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Les ressources alimentaires issues de l’élevage

Afin de définir le type de production et de consommation de ces communau- tés côtières et insulaires, et de mettre en évidence d’éventuelles différences de comportement, des estimations d’âge à la mort, associées à une analyse de la répartition anatomique des restes osseux, ont été effectuées lorsque les données le permettaient.

Une gestion adaptée ◗ Les âges à la mort

Seuls les sites d’Hoëdic et de Locquirec ont fourni des données suffisantes à l’élaboration de courbes d’abattage et ce uniquement pour les caprinés (fig. 101 et 102). En ce qui concerne l’ensemble issu d’Hoëdic, les résultats obtenus à partir des usures dentaires ou des stades de croissance des ossements montrent la présence de jeunes individus en proportion non négligeable. En effet, les âges dentaires témoignent de l’abattage de près de 40 % des individus avant 1 an. Il est intéressant de noter que des proportions relativement stables d’animaux entre 1 et 10 ans sont conservées (fig. 101). Si une grande part des caprinés semble destinée à la consommation, quelques individus sont également élevés pour la production de laine et de lait, ainsi que pour la reproduction. Les stades d’épiphysation des os offrent des résultats similaires, confirmant également les éléments énoncés à partir de l’analyse de la fréquence relative des espèces. L’élevage de caprinés ainsi que la consommation de viande de qualité sont donc attestés sur les îles bretonnes et tout particulièrement à Hoëdic, site pour lequel les données sont suffisantes pour développer ce type d’analyse.

Le site de Locquirec se différencie du précédent. Les agneaux paraissent jouer un rôle moins important dans l’alimentation. L’abattage concerne essentiellement

101 Hoëdic Port-Blanc

a b

Locquirec

102

0-12 mois 12-18 mois 18-36 mois 36-48 mois non épiphysés épiphysés

- 10 20 30 40 0 20 40 60 80 100 % - 10 20 30

% corrigé (amplitude 2 mois)

% corrigé (amplitude 2 mois)

0-2 mois 2-6 mois 6-12 mo is

1- 2 ans 2-3 ans 3-4 ans 4-6 ans 6-8 ans 8-10 ans >10 ans

0-2 mois 2-6 mois 6-12 mo is

1- 2 ans 2-3 ans 3-4 ans 4-6 ans 6-8 ans 8-10 ans >10 ans

Fig. 101 : Comparaison des distributions d’âges dentaires (NR = 75, a) et épiphysaires (NR = 418, b) de caprinés du site d’Hoëdic Port-Blanc (La Tène finale). Fig. 102 : Courbe d’abattage des caprinés à partir des âges dentaires (NR = 23) du site de Locquirec (La Tène finale).

des individus dont l’âge est compris entre 1 et 3 ans, c’est-à-dire autour de la maturité pondérale (fig. 102). Plus de 25 % des bêtes sont maintenues, entre 4 et 8 ans, probablement pour la production de laine et la reproduction, avant d’être réformées.

◗ Les restes de périnataux et d’infantiles et les dents de lait isolées

Aucune dent de lait isolée n’a été recensée dans les ensembles bretons. Les restes de fœtus, de périnataux et d’infantiles découverts sur la majorité des sites, et ce pour les trois principaux taxons, permettent toutefois d’attester la pratique de l’élevage et l’existence de femelles en gestation. En ce qui concerne les bovins, les sites de Locquirec et de Plougasnou ont livré quelques restes isolés de périna- taux. De très jeunes porcs ont également été découverts sur les sites d’Hoëdic et particulièrement de Plougasnou, avec la présence de 97 restes appartenant à des individus de quelques semaines (NMIc de deux individus). L’élevage de capri- nés est toutefois le mieux renseigné, avec la découverte d’os de périnataux et d’infantiles sur les sites de Châteaugiron, de Locquirec, de Triélen, des Moutons et d’Hoëdic. Ce dernier assemblage livre notamment un ensemble de plus de 80 restes isolés d’agneaux qui corrobore les différents éléments déjà énoncés sur la pratique de l’élevage de mouton sur ce site insulaire.

