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Le paradoxe comme générateur d’incommunication d’incommunication

l’information et de la communication

5.2. Le paradoxe comme générateur d’incommunication d’incommunication

Dans le champ des sciences de l’information et de la communication, Pascal Robert a travaillé sur le paradoxe dans le cadre de sa réflexion sur la théorie de l’incommunication qu’il propose (Robert, 2005a ; 2017)98. L’auteur n’identifie pas le paradoxe qu’il étudie comme un paradoxe pragmatique au sens de Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson (cf. section « 5.1.2. Le paradoxe pragmatique » p. 185, (Watzlawick et al., 1979)), il se situe à un niveau discursif et sémantique. Il fait cependant référence à Daniel Bougnoux – qui traite du paradoxe pragmatique en le définissant comme un clivage dans le relief logique du message (Bougnoux, 2009) – pour préciser ce qu’il entend par paradoxe, en note de bas de page n°13 : « Daniel Bougnoux définit le paradoxe comme un affrontement entre l’énoncé et l’énonciation, entre ce qu’il dit et ce qu’il montre » (Robert, 2017, p. 27). Lui-même le définit ainsi : « Le paradoxe est le fruit d’un déplacement ou d’un dérèglement de l’adéquation de l’énoncé et de ses conditions d’énonciation » (Robert, 2017, p. 27). Dans ce sens, sa définition est proche de celle de l’antinomie sémantique (ou définition paradoxale) que proposent Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson (cf. section « 5.1.2. Le paradoxe pragmatique » p. 185, (Watzlawick et al., 1979)), et ne correspond pas au paradoxe pragmatique, car elle n’intègre pas les conditions nécessaires à la réalisation d’un paradoxe pragmatique, à savoir un contexte particulier dans lequel d’une part la relation entre les interactants, une « relation intense », est complémentaire et non symétrique, et d’autre part l’interactant se situant en position « basse » se trouve dans une situation intenable (du fait de la relation complémentaire et de l’impossibilité de ne pas réagir). La différence se situe donc dans la nature de la relation instaurée entre les interactants et dans la conception d’une situation de communication2. Pour mieux comprendre en quoi le paradoxe proposé par Pascal Robert peut nous être utile dans notre interprétation des phénomènes à l’œuvre dans le dispositif info-communicationnel formé par un RSE, nous exposons d’abord dans quelle conception communicationnelle l’auteur se situe, et par là sa théorie de l’incommunication, pour

98 Pascal Robert a également travaillé sur d’autres formes de paradoxe, dans des contextes différents. Il a notamment proposé, dans le cadre de sa réflexion sur les TIC, le concept de paradoxe de la simultanéité : « Un homme ne peut être à la fois ici et ailleurs en même temps, ni à deux époques ou à deux vitesses, ni à deux échelles à la fois » (Robert, 2013, p. 165).

détailler ensuite la typologie qu’il propose pour distinguer différents paradoxes communicationnels.

5.2.1. Théorie de l’incommunication

Pascal Robert s’inspire de la théorie de la communication2 telle qu’elle est proposée par Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson (Watzlawick et al., 1979), pour proposer une théorie de l’incommunication. Plus précisément, il propose d’introduire une distinction fondamentale dans ce que ces auteurs (ainsi que les chercheurs, praticiens ou médias s’appuyant sur leurs travaux) nomment « communication », c’est-à-dire une situation interpersonnelle impliquant l’impossibilité de ne pas avoir de comportement. Car là où ces auteurs estiment qu’il n’est pas nécessaire pour un interactant de posséder ou de connaître la partition, dans leur analogie avec l’orchestre, Pascal Robert estime que la communication devient problématique sitôt que les interactants ne possèdent pas le même « code », n’ont pas intégré les mêmes règles d’interaction : « les difficultés surgissent au croisement, à l’articulation des deux codes – lorsque les uns ne possèdent pas le code de l’autre et croient que leurs manières de faire, locales, sont universellement valables » (Robert, 2005a, p. 3). De ce fait, il propose de nommer et de concevoir l’incompréhension mutuelle « incommunication » :

« il convient selon nous, de penser la communication à partir de l’autre bout de la lorgnette : autrement dit, partir du principe que la communication ça ne marche pas, que ça communique mal et que, parfois, ça marche. Au fondement il y a donc l’incommunication et tous les efforts que les sociétés sont obligées de faire pour la conjurer, la compenser, pour obtenir malgré tout, quelques résultats. » (Robert, 2005a, p. 4‑5).

