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académiques traitant du RSE

3.3. L’interaction sociale dans les modèles managériaux managériaux

3.3.4. Interactions sociales et travail collaboratif

3.3.4.3. Les relations sociales dans les communautés

D’après les recherches d’Anne Goldenberg, il serait nécessaire d’expliciter les normes sociales qui prévalent dans les communautés épistémiques « afin que les utilisateurs comprennent comment rejoindre les intérêts collectifs » (Goldenberg, 2010, p. 224), dès qu’elles atteignent une taille critique. La participation au travail collectif, qui permet le partage d’information2 et participerait ainsi à la construction du capital informationnel d’une organisation, serait donc corrélée à l’implication de l’individu dans l’organisation, qui passerait par la compréhension des codes, de modes d’emploi explicités par les groupes auxquels il appartient. D’un point de vue organisationnel, l’amélioration de la coopération des salariés en vue d’assurer la productivité peut de ce fait passer par la recherche d’une plus forte intégration sociale au sein de l’organisation. Or

« une organisation très intégrée au sens de Durkheim, serait une organisation […] dont le principe de coordination clé est la standardisation des normes de comportement. Ces normes de

comportement sont obtenues de la part des salariés par le renforcement des processus organisationnels de socialisation, en particulier par la formation » (Craipeau, 2001, p. 122).

Brigitte Guyot a examiné les apports des dispositifs d’information2 pour le travail dans un collectif restreint et elle souligne à ce propos que « la vitalité d’un groupware dépend alors beaucoup des relations que ses membres entretiennent entre eux et des habitudes qui ont cours » (Guyot, 2006, p. 71). A ce sujet l’auteure rappelle la distinction faite entre deux types de communautés qui sont observées au travail : les communautés de pratiques et les communautés d’intérêt. Ces dernières ne partagent pas les mêmes activités, à la différence des premières, qui ont en commun l’exercice d’un métier. A ce propos, l’auteure se demande « si l’efficience, jusqu’ici basée sur la proximité et la confiance qui présidait entre les membres d’un groupe restreint, peut perdurer sur un système devenu pluricollectivités » (Guyot, 2006, p. 72). Ce qui signifie pour l’objet qui nous occupe, le RSE, que, d’une part, les éventuels groupes de travail qui y seraient constitués ne seraient efficaces en termes de productivité qu’à la condition que les normes qui régissent le dispositif soient clairement explicitées et que, d’autre part, le RSE pourrait contribuer, du fait de son effet attendu d’une meilleure socialisation, à une forte intégration sociale des salariés dans l’organisation.

Conclusion

Afin d’approfondir les notions et catégorisations manipulées par les sept discours que nous avons caractérisés dans le précédent chapitre et qui sont sollicités par les publications de source académique portant sur le RSE, nous avons examiné dans ce chapitre les différents éléments d’interdiscours dans lesquels sont situées ces notions et catégorisations, en nous appuyant à la fois sur les résultats de notre analyse lexicale, sur les champs sémantiques et sur les argumentaires employés dans les textes qui constituent le corpus que nous avons formé précédemment.

En étudiant tout d’abord les représentations du RSE en tant qu’outil, nous avons constaté que celui-ci s’inscrit dans une généalogie multiple car il tient à la fois de l’intranet, du collecticiel, et de la catégorie plus floue des « outils conversationnels ». D’un point de vue fonctionnel et technique, il est en tous points identique aux outils appartenant à la catégorie des réseaux socionumériques. En cela, le RSE se distingue de ses trois prédécesseurs, car il introduit une nouveauté fonctionnelle résidant dans une combinaison d’éléments de « profil », d’individus ayant des « statuts », un « mur » ainsi que des possibilités de mise en relation interindividuelle avec les autres membres du RSE. De ce fait, contrairement à ses prédécesseurs, le RSE traite d’informations2 qui tiennent à la fois de contenus informationnels supportant l’activité de l’organisation, et d’informations2 sur les individus directement impliqués dans cette activité, autrement dit les salariés de l’organisation.

En examinant la notion de réseau et les théories qui l’emploient, nous avons constaté une réémergence de la doctrine saint-simonienne (Musso, 2003) dans les discours portant sur le RSE. Cette résurgence est également visible dans deux modèles socio-économiques que nous avons considérés : le « capitalisme informationnel » (Castells, 1998) et la « société de l’information » (Breton, Proulx, 2012). Cet interdiscours permet de légitimer l’idée que le RSE est un moyen d’atteindre une performance économique, en capitalisant sur l’« information ».

