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Chapitre 4 L A TAXONOMIE DES ACTIONS DE LOBBYING : UNE CONSTRUCTION THEORIQUE ET EMPIRIQUE

1. Préambule sur les typologies appliquées au lobbying

2.1. La description des facteurs contextuels du lobbying existe

2.1.2 Les ressources disponibles pour l’action politique

Nous définirons avec Attarça la ressource politique « comme étant une ressource

contrôlée par une entreprise et utilisée dans le cadre de ses activités politiques » (Attarça, 2002) . Ainsi, le portefeuille de ressources détenu par chaque entreprise influencerait sa stratégie de lobbying.

La description de ces ressources politiques dont dispose l’entreprise pour son lobbying est à rechercher dans deux champs d’études différents. D’une part, les études en sociologie sur le pouvoir politique ont été adaptées au cas de l’entreprise. D’autre part, les recherches en gestion sur les ressources de production déterminant les avantages concurrentiels des entreprises ont été transférées au problème du lobbying.

« La pertinence du concept de ressources dans l’étude des relations entre les

entreprises et les pouvoirs publics » demeure par ailleurs un sujet d’actualité en gestion. Il a ainsi donné lieu à des débats et publications lors du dernier congrès de l’Association Internationale de Management Stratégique (Dahan, 2002).

a. Une analyse sociologique des ressources comme source de pouvoir politique French et Raven (1959) ont démontré l’utilité des bases du pouvoir pour clarifier le processus d’influence sociale. Ils ont décrit cinq sources de pouvoir semi-autonomes : la récompense, la coercition, la légitimité, le référent commun et l’expertise. Ils ont expliqué la manière dont les agents utilisent ces sources pour influencer le comportement des personnes cibles. De même Crozier et Friedberg (1977) ont tenté d’isoler les sources de pouvoir au sein des organisations qu’ils ont résumé dans l’incertitude. Celle-ci peut être réduite par des compétences particulières, des liens spécifiques avec l’environnement, des informations ou des règles organisationnelles qui confèrent un pouvoir à l’individu qui les détient. Cette logique sociale des sources de pouvoir peut être transférée aux processus d’influence politique mais certaines composantes paraissent limitées aux situations sociales. En effet, les processus d’influence politique impliquent l’interaction de nombreux groupes qui ont un contrôle très limité sur les structures de décision politique ciblées. Des groupes d’intérêt conflictuels tentent simultanément d’influencer une cible commune. En outre, le lobbying implique l’influence des ressources financières sur les choix stratégiques même si les financements directs de décideurs politiques sont illégaux.

Finer (1955) a adapté cette approche au lobbying en proposant que le pouvoir politique d’une entreprise soit exprimé à partir de cinq sources : la capacité de l’organisation à mobiliser des actions et des ressources, le montant des fonds disponibles pour le lobbying, l’accès de l’entreprise aux modes clés d’influence, la capacité de la firme à mobiliser ses salariés autour d’objectifs et de stratégies, la capacité de l’organisation à intégrer ses problèmes dans des questions économiques de société (d’intérêt général). A ce modèle, Epstein (1969) ajoute l’influence de l’entreprise sur les médias, les succès passés de l’entreprise en matière de lobbying, la stature publique des dirigeants de la firme. Notons que ces deux modèles n’ont jamais été testés de manière empirique.

b. Une analyse stratégique des ressources comme source d’avantage concurrentiel

De manière synthétique, Barney (1991) définit les ressources d’une entreprise comme « l’ensemble des fonds, capacités, processus organisationnels, attributs de l’entreprise,

information, savoir, etc.., contrôlé par une entreprise et qui lui permet de concevoir et de mettre en œuvre des stratégies qui lui confèrent efficacité et efficience ». Il classe ces

ressources en trois catégories : les ressources physiques, humaines et organisationnelles. De même, Prahalad et Hamel (1990) proposent de définir les organisations à partir de ce qu’elles savent faire : elles possèdent des ressources (actifs tangibles et intangibles associés de manière semi-permanente à la firme comme par exemple des équipements ou des brevets) et des compétences (capacités d’un ensemble de ressources à être mises en œuvre afin de réaliser une activité particulière). Ces ressources et ces compétences sont différentes pour chaque entreprise et lui apportent un avantage concurrentiel à condition d’être : valorisées, rares, difficilement imitables, pérennes, non substituables, appropriées par l’organisation. Ce sont les ressources qui vont déterminer la stratégie de l’entreprise : après une identification de ses actifs stratégiques elle pourra choisir un ensemble de production dans lequel elle dispose d’un avantage concurrentiel.

De manière parallèle, l’existence et l’identification des ressources politiques de l’entreprise vont lui permettre de définir une stratégie de lobbying censée lui apporter un avantage concurrentiel dans le champ politique. Des compétences distinctives peuvent être définies en terme de meilleure intelligence ou de meilleures cartes cognitives concernant l’environnement non marchand, de meilleur accès aux décideurs publics et aux sources de l’opinion publique, de meilleures compétences en matière de négociation ou non (Boddewyn et Brewer, 1994). Ces compétences devront avoir les caractéristiques particulières que nous venons de décrire pour se révéler des sources d’avantages comparatifs. On peut remarquer, à ce propos que l’imitation doit être plus difficile en matière de lobbying en raison de la faible visibilité de ces pratiques.

