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Les prédictions guidées par des lois et les modèles de lo

1.4 Les modèles de loi couvrante posent-ils des conditions suffisantes pour la struc-

1.4.1 Conditions aux limites et clauses ceteris pari bus

Une des caractéristiques les plus discutées des modèles de loi couvrante est le critère d’adéquation empirique selon lequel « les énoncés appa- raissant dans l’explanans doivent être vrais »65. On peut montrer que les quatre caractéristiques communes aux modèles de loi couvrante indiquées dans la section 1.1.1 sont incompatibles avec cette condition d’adéquation empirique. En effet, comme le reconnaît Hempel lui-même, si les argu- ments prédictifs se conforment à ces quatre caractéristiques, ils doivent comporter dans leurs prémisses non seulement des conditions antécé- dentes (ou initiales) mais aussi des « conditions aux limites entre t0 et

t1 » qui « spécifient les influences extérieures agissant sur le système du-

rant la durée en question. » Ainsi, « les arguments prédictifs requièrent aussi des prémisses concernant le futur – par exemple l’absence d’in- fluences extérieures au systèmes telle que la collision de Mars et d’une comète inattendue »66.

Or, ces conditions aux limites jouent, dans les raisonnements prédic- tifs, le rôle que jouent les clauses ceteris paribus dans les explications à partir des lois physiques : elles garantissent que des systèmes auxquels s’appliquent certaines lois mais qui sont perturbés par l’influence des facteurs extérieurs, qui ne sont pas décrits par ces lois, ne représentent pas des contre-exemple aux lois susceptibles de les réfuter. Ainsi, si l’on adjoint à la loi « tous les corps chutent avec une accélération » la men- tion ceteris paribus, qui signifie « toutes choses égales par ailleurs », une plume qui chute dans l’atmosphère terrestre et rencontre la résistance de l’air ne sera pas une expérience susceptible de réfuter cette loi, puisque la présence de l’influence perturbante de l’air viole la clause ceteris paribus. Depuis les premiers travaux de N. Cartwright sur la question dans How the Laws of Physics Lie, de nombreux philosophes des sciences —

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Hempel et Oppenheim, “Studies in the Logic of Explanation”, p. 137. Il ne faut pas entendre par l’emploi de l’adjectif « vrai » que ces énoncés sont en adéquation avec une forme de réalité non-observable, mais uniquement que « de nombreuses preuves actuellement disponibles rendent hautement probable que l’explanans soit vrai ».

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dont Hempel67 — se sont penchés sur les problèmes consistant à affirmer

qu’une loi physique ne s’applique à un système que ceteris paribus. Sans une telle restriction les lois physiques sont clairement fausses. Mais avec une telle restriction, les lois semblent trivialement vraies et dénuées de tout pouvoir explicatif. Cela amène N. Cartwright à considérer qu’expli- quer un phénomène concret et énoncer des lois vraies sont « des fonctions complètement différentes et devraient rester distinctes »68. Cependant, la plupart de ces recherches concernent les problèmes que posent ces clauses ceteris paribus dans une optique d’explication et non de prédiction.

Or, le cas des prédictions et des conditions aux limites est différent et amène à adresser une objection spécifique aux modèles de loi couvrante, objection qui n’a jusqu’à présent, été soulevée que par P. Vickers dans le cas de la théorie de la diffraction de Kirchhoff69. Si l’on exige, comme

le font les modèles de loi couvrante, qu’une prédiction ait pour objet un événement postérieur au moment tp où elle est réalisée, alors il est

nécessaire de disposer d’une condition aux limites qui porte sur un in- tervalle [t0− −t1] tel que tp < t1. Cela implique que cette condition aux

limites n’est jamais confirmée directement par une expérience qui per- mette de constater qu’il n’y a pas eu d’influence sur le système étudié, car si c’était le cas il faudrait que tp > t1 et l’on n’aurait plus affaire

à une prédiction. Ainsi, lorsque l’on fait une prédiction qui porte sur le futur, on utilise forcément une condition aux limites qui viole le critère d’adéquation empirique : les modèles de loi couvrante de prédictions sont donc incohérents.

On peut certes avoir de bonnes raisons d’admettre certaines condi- tions aux limites, en apportant des arguments théoriques en leur faveur. Il est par exemple raisonnable d’admettre que, dans l’état de nos connais- sances scientifiques, un gaz placé dans une cuve hermétique constitue un système isolé. Mais rien ne permet d’être certain que cette condition

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Carl Hempel, “Provisoes : A problem concerning the inferential function of scien- tific theories”, Erkenntnis 28.2 (1988), p. 147–164.

68

Nancy Cartwright, How the Laws of Physics Lie, New York, Clarendon Press, 1983, p. 44.

69

Voir Juha Saatsi et Peter Vickers, “Miraculous success ? Inconsistency and untruth in Kirchhoff’s diffraction theory”, The British Journal for the Philosophy of Science 62.1 (2010), p. 29–46, et Vickers, “A Confrontation of Convergent Realism”.

sera vérifiée lors d’une prochaine expérience70 : comme le fait remarquer

Carnap, puisqu’il est impossible de tester l’absence de perturbations de tous les facteurs susceptibles d’influencer un système, les hypothèses qui posent les conditions aux limites font l’objet d’une décision et non d’une preuve71.

Ainsi, puisqu’il est difficile, voire impossible, d’écarter toutes les sources possibles de perturbation du système, on ne peut réaliser de prédiction sans recourir à des conditions aux limites que l’on admet sans preuves suffisantes pour être certain de leur vérité. Même lorsque ces hypothèses ne sont pas reconnues comme fausses, elle violent le critère d’adéquation empirique de Hempel. Mais on peut même aller plus loin et montrer, à l’aide de deux exemples, que les conditions aux limites utilisées dans des raisonnements prédictifs sont parfois explicitement fausses ou fiction- nelles72.

1.4.2

Hypothèses auxiliaires et conditions aux limites

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