CHAPITRE III LA DYNAMIQUE DE LA MEGALOPOLISATION VERS LA
A. Les métropolisations littorales, acteurs du développement économique
La Chine de ce début de XXe siècle est devenue un véritable théâtre de mutations
démographiques et socio-économiques majeures. Elles concernent en tout premier lieu le
volume atteint par les migrations internes (170 millions de travailleurs migrants, contre 2
millions il y a 30 ans) qui entraîne un important brassage territorial. Celui-ci est étroitement
corrélé avec la variation du niveau d’urbanisation du pays. Le passage du seuil symbolique de
50% d’urbains dans une société à forte tradition rurale représente ainsi un changement de
paradigme. En 2025, les urbains devraient être 800 millions contre un peu plus de 600 millions
aujourd’hui. Par ailleurs, le vieillissement accéléré de la population (dès 2012, le rapport entre
actifs et inactifs devrait s’inverser) comme la constitution d’une classe moyenne de masse (le
niveau de vie moyen des habitants des villes progresse à un rythme soutenu de 10% par an) font
évoluer de manière sensible les déterminants de la compétitivité internationale et les besoins
nationaux en biens et en services à satisfaire.
Compte tenu de la rapide urbanisation chinoise à la fin des années 1990, Guillaume Giroir,
(1999) propose une nouvelle lecture des disparités du territoire chinois en ajoutant les
dynamiques urbaines à son analyse. Selon lui, les « espaces métropolitains et marges de la
Chine orientale » se subdivisent ainsi en quatre régions : Shanghai et son delta ; la Chine du
Sud-Est avec le Guangdong et le Fujian ; Beijing, Tianjin et la région côtière de la mer de Bohai ;
et le Nord-Est dans son entier (Sanjuan, 2007). Dans la même période, Alain Reynaud (1997,
p. 173-194) a proposé une lecture régionale similaire depuis les pôles littoraux en graduant
l’espace chinois suivant son niveau d’intégration à l’économie mondiale (Reynaud, 1997). Il
distingue ainsi trois centres principaux d’échelle nationale : Beijing-Tianjin, Shanghai et Hong
Kong-Guangzhou. Ces pôles métropolitains seraient ensuite prolongés par des périphéries
littorales intégrées à leurs économies, densément peuplées et industrialisées. Les zones
économiques spéciales et les ports ouverts participeraient activement à ces dynamiques
régionales comme lieux secondaires d’intégration au système économique mondial.
Figure 6 : Centres urbains en Chine
La lecture d’Alain Reynaud nous donne une « maquette » de trois mégalopolisations chinoises.
En effet, depuis le début du 21
èmesiècle, les pôles des trois agglomérations : Beijing, Shanghai
et Guangzhou dépendent désormais toutes trois d’un même État, dont l’idéologie communiste
en matière politique coïncide avec une libéralisation et une décentralisation économiques. Avec
la création des Zones Economiques Spéciales, la rétrocession de Hong Kong à la Chine et la
mise en place progressive d’une économie de marché en Chine continentale, un curieux
chassé-croisé s’est opéré qui rapproche sensiblement les trois métropoles. Celles-ci appartiennent
surtout à un pays en plein développement, où la structure de répartition des revenus est loin
d’être stabilisée et où les équilibres économiques et régionaux sont partout remis en question.
Une recomposition régionale est à l’œuvre et devrait s’accélérer grâce à l’accent mis depuis les
années quatre-vingt-dix sur les pôles continentaux principaux que sont Shanghai et Beijing.
Ce n’est en effet que dans les années 1990 que les autorités chinoises ont pris le risque d’une
difficile et radicale modernisation de leurs grandes villes. Les plans d’aménagement urbain ont
pu alors se matérialiser et bouleverser les espaces bâtis hérités. Les villes chinoises, notamment
les métropoles de la côte et certaines villes plus à l’intérieur des terres, comme Chongqing et
Wuhan, sont devenues les pôles prioritaires de la modernisation économique.
Dans la seule période 2002-2011, le taux de croissance en moyenne du PIB du delta du Yangtsé
est de 17,1%, celui de Beijing de 17,2%, contre 16,5% pour le delta Pearl River. La croissance
économique des deux premiers fut la plus importante parmi les provinces chinoises. Selon le
graphique ci-dessous, le delta du Yangtsé renforçait également son avance sur la zone de
Beijing-Tianjin et le delta Pearl River. En 2011, le premier ne représentait pas plus de 21.31%
du PIB chinois et Beijing 11.03%. Il dominait de puissants ensembles régionaux.
Graphique 13 : Part dans le PIB des trois grandes zones d’agglomération
Source : BNS, 2012.