L’étude de Oberman (1993) développe une classification des ressources politiques en reprenant la théorie des ressources et compétences et en élargissant la définition des ressources. Trois dimensions des ressources politiques y apparaissent. En premier lieu, il distingue les ressources contrôlées par l’entreprise évoquées par Barney et les ressources institutionnelles. En effet, en matière politique, il peut exister des ressources qui appartiennent au marché politique dans son ensemble et que les entreprises peuvent emprunter sans jamais se les approprier définitivement (les lois par exemple). Ensuite, une autre dimension évoquée par Oberman est la différence entre les ressources politiques qui sont présentes dans les structures sociales (les groupes d’intérêt par exemple) et celles qui se trouvent dans le contenu de ces structures sociales (les valeurs défendues par le groupe d’intérêt). Enfin, une troisième différence peut être établie entre les ressources objectives (des lois) et des ressources plus subjectives (les valeurs). Le tableau qui suit résume les différents types de ressources politiques disponibles pour les entreprises et qui engendrent différents types de stratégies d’action politique.

Tableau 18.

Ressources politiques et stratégies d’action politique des entreprises

Type de ressource Origine des

ressources Ressources contrôlées Ressources institutionnelles Ressources

objectives Structure Organisation formelle

Tribunaux, autorités administratives, corps législatif

Ressources

objectives Contenu Ressources matérielles Politiques, lois, constitutions Ressources mixtes Structure Organisation informelle Réseaux politiques

Ressources mixtes Contenu Idéologies, valeurs

collectives Culture politique, valeurs sociétales

Ressources

subjectives Structure

Modèles de comportements

collectifs Réseaux de communication

Ressources

subjectives Contenu Perceptions collectives Opinion publique

Source : Oberman (1993)

Récemment, Attarça a développé une typologie des ressources politiques plus opérationnelle en se fondant sur des études de cas (Attarça, 2002). Nous en reproduisons ici le tableau de synthèse qui distingue deux dimensions pour chacune des six catégories de ressources politiques : les « actifs pouvant être stockés » et les « compétences ou savoirs-

faire permettant de développer et de maintenir les actifs ».

Tableau 19.

Une typologie des ressources politiques de l’entreprise

Ressources Actifs (stocks) Capacités (savoir-faire) Information Information Expertise économique, technique,

scientifique, juridique

Relationnelle Réseau de contacts politiques, économiques, médiatiques

Capacité à entretenir et développer le réseau relationnel

Symbolique Image de l’entreprise auprès des responsables publiques, du public, des médias

Capacité à élaborer un discours, à façonner une image, à se constituer une réputation

Organisationnelle Procédures, méthodes de travail Connaissance de l’environnement institutionnel, capacité à élaborer et à mettre en œuvre une stratégie politique

Economique Pouvoir économique (richesses matérielles, parts de marché, emplois créés, marchés couverts….)

Capacité à légitimer les intérêts de l’entreprise et/ou à faire pression sur les autres parties prenantes

Financière Argent Capacité à utiliser à bon escient les ressources financières de

l’entreprise Source : Attarça (2002)

Tableau 20. Principaux travaux sur les facteurs contextuels du lobbying

Références Sujet Problématique Hypothèses Méthode Résultats

Attarça, 2002 Recherche d’une

taxonomie des

ressources politiques des entreprises.

Les conclusions de la littérature en la matière sont- elles applicable à des cas concrets d’action politique d’entreprises ?

Les activités politiques mises en œuvre par les entreprises, telles que le lobbying peuvent permettre l’acquisition d’avantages concurrentiels durables.

Revue de la littérature focalisée et étude longitudinale de trois cas (Virgin Mégastore et la réglementation du travail dominical ; Bull et la

réglementation sur la protection des logiciels ; Atochem et la réglementation sur les CFC).

Une typologie en six catégories de ressources (d’information, relationnelles, symboliques, organisationnelles,

économiques et financières) séparés entre actifs et capacités émerge de la confrontation entre la littérature et les trois cas étudiés.

Bensedrine, 1998 Analyse de la stratégie

des entreprises confrontées à des problèmes scientifiques et réglementaires.

Quelle stratégie pour ces entreprises ? Ont-elles intérêt à intervenir ?

L'argumentation

scientifique peut servir de support à l'action politique des entreprises.

Empirique : étude du cas des industries productrices de CFC depuis les années 1970.

Il existe une « accommodation des pouvoirs publics » à l'action des entreprises (plutôt qu'une réelle capture

réglementaire par ces

entreprises) ; les entreprises ont donc intérêt à l'action afin de stabiliser leur environnement.

Bloch, 1998 Analyse du rôle de la

réglementation dans la performance des

nouveaux entrants sur un marché en situation de monopole.