Les habitats mixtes : alimentation des artisans ou production de salaisons ?

◗ De l’origine des rejets

quelques-uns des habitats littoraux étudiés correspondent à des occupations mixtes qui associent habitat et atelier artisanal (Locquémeau-Trédrez, Triélen, Hoëdic). Les quantités importantes de restes fauniques (mammifères, mol- lusques, poissons) mises au jour en association avec les ateliers de bouilleurs de sel posent la question d’une éventuelle fabrication de salaisons au sein même des ateliers de production du sel. Si la confection de salaisons et de sauces à base de poisson est illustrée en Bretagne, pour la période gallo-romaine, par la mise au jour de cuves à salaisons (par exemple à Douarnenez

[Sanquer, Galliou 1972]) et de cuves à garum (par exemple à Étel [Driard 2008 ; 2011]), aucun élément n’atteste, à ce jour, cette pratique pour l’âge du Fer. La production du sel est pourtant avérée sur plusieurs dizaines de sites de l’âge du Fer des côtes et des îles de Bretagne (Daire 2003). L’hypothèse d’une telle production mixte (sel et salaisons) a été émise pour les ateliers d’Enez Vihan et de Landrellec au sein desquels plusieurs cuves, de volume important, ont révélé des dépôts organiques (fig. 103) (Daire, Le Brozec 1990 ; Daire et al. 2001). Toutefois, faute de macrorestes fauniques conservés et d’analyses chimiques concluantes, l’activité de production de sauces ou de salaisons reste difficile à établir. Il en est de même pour l’habitat de l’île des Ébihens pour lequel Sophie Krausz évoque un possible prélèvement des parties propices

au salage, sur des carcasses de moutons, en relation avec l’atelier de bouilleur de sel situé à proximité. Ses propos sont toutefois tempérés par la faiblesse quan- titative du nombre de restes déterminés qui est inférieur à 300 (Krausz 1989). Durant ces dernières années, les fouilles réalisées sur plusieurs sites présen- tant des occupations mixtes (habitat-ateliers de bouilleur de sel) et livrant des quantités importantes de faune ont permis de renouveler la réflexion sur

Fig. 103 : Cuves à saumure et/ou à salaisons de l’atelier de bouilleur de sel d’Enez Vihan à Pleumeur-Boudou, La Tène finale (© M.-Y. Daire, CNRS).

la provenance de ces rejets : résultent-ils de la consommation quotidienne des habitants et des artisans ? Ou découlent-ils d’activités de préparation et de salai- sons de produits carnés en vue d’exportations ? Afin d’essayer de répondre à ces questions, les données issues des sites d’habitat et celles provenant d’occupa- tions mixtes ont été confrontées, par le biais de l’analyse de la répartition ana- tomique. L’exportation de pièces de viande peut induire un déficit des parties anatomiques charnues dans les lieux de préparation présumés. La petitesse de certains ensembles a empêché la confrontation de la totalité des lots. Ainsi, sont uniquement pris en compte les sites de Locquémeau-Trédrez et de Triélen pour La Tène moyenne et ceux de Locquirec, de Plougasnou, des Moutons et d’Hoëdic pour La Tène finale.

◗ Le bœuf

En ce qui concerne le bœuf, l’analyse de la répartition anatomique révèle, pour La Tène moyenne, un fort excédent des os de la tête au détriment des os les plus fragiles, quel que soit le site et donc quel que soit le contexte archéo- logique pris en compte. Toutefois, la mise en évidence dans ces deux ensembles (Locquémeau-Trédrez et Triélen) de déchets primaires de préparation (tête et bas de pattes), principalement marquée à Triélen, laisse supposer la présence d’animaux sur pied (fig. 104). Pour la période suivante, les résultats offrent une vision très différente de la place du bœuf sur ces occupations. Les sites côtiers présentent des proportions relativement équilibrées entre rejets de préparation et déchets de consommation (fig. 105). à l’inverse, il est intéressant de noter que, sur les sites insulaires, si l’ensemble des parties anatomiques sont recensées, les ceintures (la scapula sur l’île d’Hoëdic et le coxal sur l’île aux Moutons) sont excédentaires (fig. 105). Il est donc envisageable que ces pièces puissent arriver sur les îles, surtout celles qui sont les plus éloignées du continent, sous la forme de quartiers de viande, importés de la côte ou d’îles plus importantes. Ceci n’exclut pas l’existence de quelques individus sur pied, élevés sur place, et utilisés pour leur force de travail ou la production de lait.

