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Les quatre caractéristiques des modèles de loi couvrante

Les prédictions guidées par des lois et les modèles de lo

1.1 Les quatre caractéristiques des modèles de loi couvrante

L’appellation de modèles de « loi couvrante » originellement introduite par Dray1 est adoptée par Hempel2 pour désigner à la fois le premier mo-

dèle d’explication qu’il avait développé avec Paul Oppenheim (1885-1977) en 19483– communément appelé modèle DN (pour déductif-nomologique) – et les modèles d’explication statistique exposés en 19624 – les modèles DS (déductif-statistique) et IS (inductif-statistique). Le point commun de tous ces modèles est de donner un rôle essentiel aux lois scientifiques dans les explications.

Le modèle DN se présente comme suit : l’explication ou la prédiction d’un phénomène est la déduction d’un énoncé E décrivant ce phénomène (l’explanandum) à partir d’un autre ensemble d’énoncés (l’explanans). Celui-ci comprend des énoncés C1, C2, ..., Ck qui décrivent les conditions

antécédentes spécifiques du phénomène décrit par E, et une ou plusieurs lois générales L1, L2, ..., Lr. La structure des prédictions dans le modèle

DN est donc un raisonnement déductif satisfaisant certaines conditions (numérotées de R1 à R4) : l’explanandum doit être une conséquence lo- gique de l’explanans (R1), celui-ci doit nécessairement contenir au moins une loi scientifique (R2), pouvoir être testé empiriquement (R3) et être vrai – ou avoir une forte probabilité de l’être sur la base des données disponibles (R4)5. Déduction logique Explanans    C1, C2, ..., Ck L1, L2, ..., Lr Explanandum{ E 1

William Dray, “The historical explanation of actions reconsidered”, Philosophy and History (1963), p. 105–135.

2

Carl Hempel, “Aspects of Scientific Explanation”, Aspects of scientific explana- tion and other essays in the philosophy of science, New York, Free Press, 1965, p. 331– 496, p. 346.

3

Carl Hempel et Paul Oppenheim, “Studies in the Logic of Explanation”, Philo- sophy of Science 15.2 (1948), p. 135–175.

4

Carl Hempel, “Deductive-Nomological vs. Statistical Explanation”, Minnesota studies in the philosophy of science (1962).

5

Notons que pour Hempel et Oppenheim, il est aussi possible de parler d’explication de loi dans le cas où l’on utilise des lois générales dans l’explanans pour déduire un explanandum qui est une autre loi.

Les modèles DS et IS ont été développés notamment sous l’impul- sion d’un article de 1958 de Nicholas Rescher intitulé « The Stochastic Revolution and the nature of scientific explanation »6qui insiste sur l’im-

portance des lois et raisonnements statistiques dans l’activité scientifique contemporaine. Alors que dans le modèle DN ce sont des lois détermi- nistes – que l’on peut représenter selon Hempel sous la forme d’un énoncé universel d’implication matérielle – qui apparaissent dans l’explanans, dans les modèles DS et IS il s’agit de lois statistiques.

Les modèles DS décrivent les cas où l’on explique une loi statis- tique en la déduisant d’autres lois statistiques, tandis que les modèles IS concernent les cas où l’on explique l’occurrence d’un phénomène par- ticulier en l’induisant à partir d’une loi statistique7. Dans ce dernier cas, l’inférence explicative ou prédictive est une induction plutôt qu’une dé- duction, mais le rôle essentiel des lois reste intact.

Ainsi, les modèles de loi couvrante représentent des raisonnements explicatifs et prédictifs reposant sur des inductions autant que sur des déductions, qui peuvent être réalisés à partir de lois déterministes aussi bien que statistiques. Cependant, malgré cette différence, ces modèles présentent de grandes similitudes parce qu’ils partagent quatre caracté- ristiques :

1. Les prédictions sont des énoncés qui portent sur le futur.

Pour chacun de ces modèles la différence entre prédiction et explica- tion ne concerne que le moment où est fait le raisonnement déductif ou inductif. Elle est présentée par Hempel et Oppenheim dans leur article de 1948 comme étant « de caractère pragmatique » : si E est donné, c’est-à-dire si l’on sait que le phénomène décrit par E s’est déjà produit, on parle d’explication ; en revanche, si E est dérivé

6

Nicholas Rescher, “The stochastic revolution and the nature of scientific expla- nation”, Synthese 14.2 (1962), p. 200–215.

