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La gestion des connaissances ou knowledge management via les interactions sociales

académiques traitant du RSE

3.3. L’interaction sociale dans les modèles managériaux managériaux

3.3.3. La gestion des connaissances ou knowledge management via les interactions sociales

Certains des discours sollicités par les publications de source académique traitant du RSE, principalement celui que nous avons intitulé « Connaissance, Système » (cf. « Une évolution des systèmes de gestion des connaissances » p. 73), s’appuient sur une logique de gestion des interactions sociales qui entre en résonnance avec la théorie du knowledge

management (parfois nommé « KM »), une théorie managériale visant à exploiter le capital

de connaissances que posséderait une organisation.

3.3.3.1. « Capital de connaissances » et « capital

humain »

Pour mieux saisir le concept, nous nous référons à l’ouvrage de Jean Louis Ermine, La

gestion des connaissances, publié en 2003, qui présente la gestion patrimoniale de la

connaissance comme une nouveauté, liée à la prise de conscience que « l’entreprise détient un capital de connaissances qui lui est propre et qui est une ressource précieuse et stratégique » (Ermine, 2003, p. 21).

Les défis stratégiques qu’elle représente sont la capitalisation, le partage et la création de connaissances. La notion d’« intelligence collective » n’est pas loin (cf. « Un outil d’intelligence collective » p. 75), dans une visée productive car « il s’agit de faire collaborer les acteurs du savoir dans des objectifs communs, répondant aux finalités de l’entreprise, afin d’optimiser l’apport des connaissances à la production de l’organisation » (Ermine, 2003, p. 23). L’auteur distingue par ailleurs « information » et « connaissance », en regrettant l’écueil qui consiste à confondre les deux. Il indique que si l’information est la partie visible de la connaissance, elle ne devient une connaissance que si elle fait sens, dans un contexte opérationnel. Et ce qui donne du sens à l’information dans son contexte, c’est

l’« interaction du système qui fournit l’information et l’utilisateur qui la reçoit » (Ermine, 2003, p. 27). Notons que pour cet auteur, il est question, lorsqu’il s’agit de gestion de connaissances, d’une information2. Le contenu de ce patrimoine de connaissances « est à la fois caché et disséminé dans deux composantes essentielles de l’entreprise » (Ermine, 2003, p. 33) qui sont le capital d’information et le capital humain. Cette notion de « capital d’information » rappelle l’idée de « capitalisme informationnel » développée par Manuel Castells, que nous avons analysée dans la section « 3.2.2. Le « capitalisme informationnel » » p. 101 et dont nous avons souligné l’ambiguïté sémantique, fondée sur l’emploi du terme « information » sans distinction entre information1 et information2. Le propos de Jean-Louis Ermine semble lui plutôt porté sur une information2. Le « capital humain », de son côté, peut évoquer la notion de « capital social » telle que nous l’avons présentée dans la section « 3.3.2.3. Le RSE : un outil productif grâce au capital social de ses membres ? » p. 119. D’après Jean-Louis Ermine, les connaissances qui sont « stockées » dans les êtres humains sont tacites et difficiles à extraire. En effet, le capital humain « est à la fois collectif et individuel et vit à travers les réseaux du savoir de l’organisation […] qui produisent et utilisent constamment une connaissance précieuse et opérationnelle » (Ermine, 2003, p. 33).

3.3.3.2. Prendre soin des interactions sociales pour

gérer le « capital de connaissances »

Une façon de gérer les connaissances consiste à gérer ces « réseaux du savoir ». Plutôt que de chercher à tout prix à formaliser les connaissances contenues dans l’information2, ce qui peut être non seulement délicat mais coûteux pour l’organisation, celle-ci va prendre soin des collectifs, des groupes de travail et favoriser leurs échanges pour accroître le partage des connaissances entre les individus membres des communautés. Car cette formalisation serait vouée à l’échec lorsqu’elle met en œuvre un outil pour gérer l’information2, c’est-à-dire selon les techniques de gestion documentaire. En effet,

« Les directions d’entreprise et les consultants qui relaient ces notions, pensent pouvoir formaliser les savoirs professionnels dans des bases de données qui favoriseraient le partage et l’échange, niant ainsi le fait que ces savoirs sont justement des productions collectives qui ne se construisent que dans l’échange social, dans les rapports de confiance et de reconnaissance mutuelle. » (Craipeau, 2009, p. 177).