◗ Les caprinés

L’ensemble de La Tène moyenne présente des valeurs proches de celles du réfé- rentiel, excepté pour les coxaux et les bas de pattes qui sont sous-représen- tés (fig. 106). Toutefois, la faiblesse pondérale des données disponibles limite l’interprétation de tels résultats. Pour le site de Locquirec, les proportions excédentaires des restes attribués à la tête, associées à la sous-représentation de l’ensemble des autres parties anatomiques, paraissent être la conséquence du ramassage différentiel qu’implique la nature de l’intervention réalisée sur ce site (rectification de coupe de falaise, relevé et ramassage du mobilier archéo- logique). à Hoëdic, il est intéressant de noter qu’il n’y a pas de réelle surre- présentation ni sous-représentation de certaines pièces anatomiques (fig. 107). Elles sont toutes très proches des valeurs de référence, ce qui indique que les animaux ont été élevés, abattus et consommés sur place. Ce constat, associé à la distribution des âges d’abattage, confirme l’élevage de caprinés sur cette île.

◗ Le porc

En ce qui concerne les porcs, les valeurs observées pour le site de Plougasnou semblent davantage résulter des effets de la conservation différentielle que d’une éventuelle sélection anthropique (fig. 108). Les sites d’Hoëdic et de Locquirec connaissent, quant à eux, des valeurs qui renvoient à des déchets de préparation et de consommation. Ces éléments, associés à des restes de périnataux, attestent

la présence de quelques très jeunes individus sur l’île d’Hoëdic. On peut toutefois observer une sous-repré- sentation du coxal au sein de ces deux ensembles. Il est tentant d’y voir la trace d’une exportation de pièces de viande et notamment de jambons. Toutefois, si nous revenons aux données brutes, il est important de rappeler que les restes de porcs représentent moins de 10 % des ensembles et qu’il faut donc rester très prudent sur les interprétations.

◗ De l’os à la salaison

L’analyse de la répartition anatomique des principaux taxons domestiques, en particulier celle des capri- nés dont les données sont les plus nombreuses, offre l’image de rejets de préparation et de consommation.

L’ensemble des parties anatomiques sont identifiées quel que soit le lot observé, ce qui suggère que les animaux ont été élevés, abattus et consommés sur place. Dans l’hypothèse d’une production de salaisons de viande, les parties du sque- lette sans grande valeur alimentaire (crâne, dents isolées, bas de pattes) seraient surreprésentées, voire les seules présentes au sein de ces lots. Les parties riches en viande (ceintures, humérus, fémur, côte), préparées et salées sur place à des

Fig. 104 à 108 : Proportions pondérales des différentes parties anatomiques suivant les taxons, les périodes et les sites étudiés.

La Tène moyenne La Tène finale

La Tène moyenne La Tène finale

104 106 107 105 -100 0 100 200 -100 -50 0 50 100 Triélen -100 0 100 200 300

Hoëdic Les Moutons Locquirec Plougasnou -100 0 100 200 300 400 Locquémeau-Trédez Triélen

Tête Vertèbres Côtes Scapula Coxal Membres Bas de pattes

Tête Vertèbres Côtes Scapula Coxal Membres Bas de pattes Tête Vertèbres Côtes Scapula Coxal Membres Bas de pattes Tête Vertèbres Côtes Scapula Coxal Membres Bas de pattes

