CHAPITRE III LA DYNAMIQUE DE LA MEGALOPOLISATION VERS LA
C. L’interprétation de la théorie de l’agglomération
La concentration des activités de coordination dans les métropoles, ainsi que la stabilité relative
des villes diversifiées peuvent être comprises à l’aide de la théorie économique de
l’agglomération. La condition du développement des activités de long terme dépend toujours
de la croissance des interactions dispersées à longue distance. Cela s’explique par la hausse de
la complexité des activités économiques qui exigent au processus de décision d’être précis avec
plus de régulation. Dans l’ancienne époque, même lorsque les interactions commerciales étaient
relativement simples, les moyens de transport élémentaires prenaient beaucoup de temps et
impliquaient des risques importants qui faisaient que le commerce international se trouvait dans
une situation très complexe. Dans ces situations, le besoin de coordination s’est accru, ayant
entraîné l’essor des activités avancées, basées sur la circulation de l’information. Comme nous
l’avions déjà évoqué, ces activités faisaient naturellement concentrer et renforcer le caractère
métropolitain des villes. Selon Claude Lacour et Sylvette Puissant, l’agglomération est
« l’ensemble de processus dynamiques qui transforment une ville en métropole » (Lacour et
Pussant, 1999).
a. Les externalités de la proximité
La coordination des activités renforce la circulation de l’information. Au fil du temps, elles sont
devenues très stratégiques car les échanges de l’information complexe et personnalisée sont de
plus en plus exigés par l’activité de coordination. Les contacts face-à-face génèrent de fortes
externalités de proximité. Elles génèrent le processus de l’agglomération qui influence à son
tour les activités de coordination. Cela constitue probablement l’un des facteurs le plus
important de la formation d’une métropole.
En revanche, ce processus ne peut apparaître qu’au niveau minimum des forces
d’agglomération. L’intensité de ces forces dépend de la taille et de la composition de la ville.
Même si ce n’est pas le seul déterminant de la métropolisation, la taille de la ville favorise la
concentration des fonctions de la coordination. Plus spécifiquement, la concentration des
activités économiques fait promouvoir la croissance des activités avancées parce qu’elles
trouvent un grand marché étendu. Par conséquent, une grande ville a des capacités de créer des
nouvelles activités qui à leurs tours font accroître la diversité, et ainsi, reproduisent des
nouvelles économies d’agglomération de type « à la Jacobs » (Kresl, 2007). Selon Jane Jacobs,
c’est la diversité des entreprises dans des clusters industriels différents à la proximité l’un de
l’autre qui se manifeste comme la source principale des économies d’agglomération. Pour elle
il n’y a qu’une grande ville qui est capable d’assurer la complexité des moyens de la recherche,
des universités, et d’autres instituts générant les R&D qui simplifient le partage des
connaissances, les contacts, et les économies d’échelle dans la production des services. Il faut
avoir une taille minimale pour faire naître les services publics spécialisés qui incitent la création
des nouvelles économies d’agglomérations, et ainsi de suite.
Dans ces processus d’agglomération, les externalités du capital humain jouent un rôle clé.
Puisque les fonctions de coordination se développent, le besoin de main-d’œuvre qualifiée
augmente et les externalités de capital humain s’accroissent. La taille de la ville, le capital
humain et le processus de coordination de l’information s’intensifient et se renforcent. Comme
cela facilite la diffusion de l’information, l’agglomération des agents bénéficie de la formation
du capital humain comprenant le développement et l’apprentissage, les connaissances et
l’innovation. Au contraire, le capital humain est un facteur d’agglomération car il attire des
nouvelles activités exigeant un besoin de coordination. L’opposition dans la littérature entre les
bénéfices de la spécialisation et ceux de la diversification apparait dans le cadre de la proximité.
Le district industriel comprend plusieurs petites entreprises spécialisées dans le même secteur
industriel qui bénéficient des économies d’échelle dans la production des inputs partagés, des
connaissances, du marché commun de la main-d’œuvre qualifiée, et du réseau dense des
contacts parmi les entreprises.
b. Les interactions de la proximité et les échanges à longue distance
Allen Scott a mis en place la typologie de la localisation en analysant l’agglomération par deux
facteurs fondamentaux : les externalités non pécuniaires et les coûts de transaction liés à la
distance.
