CHAPITRE II LE MECANISME ECONOMIQUE ET FINANCIER DE
C. Les Plateformes de Financement des Gouvernements Locaux (PFGL)
Après la réforme fiscale de 1994, une centralisation de fiscalité et une décentralisation de
dépenses, les gouvernements locaux ne peuvent dépendre uniquement de la décentralisation
fiscale ou des transferts du gouvernement central pour répondre aux besoins croissants d’une
population grandissante à la suite de l’urbanisation. Des sources innovantes de financement
doivent être trouvées ainsi qu’une nouvelle approche comme la CPVF sur les finances
publiques locales. C’est pourquoi pour certains économistes chinois, la généralisation de la
CPVF est en quelque sorte une solution passive des gouvernements locaux en face de leur bilan
budgétaire dégradé. Mais pour exploiter tout le potentiel de cette nouvelle approche de
financement urbain, il fallait également des structures institutionnelles adaptées au besoin des
intervenants publics et privés.
Dès la fin des années 1980, les gouvernements locaux ont créé des entités destinées à une levée
de fonds pour financer leurs investissements publics. Initialement, il s’agissait de structures
financièrement indépendantes, spécifiques à un seul projet souvent dans la construction
d’infrastructures urbaines. Mais le modèle s’est progressivement étendu, les PFGL se sont
multipliées, elles ont élargi le champ de leurs activités, et la séparation financière avec leur
gouvernement est devenue plus floue. Ainsi, les PFGL sont devenues un intermédiaire financier
public entre les banques et les autorités locales, car elles ont pris l’habitude d’emprunter auprès
des banques en utilisant comme hypothèque les actifs, notamment fonciers, de leur
gouvernement.
a. La fonction des PFGL et leurs relations avec les gouvernements locaux
En pratique, les PFGL jouent un rôle d’intermédiaire financier entre les gouvernements locaux
et les banques afin de poursuivre les projets d’infrastructure locaux (voir la figure ci-dessous).
En profitant du statut des entreprises publiques municipales, les PFGL interviennent de facto
comme des investisseurs institutionnels locaux dans la promotion du développement des
infrastructures urbaines en Chine. Elles s’engagent généralement dans la construction de projets
publics de protection sociale, tels que la construction de logements économiques, les
infrastructures et les services sociaux (Lu et Sun, 2013).
Figure 5 : Coalition financière locale : PFGL, banques et gouvernements locaux
PFGLs
Gouvernements locaux Projet d’infrastructure urbaineBanques publiques
Collatéral Prêt bancaire Terrains publics Liquidité (investissement)Source : Lu et Sun, 2013.
Toutes les PFGL sont mises en place par les municipalités locales. Ces dernières leur apportent
des capitaux à partir de leurs recettes budgétaires, comme les revenus fiscaux, le gain de
transfert des droits d’utilisation des terres et des allocations budgétaires de la part du
gouvernement central. Une fois leurs besoins de capitaux propres satisfaits, les PFGL ont le
droit d’obtenir des prêts bancaires, comme n’importe quelle SARL. En pratique, elles agissent
comme les principaux agents de financement pour les gouvernements locaux, étant donné que
ces derniers sont légalement interdits de se livrer à des emprunts directs sur les marchés, y
compris les prêts bancaires.
La situation financière des gouvernements locaux dépend directement de la capacité des PFGL.
Pour les banques publiques qui accordent massivement des crédits aux PFGL, elles doivent non
seulement évaluer la capacité de remboursement des emprunteurs pour les projets particuliers,
mais aussi la situation économique des villes, le soutien sectoriel du gouvernement central et
notamment la perspective des gouvernements locaux dans les années à venir. En tenant compte
de la santé financière des gouvernements locaux, les banques supposent que les gouvernements
locaux seraient définitivement responsables financiers des PFGL.
Les activités principales des PFGL se concentrent sur l’investissement d’infrastructures
urbaines. C’est pourquoi la plupart des PFGL s’appellent « city investment group ». La majorité
des PFGL sont très rentables car leurs projets d’investissement s’appuient généralement sur
leur accès privilégié à la planification urbaine des municipalités. Ce privilège leur permet
d’obtenir un retour d’investissement extraordinaire afin de rembourser des crédits bancaires.