Certains modèles managériaux relient également la notion de réseau à un bénéfice pour l’organisation, en prenant pour objet non plus l’« information » mais la « communication » qui correspond alors plutôt à des interactions sociales. Ces modèles défendent l’idée que la prise en considération, voire le soin apporté aux interactions sociales est un vecteur de performance pour les organisations. Ils produisent des discours situés également dans un interdiscours commun à ceux des publications de sources académiques traitant du RSE. Il

s’agit de celui proposé par la littérature managériale des années 1990 désigné comme la « cité par projets » (Boltanski, Chiapello, 2014) ainsi que de la démarche dite de gestion des connaissances (Ermine, 2003 ; Nonaka, Takeuchi, 1997) lorsqu’elle porte sur les connaissances tacites. Ces deux modèles s’intéressent particulièrement aux notions de capital social et de travail collaboratif. Ils portent une tension entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel, voire une contradiction dans le rejet de la transparence par le discours de la « cité par projets », prônant à la fois l’effacement de l’individu au profit du groupe et le développement de soi afin d’établir et de consolider des relations sociales. Dans ce sens, ils cherchent à faire converger les intérêts personnels et collectifs, en travaillant certains ressorts de l’implication d’un contributeur à une communauté épistémique. Ce travail collaboratif nécessite une explicitation des normes sociales qui prévalent à l’intérieur des groupes, ce qui revient à dire que le RSE ne serait efficace en termes de productivité qu’à la condition que les codes soient compris de tous, d’une part, et qu’il pourrait contribuer à une forte intégration sociale des salariés dans l’organisation, d’autre part.

Dans cette étude interdiscursive des discours traversant les publications de source académique portant sur le RSE, nous avons relevé différentes ambiguïtés, qui affaiblissent les raisonnements à l’œuvre dans ces discours et que nous examinons plus précisément dans la suite de notre recherche.

Tout d’abord, une première difficulté apparaît, et vient renforcer le constat que nous avons établi dans le chapitre précédent, concernant des évidences non questionnées. Il s’agit de l’hypothèse admise d’emblée par l’ensemble des publications de notre corpus traitant des réseaux socionumériques, affirmant que le RSE est analogue à ceux-ci et singulièrement à

Facebook. Celle-ci est fondée sur le fait que fonctionnellement et techniquement l’outil

RSE est identique à l’outil réseau socionumérique. Cependant, notre travail dans ce chapitre indique que l’usage des réseaux socionumériques, et particulièrement Facebook, relève d’une recherche d’« amitié » au sens large au sein d’un cercle élargi de connaissances, c’est-à-dire une activité guidée par la sociabilité. Ce qui permet donc, en s’appuyant sur les travaux sociologiques en réseaux sociaux, d’envisager un potentiel capital social des individus membres, celui-ci étant fondé sur leurs relations affinitaires. L’ambiguïté repose principalement sur trois points : le choix des individus et la confiance, corrélés au troisième point, le contexte, car le RSE est interne à une organisation, contrairement aux réseaux socionumériques publics.

Ensuite, un mécanisme, commun à certaines des théories que nous avons étudiées, décrit par Pierre Musso dans son analyse du système saint-simonien, permet un glissement de sens qui entraîne de fait des ambiguïtés dans les modélisations manipulant les termes de « réseau », « information », « donnée » et « communication ». Sans précision sémantique rigoureuse, différentes interprétations sont possibles, permettant ainsi de prêter à la technique des vertus sociales. Ce mécanisme consiste en deux opérations : une analogie entre deux systèmes dans deux champs différents et une confusion sémantique facilitée par la polysémie d’un terme. Cette confusion conceptuelle permet d’affirmer sur un modèle commun que les humains et les machines échangent de l’« information », via des « réseaux », cette activité étant nommée « communication ». Et d’en déduire que les bénéfices socio-économiques et managériaux obtenus avec un modèle mathématique de la communication1 peuvent également être obtenus avec un modèle social de la communication2, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Yves Jeanneret parle à ce propos d’un modèle transitif de communication2, qui « induit l’idée que nous pourrions voir, contrôler, optimiser les processus de communication. C’est pourquoi la transitivité obsède le “discours de maîtrise” que l’on trouve aussi bien dans le monde politique que dans la publicité, la pédagogie ou la communication médiatique, qu’il s’agisse de “faire passer” les messages, de contrôler l’“image reçue”, d’“évaluer” la rentabilité d’un apprentissage, de définir la performance d’un réseau » (Jeanneret, 2002, p. 24).

Chapitre 4 : Redéfinition du

dispositif formé par un RSE via sa