Y-a-t-il interaction entre nouvel entrant et réglementation dans une situation de monopole ?

Les industries en réseaux sont représentatives des problèmes de monopoles naturels.

Empirique (étude du secteur des télécommunications en France et aux Etats-Unis) et recherche action (l'auteur est le créateur de l'Annuaire Soleil en France).

Le nouvel entrepreneur suscite la déréglementation qui elle- même influence la survie du nouvel entrant, en particulier par la rapidité de sa mise en place.

Références Sujet Problématique Hypothèses Méthode Résultats

Boddewyn et Brewer , 1994

L’action politique des entreprises à l’international. Le comportement politique des entreprises à l’international est-il spécifique et est-il modélisable par l’intermédiaire des

différentes théories modernes des organisations (théorie de la dépendance des

ressources, théorie institutionnelle…) et de la stratégie (théorie de la chaîne de valeur…) ?

Le rôle de l’entreprise dans la perception de l’environnement n’est pas évoqué.

Revue de la littérature théorique (spécifique au sujet et

introduction de concepts plus généraux comme la théorie de la dépendance des ressources ou la théorie institutionnelle) et des études de cas.

Construction de propositions.

Le comportement politique des entreprises à l’international est à la fois la cause et la

conséquence de deux types de facteurs :

1. les facteurs conditionnant (l’entreprise, son secteur d’activité et son environnement non commercial) ;

2. les objectifs stratégiques de l’entreprise (l’efficience, le pouvoir de marché et la légitimité).

Che et Gale, 1998 Etude théorique des

effets de la limitation officielle des

contributions financières des lobbyistes.

La limitation officielle des financements des lobbyistes n’aurait-t-elle pas comme effet pervers d’accroître le total du montant des dons et donc de réduire les gains globaux ?

L’existence d’une limitation officielle permettrait réellement de diminuer le financement des lobbyistes les plus intéressé (alors qu’il existe des moyens officieux de procéder).

Modélisation par la théorie des jeux et démonstration

mathématique sur la base de la vente aux enchères pré-payées

Une limitation exogène des financements des lobbyistes engendrent un accroissement général du total du montant payé par les lobbyistes et donc reçu par les décideurs publics comme rente.

Jean, 1992 Etude du lobbying

communautaire.

Quel est le modèle qui influence le lobbying communautaire ?

L’étude de documents communautaires et l’analyse des phases préparatoires permettent d’évaluer l’efficacité du lobbying.

Mixte : étude de cas, en particulier analyse des documents publiés par la Commission, et revue de la littérature.

Le lobbying communautaire diffère du modèle américain, britannique ou latin mais se rapproche du modèle allemand bien adapté à la législation communautaire.

Références Sujet Problématique Hypothèses Méthode Résultats

Keim et Zeithaml, 1986 Etude théorique de

l’efficience des différentes stratégies d’action politiques des entreprises.

Les différentes stratégies d’action politique des entreprises sont elles toujours efficaces ?

Tentative de théorisation des comportements, toutes choses égales par ailleurs, en particulier en ne tenant pas compte des

interactions entre les différents acteurs et du problème de la durée de l’action politique de l’entreprise.

Théorique : revue de la littérature, élaboration d’un modèle général des décisions politiques et typologies des différentes stratégies des entreprises dans différentes situations politiques.

Il existe 5 grandes stratégies d’action politique des entreprises (information de l’environnement de

l’entreprise, financement de campagnes politiques, campagnes de publicités, contacts directs avec les hommes politiques, action collective au sein d’une coalition) qui ont des efficacités différentes suivant la situation politique concernée ou non par une problématique particulière sur laquelle les électeurs peuvent être en accord ou non.

Oberman, 1993 Etude des stratégies et

des choix tactiques des entreprises en matière de lobbying dans l’optique de la théorie des ressources internes et externes) et de la théorie institutionnelle.

Comment utiliser l’optique de la théorie institutionnelle et de la théorie des

ressources pour relier les différentes étapes de l’action politique des entreprises ?

L’action politique des entreprises est influencée de manière systématique par des facteurs

institutionnels ou de ressources sans qu’interviennent des processus de décisions plus aléatoires tels ceux décrits dans le modèle de « la poubelle » [March, Cohen et Olsen, 1972].

Théorique : revue de la littérature et construction de plusieurs typologies.

Mise en place d’une typologie : - des ressources de l’action politique des entreprises - des objectifs de l’action politique de l’entreprise en fonction de son environnement - des types d’action politique en fonction de son

environnement

- des modes d’influences utilisés par l’entreprise pour mener à bien ces actions politiques

- des formes d’action politiques collectives.

Teule-Martin, 1995 Etude comparative du

lobbying européen et du lobbying américain.

Quel modèle pour le lobbying européen ?

Il existe des similitudes entre les pratiques de lobbying des différents pays européens.

Mixte, en particulier, étude du Journal Officiel des

Communautés Européennes.

Le lobbying européen n’est pas encore totalement établi même si par leur travail technique les lobbyistes constituent un relais nécessaire.

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