En pratique, les gouvernements locaux transfèrent habituellement les terrains comme
hypothèque pour aider les PFGL à obtenir des prêts bancaires. La terre pourrait également
fournir des revenus d’exploitation future pour PFGL, lorsque les droits d’utilisation des terres
sont vendus à l’avenir. Dans certains cas, les gouvernements locaux ont mis de côté les recettes
futures pour fournir des subventions pour PFGL. Pour renforcer la légitimité d’un tel soutien,
les gouvernements locaux comprennent souvent ces subventions dans le budget local, qui est
accordé par le congrès des autorités nationales-locales. En outre, des garanties explicites du
gouvernement local facilitent également l’accès à l’emprunt des PFGL. Au final, le dispositif
des finances publiques locales est un système où coexistent plusieurs contradictions : les
gouvernements locaux ont de lourdes responsabilités en termes de dépenses et
d’investissements indispensables au développement économique et social du pays, mais elles
ont une autonomie fiscale limitée. Elles sont obligées d’utiliser d’autres ressources qui, du fait
de n’être définies dans aucun cadre légal, conduisent en pratique à assouplir largement la réelle
contrainte budgétaire qui pèse sur leurs finances et à réduire les incitations à la discipline
financière selon laquelle les autorités locales ont l’obligation de présenter leurs budgets en
équilibre. Les excès qui découlent de ce dispositif sont devenus plus évidents depuis la crise
financière internationale de 2008.
b. L’expansion des PFGL après le plan de relance de 2008-2010
Le plan de relance énorme annoncé après la crise de 2008 mettait l’accent sur le développement
des infrastructures, et désignait donc naturellement les gouvernements locaux comme les
acteurs majeurs du programme d’investissement de 4 000 milliards de Yuan. Le programme
d’investissement désignait 7 secteurs prioritaires : transports et réseau électrique, reconstruction
du Sichuan après le tremblement de terre de mai 2008, infrastructures des zones rurales,
logement, santé et éducation, environnement et efficacité énergétique, modernisation
industrielle et innovation technologique. Toutefois, d’après les estimations de l’OCDE
(Organisation de Coopération et de Développement Economiques), le montant réel de ce plan
s’est avéré bien supérieur, grossi notamment par les centaines de projets entrepris par les
gouvernements locaux en marge du plan principal. Il était annoncé que les mesures couvriraient
de multiples domaines et l’accent a clairement été mis sur les investissements en infrastructures.
Tableau 2 : Composition du plan de relance de 2008
Secteurs Montant (en milliards de Yuan) %
Infrastructures urbaines (transports et réseau électrique)
1 500 38
Reconstruction après le sinistre de SiChuan 1 000 25
Logement social 400 10
Modernisation industrielle 370 9
Infrastructures des zones rurales 370 9
Environnement et efficacité énergétique 210 5
Education et santé 150 4
Source : National Development and Reform Commission, 2009.
L’objectif prioritaire pour l’Etat chinois était alors de stimuler la demande intérieure, quels
qu’en soient les coûts, pour contrer les effets sur la croissance de la chute des exportations.
Tout a donc été mis en place pour assurer le financement de la relance. D’abord, le
gouvernement central a étendu sa contribution financière au plan de relance à environ 1 600
milliards de Yuan au total et lancé en 2009 une émission obligataire de 200 milliards de Yuan
au bénéfice des gouvernements locaux. Ensuite, la prise des ressources des gouvernements
locaux officiellement autorisées a été élargie, les autorités reconnaissant précisément l’usage
de PFGL. Enfin, dans un contexte de fort assouplissement de la politique monétaire, les quotas
de crédits ont été éliminés et les banques ont été vivement encouragées à accroître leur offre de
prêts, notamment pour soutenir l’investissement public. Les banques ont alors injecté un
volume important de nouveaux crédits dans l’économie, en suivant les directives de l’Etat et en
relâchant leurs contrôles des risques. Ainsi, le crédit bancaire total est monté en flèche, passant
de 121% du PIB en 2008 à 145% en 2009, pour se stabiliser en 2010-2011. Ces chiffres excluent
les activités hors bilan, qui ont également très vite progressé : le total des nouveaux
financements domestiques, toutes sources confondues, a représenté un gigantesque 41% du PIB
en 2009 (contre 22% en 2008), puis 35% en 2010 et 27% en 2011 (Gaulard, 2013). Dans cet
environnement devenu plus favorable, les gouvernements locaux, mais aussi d’autres
administrations telles que le Ministère des Chemins de Fer, se sont lancés dans de nombreux
projets, financés sans difficulté. Ainsi, alors que l’investissement total (mesuré par
l’investissement en actifs fixes donné par les statistiques chinoises) progressait de 31% en
termes nominaux en 2009 (contre 26% en 2007 et 2008), l’investissement des entreprises d’Etat
augmentait de 42%, l’investissement dans le secteur de la construction de 46% et celui dans le
réseau de chemins de fer de 70% (Gaulard, 2013).
Graphique 7 : Croissance du PIB chinois depuis 1995 (en % annuel)
Source : Banque mondiale, 2015.
Le plan de relance a eu plusieurs conséquences. D’abord, la mobilisation massive des
ressources a permis à l’économie de se relancer très fortement dès le deuxième trimestre 2009,
tirée par l’investissement public, et la croissance du PIB dépassait à nouveau 10% en 2010.