7Le modèle IS impose une restriction supplémentaire (le réquisit de spécificité

maximale (Hempel, “Aspects of Scientific Explanation”, p. 398)), que l’on ne discu- tera pas ici.

avant l’occurrence du phénomène qu’il décrit, on parle de prédic- tion8.

Cette thèse, dite de l’identité structurale entre prédiction et expli- cation9, implique donc que l’objet d’une prédiction est un énoncé

qui porte sur le futur 10.

2. Les prédictions nécessitent de recourir à des lois scientifiques. Les prédictions sont des raisonnements, déductifs ou inductifs, dont une des prémisses est nécessairement une loi. Cette loi peut être expliquée si elle peut être déduite d’autres lois. Il en résulte une conception axiomatique et hiérarchique des théories et de l’activité scientifique puisqu’une prédiction ou explication de phénomènes empirique ne peut avoir lieu que si l’on dispose d’au moins une loi qui subsume ce phénomène, loi qui elle-même ne peut être expliquée que si l’on peut la déduire d’autres lois, remontant ainsi en dernière instance à des lois fondamentales qui jouent un rôle équivalent aux axiomes dans les théories mathématiques 11 .

8

Hempel et Oppenheim, “Studies in the Logic of Explanation”, p. 138.

9

Hempel, “Aspects of Scientific Explanation”, p. 367.

10Cependant, comme on le verra, dans « Aspects of Scientific Explanation » Hempel

admet plusieurs entorses à cette identité structurale.

11Cette conception des théories scientifiques qui fait corps avec les modèles de

loi couvrante, n’est pas, à strictement parler, celle que l’on appelle la conception « syntaxique » des théories scientifiques, même si par ailleurs Hempel partage cette conception. La conception syntaxique représente les théories scientifiques comme un ensemble d’énoncés fondamentaux (comparables aux axiomes des théories mathéma- tiques) conjugué à leur clôture déductive (l’ensemble des énoncés que l’on peut en déduire). Cependant, la conception syntaxique suppose en outre que ces énoncés fon- damentaux soient formulables dans un langage artificiel L et qu’ils forment un système déductif qui est non-interprété tant qu’on ne leur adjoint pas un ensemble de règles de correspondance ou de traduction permettant de traduire certains énoncés en un langage d’observation composé uniquement de termes observables.

Or une théorie scientifique n’a pas besoin de remplir toutes ces conditions pour per- mettre de réaliser des explications et des prédictions telles qu’elles sont formalisées par Hempel. Il suffit qu’elle soit composée d’énoncés généraux reconnus comme des lois s’appliquant à un nombre indéfini de cas, lois pouvant elles-mêmes être déduites d’autres énoncés du même genre. Voilà pourquoi il semble plus correct de parler de théories axiomatisées et hiérarchisées pour désigner la conception implicite des théories des modèles de loi couvrante, que d’employer l’expression « conception syn- taxique » pouvant mener à des confusions inutiles. Sur la conception syntaxique des théories, voir Marion Vorms, “Théories, modes d’emploi. Une perspective cognitive sur l’activité théorique dans les sciences empiriques”, thèse de doct., Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2009, p. 238-239).

3. Les prédictions sont formulées dans le cadre d’une seule théorie. Les prédictions ne mobilisent que des lois, des définitions et des constantes appartenant à la même théorie. Cette caractéristique des modèles de loi couvrante n’est pas mentionné explicitement par Hempel, mais il précise que dans une explication « les lois L1, L2, ..., Lr invoquées dans son explanans impliquent logiquement

une loi L∗ qui par elle-même suffirait à expliquer l’évènement ex- planandum par référence aux conditions particulières notées dans les énoncés C1, C2, ..., Ck»12. Si cette loi L∗ est impliquée par les

lois L1, L2, ..., Lr, c’est que celles-ci sont formulées dans le même

langage théorique et donc proviennent de la même théorie.

4. Les prédictions ne concernent que des occurrences particulières. Lorsque Hempel étudie les exceptions à la thèse de l’identité struc- turale entre prédiction et explication, il affirme que « les explica- tions de lois ne sont pas des prédictions potentielles puisque les lois expriment des uniformités hors du temps et donc ne font référence à aucun temps particulier, que ce soit le passé, le présent ou le fu- tur »13. Cette affirmation prouve à nouveau que pour Hempel les

prédictions sont essentiellement caractérisées temporellement, par une référence au futur mais elle montre aussi que puisque l’on ne peut pas prédire de lois, on ne peut donc prédire que les occurrences particulières d’un phénomène.

1.2

Les critiques existantes des modèles de

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