (fr.) Trois cents.

Troisième Troisième (fr.) La classe de troisième.

Trois mille Trois mille (fr.) Trois mille francs malgaches.

Un Un (fr.) Un.

Forme rencontrée Forme et langue d’origine Signification en français francs malgaches.

Vingt Vingt (fr.) Vingt (âge).

Vingt cinq Vingt cinq (fr.) Vingt cinq mille francs

malgaches.

Vingt deux Vingt deux (fr.) Vingt deux (âge).

Enfin, l’on note l’usage fréquent du français dans l’énonciation des références temporelles telles que les dates et les années. Indiquer les années en français fait gagner plus de temps au locuteur que de le dire en malgache. En effet, comme le malgache, à l’oral notamment, exige l’utilisation de taona (année) avant chaque série de nombres, parfois, il suffit seulement d’évoquer l’année en français, évitant ainsi une contrainte d’explicitation. Ceci n’empêche pas pour autant de rencontrer l’énonciation des années entièrement en malgache dans les discours au quotidien. Si le millier et la centaine sont effacés, notamment pour les années du 20ème siècle (ex. quatre vingt dix, quatre vingt

onze, quatre vingt douze), les années 2000 sont énoncées entièrement, comme dans deux mille deux, deux mille dix. Certains jours de fêtes subissent également

d’effacement du mois. Par exemple, le trente un (31 décembre), ou le vingt six (26 juin, fête nationale), dont l’annonce dans le langage oral est plus fréquemment faite en français.