Mais le plan de relance a également induit, d’une part, une dégradation des finances publiques
et, d’autre part, une montée des risques de crédit, les banques ayant négligé la gestion des
risques pour prêter dans tous les domaines. Alors que la performance budgétaire officielle est
restée forte, la dette publique s’est rapidement accrue entre 2008 et 2010, en particulier la dette
portée par les PFGL et garantie par les actifs immobiliers des gouvernements.
10.6 0 2 4 6 8 10 12 14 16 19 95 19 96 19 97 19 98 19 99 20 00 20 01 20 02 20 03 20 04 20 05 20 06 20 07 20 08 20 09 20 10 20 11 20 12 20 13 20 14
III. Les conséquences de la CPVF sur les finances publiques de
l’agglomération de Beijing-Tianjin, une étude de cas
L’application de la CPVF permet au gouvernement local d’obtenir des recettes immédiates et
d’ainsi prendre sa dépendance vis-à-vis de l’endettement et des risques budgétaires liés. Elle
contribue à réguler les marchés fonciers urbains en favorisant les investissements publics vers
les zones les plus pertinentes pour un développement urbain durable. Cependant, les marchés
fonciers urbains restent instables, d’où la nécessité de prendre en compte leurs revenus comme
un apport de capital ponctuel. Egalement, les ventes foncières ne peuvent se poursuivre
indéfiniment et la démarche est irréversible une fois que la cession a été conclue. La prudence
reste dans la mesure où les ventes foncières manquent souvent de transparence et de
mécanismes en assurant la bonne gouvernance. Par ailleurs, ces techniques de financement ne
doivent pas être vues comme une fin en soi, mais faire partie d’une bonne planification de
l’investissement public. La ville de Kangbashi, à Eerduosi, en Mongolie intérieure proche de
Beijing, est devenue le symbole des villes fantômes chinoises. Construite entre 2005 et 2010,
avec une capacité d’accueil d'un million de personnes, la ville tout entière reste presque vide.
En mai 2010, un article publié par l’agence de presse officielle Xinhua a affolé la construction
urbaine chinoise. Chaque capitale provinciale construit actuellement de quatre à cinq nouveaux
quartiers. Cela amènera la Chine à loger 3,4 milliards d'habitants, soit presque trois fois plus
que la population chinoise actuelle. Dans le Chapitre précédent, nous avons expliqué pourquoi
et comment la vente de terrains est devenue l’une des sources les plus importantes de revenus
des gouvernements locaux qui ne reçoivent pas d'impôt local. Pour l’instant, la politique fiscale
actuelle n’a pas permis de changer ce système de financement, qui fait que les villes s’étendent
de manière inefficace, créant ainsi toute une suite de problèmes : embouteillages, expropriation
de fermiers, pollution, etc.
Le phénomène des villes fantômes chinoises montre certains points faibles de la CPVF. En effet,
le foncier ne peut pas financer tous les investissements du développement urbain. Dans un
développement urbain réalisé, par exemple, en périphérie d’une zone urbanisée sur des terrains
d’usage agricole devenus urbanisables, la plus-value réalisée sur le foncier finance
l’aménagement de ces terrains (tous les réseaux internes à la zone y compris leur connexions
sur les voiries et réseaux extérieurs, espaces publics) mais le financement des services publics
nécessaires aux habitants (écoles, équipements sportifs, culturels…) est généralement assuré
par les taxes liées à la construction des bâtiments sur ces terrains et par les impôts fonciers
annuels. Selon le niveau du marché immobilier (qui détermine le niveau du marché foncier) et
le coût d’acquisition initial du foncier, la plus-value réalisée sur le foncier aménagé permet de
financer uniquement l’aménagement urbain. Mais comment financer la prestation des services
publics (écoles, etc.) nécessaires aux futurs habitants ou utilisateurs de la zone aménagée ? En
général, les équipements de production d’eau potable (usines des eaux) et d’énergie (électricité)
ne peuvent être financés que par l’impôt ou par des taxes incluses dans la tarification de l’eau
et de l’énergie.
Dans notre cas de l’agglomération de Beijing-Tianjin, il s’agit d’avant tout de reconstruire la
nouvelle ville sur l’ancienne ; l’équation financière du marché foncier est encore plus difficile.
En dehors de deux grandes métropoles de la région, des opérations d’aménagement urbain
consistent principalement à racheter des terrains déjà urbanisés et souvent pollués, pour
reconstruire des logements, des usines modernes, des locaux d’activité et des bureaux, et
nécessitent une participation de l’autorité publique pour financer les équipements publics
nécessaires à l’opération. Dans les paragraphes suivants, nous allons étudier les conséquences
de la CPVF sur les finances publiques locales en Chine.
A.La finance foncière, une solution passive des gouvernements
Dans le document
L'urbanisation de l'est de la Chine : entre mégalopolisation et métropolisation
(Page 103-110)