Hoëdic Locquirec Plougasnou

La Tène finale 108 -100 0 100 200 300

Tête Vertèbres Côtes Scapula Coxal Membres Bas de pattes Hoëdic Locquirec Plougasnou

fins d’échanges seraient en effet, par vocation, expédiées sur le continent ou sur d’autres îles afin d’y être consommées. Aucun déficit de ces parties consom- mables n’est observable sur les sites de Triélen et d’Hoëdic, quelle que soit l’espèce domestique prise en compte. Il est important d’ajouter que l’avancée des analyses malacologiques et ichtyologiques sur ces sites va également dans ce sens. L’étude des poissons met en évidence une liste d’espèces, de tailles d’indivi- dus (rareté des petits poissons, comme la sardine) et une répartition anatomique qui concordent avec les éléments observés pour les mammifères. Ces différents éléments, associés à l’absence de trace spécifique attribuée à la préparation de salaison, seraient plutôt des rejets de préparation et de consommation domes- tiques au sein même de ces occupations mixtes que des indices de préparation de sauces et de conserves vouées à l’exportation. Au titre des différents schémas théoriques de débouchés pour le sel produit sur les côtes bretonnes à l’âge du Fer, une hypothèse a par ailleurs envisagé une exportation du sel vers des fermes de l’intérieur des terres où le traitement des viandes en salaisons aurait pu être réalisé (Daire 2003).

Si l’abondance des restes de faune sur les lieux mêmes de production du sel intrigue et qu’il est tentant d’envisager une production de salaisons en direc- tion de marchés extérieurs, les analyses archéozoologiques réalisées à ce jour ne peuvent l’attester. On ne peut cependant exclure, dans de tels cas, l’exis- tence d’une production de salaisons destinée à une consommation locale, le traitement des produits carnés étant alors simplement destiné à en différer la consommation. La préparation de salaisons à partir de pièces de viande désossées peut également être envisagée. Il est en effet difficile d’imaginer que de telles pratiques n’aient pas eu lieu sur ces îles et ces côtes qui possèdent toutes les matières premières nécessaires (sel, mollusques, viandes et poissons). De plus, de récentes analyses, réalisées par Chloé Martin dans le cadre d’un mémoire universitaire, ont établi que le sel obtenu par la méthode ignigène pouvait être utilisé pour la conservation alimentaire (Martin 2011a ; 2011b). Les expérimentations ont ainsi montré que, durant la phase de l’évaporation lente et du bouillage de la saumure, s’opère un rejet des sels déliquescents dits « mauvais sels ». Des dépôts blanchâtres sont alors visibles sur les parois des moules à sel permettant l’obtention d’un sel de bonne qualité (Martin 2015). Ces éléments valident l’hypothèse selon laquelle une grande partie du sel pro- duit à l’âge du Fer, notamment sur le pourtour de la Bretagne, serait destiné à la confection de salaisons et de saumurages voués aux échanges à plus ou moins longue distance.

De plus, ces établissements sont implantés au cœur d’un vaste réseau d’échanges par voie maritime, qui longe la façade atlantique de l’Europe et intègre des relations avec le domaine méditerranéen, pendant toute la Préhistoire récente et la période antique (Cunliffe 1984). Dans le cas des ateliers gallo-romains de Douarnenez, les recherches récentes ont mis en évidence que le choix de l’empla- cement a été motivé par la présence de la matière première animale (la baie de Douarnenez est riche en sardines, notamment) et non du sel. Si la production de ce dernier n’est pas attestée dans cette zone pour cette période chronologique et qu’il y a de toute évidence été importé, les nombreuses pêcheries de la baie de Douarnenez permettaient, quant à elles, d’assurer un ravitaillement fréquent, voire quotidien, en poissons. Cette piste de recherche doit être envisagée pour les périodes plus anciennes pour lesquelles de récentes enquêtes pluridisciplinaires ont notamment montré l’existence de nombreuses installations de pêcheries le long des côtes bretonnes (Daire, Langouët 2008).