Il s’agirait donc plutôt de mettre l’accent sur les « mécanismes d’échange qui permettent le transfert de connaissance dans les communautés de savoir » (Ermine, 2003, p. 39). Communication, coordination, partage de ressources et partage d’information2 sont les quatre services que doit assurer un bon système de gestion des connaissances en entreprise. Cette approche de la gestion des connaissances est en grande partie inspirée de la théorie de Nonaka et Takeuchi (Nonaka, Takeuchi, 1997), qui distingue les connaissances explicites des connaissances tacites et décrit quatre modes de conversion entre les connaissances tacites et explicites. L’une des méthodes de conversion des connaissances tacites, dans cette théorie, s’appuie sur les réseaux. Cet éclairage permet de répondre en partie à la question que nous avons posée en fin de section « 3.1.3. Un réseau socionumérique ? » p. 95 : l’intérêt, pour les organisations, à mettre en place pour leurs salariés un outil de socialisation (dont le principal usage est la recherche d’« amitié »), similaire à

Facebook résiderait dans la possibilité de convertir les connaissances tacites grâce à la mise

en réseau de ces salariés. Ainsi, parce qu’il comporte des fonctionnalités logicielles identiques à celles des réseaux socionumériques, l’outil RSE serait mis en place pour mieux répondre aux enjeux de la gestion des connaissances dans les organisations. Nous retrouvons dans cette théorie une très forte similarité avec le discours que nous avons libellé « Connaissance, Système » (cf. « Une évolution des systèmes de gestion des connaissances » p. 73), qui est donc particulièrement lié à cette méthode de conversion des connaissances tacites, mais qui présente celle-ci comme une nouveauté, une évolution des systèmes de gestion des connaissances, auparavant centrés sur la formalisation des connaissances. Le RSE, dans ce discours, représente cette nouveauté, et serait donc un successeur aux premiers systèmes mis en place dans une démarche de knowledge

management. Le discours que nous avons nommé « Partage, Performance » (cf. « Un

partage d’information au service de la performance » p. 77) est également proche de la théorie de la gestion des connaissances, à propos du partage d’information2 qui serait un levier pour assurer la productivité d’une organisation, ce partage étant fondé sur la mise en réseau des salariés via le RSE.

3.3.3.3. Production collective et individualité

L’amélioration des performances a déjà été liée dans des travaux scientifiques à l’amélioration et l’augmentation des relations interpersonnelles, par des chercheurs qui se sont penchés sur l’usage de la messagerie électronique. Ils ont en effet

« établi que les augmentations de performance provenant de l’usage de la messagerie électronique venaient de la modification des modes de coordination. Ainsi Lee Sproull et Sara Kiesler indiquent que la messagerie électronique diminue les coûts de coordination et augmente les capacités et la qualité, (plus d’interactions de meilleure qualité) (Sproull, Kiesler, 1991) mais elles soulignent surtout qu’avec ce medium c’est la qualité même de la “dynamique interpersonnelle” qui se transforme. Les signes sociaux disparaissent, avec eux la pression sociale à la conformité. Les individus […] peuvent, d’après ces auteurs, s’exprimer plus librement car il n’y a pas de pression de groupe » (Craipeau, 2001, p. 49).

Effectivement, comme l’explique Brigitte Guyot, certaines organisations « préfèrent veiller à maintenir des relations interpersonnelles pour faciliter l’apprentissage et le transfert direct » ; néanmoins, « une telle démarche touche à l’identité de la personne, à ses compétences et elle peut être vécue comme une dépossession d’une partie de son capital privé ou comme une mise en norme individuelle » (Guyot, 2006, p. 82). Or, dans la gestion des connaissances, comme dans le modèle de la « cité par projet » proposé par Luc Boltanski et Ève Chiapello (Boltanski, Chiapello, 2014), la norme est le travail collectif, les communautés, « groupes projet » ou encore « réseaux de savoir ». En revanche, les interactions sociales doivent être soignées dans la « cité par projet » afin de construire une réputation individuelle (tout en ne démontrant aucun individualisme, qui est rejeté par la norme). Dans le cas de la gestion des connaissances, l’individualisme est rejeté au profit d’une « production collective ». Cependant « le partage des connaissances n’est pas naturel dans une organisation » et « le problème […] est l’intégration des savoirs qui y circulent dans le patrimoine commun pour les objectifs de production collectifs » (Ermine, 2003, p. 52). Cette remarque fait écho à celle de Brigitte Guyot qui relève que la stratégie de l’intérêt collectif élimine au maximum les zones d’ombre, qui sont trop personnelles et donc difficilement contrôlables. La démarche du knowledge management vise justement à « les rendre plus visibles et en concordance » (Guyot, 2006, p. 212).