Malgré sa part du PIB moins importante parmi ces trois zones, à la fin du siècle, la province du
Guangdong, qui réalisait à elle seule plus de 10% du PIB chinois en 2011, restait néanmoins le
pôle économique le plus important du littoral chinois. C’est parce que Hong Kong, ville voisine
de la province, était toujours à l’origine d’une grande partie des investissements étrangers qui
gagnaient la Chine de l’ouverture en 1999. Elle demeure une porte privilégiée pour les
investisseurs et industriels vers le Continent (Zhang, 2001).
L’accélération de l’urbanisation et de la croissance économique en Chine a intensifié une
concurrence forte entre ces agglomérations. Même si l’État central commande la restructuration
des entreprises industrielles autour de Beijing, encourage le développement économique de
Shanghai et crée des Zones Spéciales Economiques dans la province de Guangdong, les
autorités municipales, les milieux d’affaires locaux et les populations des trois zones ne
pourront s’inscrire que dans une rivalité économique de plus en plus intense.
Certes, certains entrepreneurs de Hongkong (Li Jiacheng par exemple le plus riche chinois du
monde) ou des sociétés chinoises privées sont présents partout le long de la côte notamment
dans le delta Pearl River. Des cliques entrepreneuriales régionales sont aujourd’hui encore
difficiles à identifier, mais le localisme et le protectionnisme régional restent forts en Chine, et
de telles pratiques auront du mal à disparaître, même sous l’incitation de l’OMC.
11.03% 21.31% 11.27% 0.00% 5.00% 10.00% 15.00% 20.00% 25.00% la Zone Beijing-Tianjin-Tangshan
Pour le gouvernement central, il est préférable que les trois zones établissent des relations de
complémentarité. Des spécialisations existent déjà dans certains secteurs industriels entre leurs
ensembles régionaux continentaux : l’électronique grand public pour le Guangdong,
l’automobile à Shanghai. Dans le tertiaire, les transports et les communications sont les points
forts de la province méridionale, contre les services financiers et la recherche scientifique,
plutôt concentrés dans le delta du Yangtsé et dans le Nord. Mais la prise en compte de la
proximité du delta Pearl River avec Hong Kong permet à la Chine du Sud de l’emporter sur
Shanghai dans la finance (Boillot et Michelon, 2000).
Aujourd’hui, on assiste en fait plutôt à un développement en parallèle où chaque agglomération
joue de ses propres atouts, de ses caractéristiques héritées ou acquises. Même si ces vocations
spécifiques s’atténueront progressivement, l’état actuel du développement chinois leur garde
encore une forte pertinence. Le delta Pearl River était depuis longtemps le principal pionnier
de l’ouverture chinoise. Beijing était comme une capitale régionale, partageant avec les autres
villes de Chine du Nord et du Nord-Est les difficultés de la reconversion industrielle, et
nationale dans un État politiquement autoritaire. Shanghai et ses villes périphériques étaient
comme la vitrine en rapide devenir de la modernisation continentale.
Tableau 4 : Compositions sectorielles des PIB des 3 deltas en 2011
Secteur primaire Secteur secondaire Secteur tertiaire
Delta Beijing-Tianjin 6.1% 43.8% 50.1%
Delta du Yangtsé 4.7% 49.4% 45.9%
Delta Pearl River 5.0% 49.7% 45.3%
Source : BNS, 2012.
Les compositions sectorielles de leur PIB reflètent la structure économique de ces zones (voir
le tableau ci-dessus). Selon le tableau, le tertiaire domine très largement dans ces trois
agglomérations. Les activités de services comptent pour plus de 45% du PIB, et l’agriculture a
très fortement diminué en raison de l’abandon d’activités à faible valeur ajoutée, demandant en
abondance main-d’œuvre, de l’espace, et trop souvent polluantes. Surtout, ce tertiaire a
lui-même connu une restructuration : les services les moins rentables ont été redistribués vers les
autres provinces. Les villes-centres gèrent ainsi ces services à distance, alors que le territoire
développe localement des services de haute qualité aux entreprises (finances, assurance, droit,
conseils...).
Le delta du Yangtsé et la zone de Beijing-Tianjin connaissent, pour leur part, des problèmes
communs dus à des bâtis urbains hérités, aux conséquences d’une industrialisation aggravée en
pleine ville par les politiques de l’économie socialiste planifiée, à la présence d’entreprises
d’État dont les reconversions productives et l’abandon des garanties sociales d’hier représentent
de redoutables défis. Les vocations d’origine restent toutefois évidentes : Shanghai tire à
quasi-égalité sa richesse de l’industrie et des services, alors que la capitale nationale accuse une nette
prépondérance du tertiaire.
B.Les acteurs régionaux aux origines de l’organisation de l’espace
Dans le document
L'urbanisation de l'est de la Chine : entre mégalopolisation et métropolisation
(Page 166-171)