Des deux exemples qu’il analyse dans son article De la communication à

l’incommunication nous déduisons que ce que Pascal Robert considère comme la

« communication » est de l’ordre de l’information2, de sa médiation, de sa compréhension mutuelle, d’un apport de savoir ou de connaissance, c’est-à-dire d’une transmission réussie d’une information2. Autrement dit, que le contenu de la communication2 est compris et entendu de la même façon et selon les mêmes règles d’interaction par les interactants en situation de communication2. De ce point de vue, effectivement, la « communication » peut ne pas fonctionner, être inefficace ou mauvaise, voire inexistante : elle peut échouer (Robert, 2005a). Cette vision se rapproche d’une conception intentionnelle et utilitaire de la « communication » : il y aurait une volonté de communiquer une information , cette action

pouvant ne pas aboutir, si l’un des interactants n’entend pas, ne comprend pas cette information2 communiquée.

Dans ce cadre et selon cette conception, Pascal Robert propose de concevoir une incommunication qui serait première, c’est-à-dire qui correspondrait à toutes les situations dans lesquelles l’information2 n’aurait pas été transmise correctement entre interactants. En grossissant le trait, nous pourrions dire que l’incommunication correspond à l’incompréhension mutuelle, quand la « communication » serait une situation de compréhension mutuelle, favorisée par une même culture et donc un ordre de l’interaction (Goffman, 1974) partagé entre interactants. L’auteur ne postule pas une opposition entre incommunication et « communication », mais plutôt que l’incommunication serait inhérente à la « communication ». Dans toute situation communicationnelle, l’incommunication serait présente d’abord, et ne se transformerait en « communication » qu’à la condition que le sens soit partagé entre les interactants : toute polysémie, toute différence dans les règles sociales de l’ordre de l’interaction provoqueraient des malentendus, quiproquos, voire des paradoxes. Il est donc question, dans cette théorie de l’incommunication, d’interprétation de signes qui seraient bien trop nombreux pour permettre une bonne « communication » :

« Qu’est-ce que l’incommunication en définitive ? L’incommunication est, me semble-t-il, inhérente à toute “communication”, elle vient de ce que ça communique toujours trop, qu’il en va toujours d’un trop plein, que l’on n’a pas le temps d’analyser, de décortiquer finement, afin d’y apporter une réponse précise et adéquate. Les règles, normes et rituels sociaux ont justement pour fonction de réduire l’incommunication en formatant les comportements. […] L’incommunication n’est pas seulement une incompréhension passagère, momentanée, mais quelque chose de fondateur, de primaire » (Robert, 2017, p. 21‑22).

Dans ce sens, l’incommunication est permanente, et elle se trouve parfois canalisée donc rendue momentanément invisible grâce aux règles sociales et à la culture commune des interactants :

« L’être ensemble est en sursis sous l’épée de Damoclès de l’incommunication. Autrement dit, celle-ci semble première et toujours prête à refaire surface, dès lors que s’affaiblissent les digues des normes et règles de la vie en société » (Robert, 2017, p. 25).

L’un des modes de surgissement de l’incommunication lors d’une « communication » jusqu’alors réussie prendrait la forme, d’après l’auteur, du paradoxe.

5.2.2. Typologie des paradoxes générateurs

d’incommunication

Dans son ouvrage De l’incommunication au miroir de la bande dessinée, Pascal Robert propose de construire une théorie de l’incommunication à l’appui d’une analyse de certaines bandes dessinées, car un auteur de bande dessinée opère déjà un certain nombre de choix dans sa représentation d’une expression, d’un comportement ou d’une situation, c’est-à-dire qu’il réduit ainsi l’incommunication : le dessin, parce qu’il « est réducteur, simplificateur […] parvient à fermer l’éventail des interprétations. Il fonctionne donc comme un outil de réduction de l’incommunication » (Robert, 2017, p. 14). Ce contexte permet donc de mieux cerner les conditions de surgissement de l’incommunication mise en scène dans la bande dessinée, notamment « l’événement privilégié de ce surgissement [qui] prend […] la forme du paradoxe » (Robert, 2017, p. 26).

