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L’acquisition du premier paradigme cosmolo gique

3.2 1929-1933 : les prédictions des modèles dynamiques d’Univers

3.3 Conclusion du chapitre : succès prédictif et changement de paradigme en cosmo-

3.3.2 L’acquisition du premier paradigme cosmolo gique

On a vu dans la première section de ce chapitre que le modèle d’Einstein, que l’on considère souvent comme l’acte de naissance de la cosmologie, est prédictif mais n’a pas rencontré de succès prédictif. Donc, si l’on fixe, comme North ou Merleau-Ponty, la formation de la cosmologie scienti- fique à cette date, il est clair que ce ne sont pas les succès prédictifs qui peuvent être pris comme critère de maturité d’une discipline.

Cependant, la définition de la maturité telle qu’elle est donnée par Kant et Kuhn implique qu’il y ait des connaissances qui fassent consen- sus. Or, entre 1917 et 1929, on ne trouve aucun consensus sur la structure de l’Univers. On ne trouve pas non plus de manuel ou de journaux spécia- lisés en cosmologie durant cette période. D’un autre côté, cette période est marquée par le débat entre le modèle d’Einstein et celui de de Sitter, qui semble bien définir à la fois les problèmes que doit traiter la cos- mologie et la manière de les traiter, ce qui est une des conséquences de l’acquisition d’un paradigme. Il semblerait donc que durant cette période, la cosmologie soit dotée d’un proto-paradigme : la relativité générale per- met de définir une classe de problèmes qui consiste à trouver des solutions cosmologiques, mais il n’y a pas de consensus sur une solution ou même sur une classe de solutions (statiques ou dynamiques).

En revanche, une fois établie par la prédiction de Lemaître et confir- mée par les travaux de Hubble, l’expansion de l’Univers est une connais- sance qui a fait consensus parmi les cosmologistes. On peut donc qualifier cette période de révolution scientifique ayant provoqué un changement de paradigme en cosmologie. En effet, plusieurs travaux, dont ceux du cosmologiste et philosophe de la cosmologie George Ellis, ont montré qu’au début des années 1930 l’immense majorité de la communauté des scientifiques intéressés par les questions cosmologiques cessent de discu- ter les modèles A et B d’Einstein et de Sitter et se mettent à étudier des modèles d’Univers dynamiques. Cela montre que la communauté des cosmologistes78 s’est globalement convertie – à quelques exceptions no-

78La communauté des cosmologistes n’était pas constituée de cosmologistes de for-

tables près sur lesquelles on revient plus loin – à l’idée d’un Univers en expansion. Cette conversion est la marque de ce que Kuhn considère être une révolution scientifique s’opérant par changement de paradigme79.

En 1933, par exemple, Robertson écrit pour la Review of Modern Physics un article censé faire l’état des lieux de la recherche en cosmo- logie, qui présente les progrès de cette discipline depuis 191780. Comme

le fait remarquer G. Ellis, Robertson donne une grande importance aux premières tentatives qui ont eu lieu dans les années 1920 pour trouver des modèles d’Univers dynamiques : « on peut avoir l’impression que cet état de la recherche réagit contre le point de vue du précédent paradigme au point de cacher, peut-être par inadvertance, le thème central de cette période »81. Paradoxalement, c’est précisément le fait que le regard de Robertson sur le passé proche de sa discipline soit déformé qui indique le mieux que la cosmologie a connu un changement de paradigme au tournant des années 1930, puisqu’un des effets de toute révolution scien- tifique est de transformer la vision que les scientifiques ont de leur propre discipline et de les amener à réécrire son passé pour donner l’impression d’un progrès graduel des connaissances.

Or, comme on l’a montré, la prédiction de Lemaître a joué un rôle décisif dans le consensus concernant l’expansion de l’Univers et par consé- quent dans l’apparition de ce premier paradigme de la cosmologie. Si l’on se tient à la définition donnée par Kuhn de la maturité d’une discipline et de l’acquisition d’un paradigme, il faut donc admettre que la cosmologie scientifique n’est née qu’au tournant des années 1930 et que cette nais-

Cette communauté regroupait tout ceux – physiciens, mathématiciens, astrophysi- ciens, astronomes, géomètres – qui s’intéressent aux problèmes liés à la structure à grande échelle de l’Univers.

79Voir le tableau des publications en cosmologie durant cette période donné par

Ellis, “Innovation, resistance and change : the transition to the expanding universe”, p. 103. Le terme de « paradigme » n’a pas forcément dans cet article le sens précis que lui donne Kuhn dans La Structure des révolutions scientifiques. Il s’agit plus largement d’un « point de vue fondamental sur la nature de la cosmologie en tant que sujet d’étude scientifique. » Il semble cependant que la description que G. Ellis donne de la transformation de la cosmologie au tournant des années 1930 est conforme au modèle des révolutions scientifiques élaboré par Kuhn.

80

Howard Robertson, “Relativistic Cosmology”, Reviews of Modern Physics 5.1 (1933), p. 62.

81

Ellis, “Innovation, resistance and change : the transition to the expanding uni- verse”, p. 107.

sance a en grande partie été provoquée par un succès prédictif. Ce fait semble confirmer la conception de J. Worrall d’une science « mature » caractérisée par ses succès prédictifs. Cependant, si la cosmologie a bien acquis son premier paradigme durant les années 1930, cela ne signifie pas pour autant qu’elle ait été considérée comme une science mature par l’ensemble des scientifiques.

3.3.3

La cosmologie est-elle considérée comme une

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