Pascal Robert construit ainsi une typologie de paradoxes en s’appuyant sur l’analyse de la bande dessinée la Zizanie dans laquelle chacun des types de paradoxe qu’il caractérise surgit. Cette typologie est construite sur un concept de paradoxe qu’il définit d’après les deux niveaux sémantiques d’un message : l’énoncé (noté E) et ses conditions d’énonciations (notées CE). A ce propos, l’auteur précise ce qu’il entend par la notion d’énoncé : « elle renvoie aussi bien à des situations pragmatiques (expressions non verbales) qu’à du discours (expression verbale) » (Robert, 2017, p. 27). Il distingue six types de paradoxe, qui n’ont pas tous les mêmes conditions de surgissement et ne provoquent pas la même situation d’incommunication, situation qui ne peut ensuite, pour certains paradoxes, être « résorbée que par l’intervention d’un rituel a posteriori » (Robert, 2017, p. 31). En effet, l’auteur différencie les paradoxes provoqués par une manipulation (du personnage Detritus, par exemple), ainsi que deux régimes de normativité : les règles (a

priori) et les rituels (a posteriori) qui conditionnent la situation paradoxale. Dans cette

théorie, les conséquences d’une situation paradoxale peuvent être non violentes (incompréhension) ou violentes, la violence s’exprimant soit verbalement (dispute) soit à la fois verbalement et non verbalement (rixe).

Le premier type de paradoxe (que nous notons TP1 afin de ne pas confondre avec notre propre proposition), émerge lorsque l’énoncé brouille les conditions d’énonciation. Il est issu d’une manipulation, provoque une réaction de violence verbale et est résolu par un rituel a posteriori. Le deuxième type de paradoxe (TP2) apparaît lorsque l’énoncé sature les

conditions d’énonciation, voire s’y oppose. Il peut ou non être provoqué par une manipulation, débouche sur une réaction violente à la fois verbale et non verbale, et est également résolu par un rituel a posteriori. Le troisième type de paradoxe (TP3) se produit lorsque les conditions d’énonciation brouillent l’énoncé. Il n’est pas le fait d’une manipulation et peut provoquer soit une réaction non violente, auquel cas ce sont les règles

a priori qui le contiennent, soit une réaction de violence verbale, auquel cas c’est un rituel a posteriori qui le résorbe. Le quatrième type de paradoxe (TP4) surgit lorsque les conditions

d’énonciation saturent, voire s’opposent à l’énoncé. Il n’est pas le fruit d’une manipulation et ne génère pas de réaction violente, car les règles a priori le conditionnent. Le cinquième type de paradoxe (TP5) intervient lorsque l’énoncé se brouille lui-même. Il est le produit d’une manipulation et débouche sur une réaction non violente, qui est régie par des règles a

priori. Enfin, le sixième et dernier type de paradoxe (TP6) apparaît lorsque les conditions

d’énonciation se brouillent elles-mêmes et, comme le TP5, provient d’une manipulation. De même, la conséquence de ce paradoxe est une réaction non violente, que les règles a priori gèrent pour endiguer celle-ci99.

Bien que cette typologie ne concerne qu’une des conditions du paradoxe pragmatique, que nous utilisons dans cette seconde partie pour analyser les phénomènes communicationnels à l’œuvre dans le dispositif formé par un RSE, puisqu’elle relève plutôt de ce que Paul Watzlawick, Janet Helmick Beavin et Don D. Jackson ont décrit comme l’antinomie sémantique ou la définition paradoxale (Watzlawick et al., 1979), nous examinerons pour chacun des paradoxes pragmatiques que nous analyserons si celle-ci peut nous aider à mieux les caractériser et ainsi en déduire le type de réaction qu’ils peuvent engendrer.