18Selon lui, les forces d’agglomération seront plus importantes si les coûts de
transaction sont plus élevés. Dans certains cas d’hétérogénéité, les coûts de transaction entre
les entreprises sont bas, par exemple par Skype ou par courriels, et élevés, par exemple une
réunion sur place.
18 Selon Carl J. Dahlman, les coûts de transaction consistent en trois manières, soit les coûts de recherche et d’information, les coûts de négociation et de décision, et les coûts de surveillance et d’exécution (Dahlman, 1979).
Tableau 3 : Typologie de la localisation de Scott
Externalités Coûts de transaction spatiale
Uniformément faible Hétérogène Uniformément élevé
Faibles 1. Entropie spatiale
2. Dispersion au hasard
et amorce de paysage
löschiens-weberiens
3. Paysages
löschiens-weberiens
Elevées 4. Petits clusters
interconnectés 5. Super-clusters
6. Petits clusters
déconnectés
Cluster : grappe d’activités agglomérées
Source : Scott A. J., 2001.
La première ligne présente les phénomènes où la localisation est très décentralisée, au hasard
dans le cas 1, conformément aux places centrales de Lösch ou les points dispersés de
concentration de Weber dans le cas 3, et le mélange pour le cas 2. Le cas 4 décrit les systèmes
productifs localisés, où les interactions locales des activités très fortes produisent des
externalités élevées. Les interactions sont rendues possibles en raison de coûts de transaction
minimes que procurent le territoire et les proximités. Le cas 5 appartient plutôt à l’économie
mondiale contemporaine, en combinant des coûts de transaction très hétérogènes et des
externalités élevées dans des systèmes de production flexible. Les entreprises s’attachent les
unes aux autres, d’autant plus que les externalités procurées par l’agglomération sont
importantes. D’ailleurs, les coûts de leurs transactions extra-locales permettent à chaque cluster
de viser les ressources et les marchés mondiaux et de stimuler la croissance. Le cas 6 est
consacré à l’économie mondiale avant la globalisation, avec des agglomérations à externalités
intra-cluster fortes, mais où les coûts élevés de transport longue distance limitent les
connections entre les clusters et le potentiel de croissance de chacun.
La proximité et les interactions globalisées fonctionnent mutuellement, ce qui rend leur
combinaison très puissante, et se manifestent comme un facteur de l’agglomération et de la
métropolisation. A travers les interactions de longue distance, les métropoles sont l’objet de la
« tyrannie du global » en effectuant plus d’interactions entre elles-mêmes qu’avec leurs
hinterlands respectifs. La « tyrannie du global » est aussi un facteur de l’agglomération car les
grandes villes sont les meilleurs points d’entrée dans des réseaux d’interactions à longue
distance entre les métropoles. La combinaison de ces deux types d’interactions est un nouveau
facteur des métropoles. Au-dessus d’un certain niveau, ces deux dimensions de la métropole se
renforcent de manière à ce que la métropolisation génère la métropolisation ; ces métropoles
qui ont été établies anciennement ont un avantage évident à la différence des autres. Les
processus cumulatifs mènent vers un mécanisme de « blocage auto-renforçant », pour renforcer
la stabilité de la métropole (Krugman, 1997).
c. Un modèle simple d’agglomération urbaine
Le modèle le plus simple d’agglomération urbaine se base sur des villes identiques. Les sources
d’agglomération peuvent provenir d’une des deux économies externes. Entre ces villes, les
consommateurs/travailleurs ont une mobilité complète. Le système de villes d’équilibre résulte
de la concurrence entre des aménageurs privés maximisant leur profit ou entre des
gouvernements locaux maximisant le niveau commun d’utilité des résidents. Dans les deux cas,
les résultats sont les mêmes : l’équilibre est caractérisé par l’égalisation des utilités dans toutes
les villes après un processus des choix de localisation des consommateurs. Considérons le
mécanisme des aménageurs maximisant leur profit. Supposons que le sol disponible dans
l’économie soit suffisant pour le développement des villes. La population nationale p est
déterminée de manière exogène. Chaque ville est à la taille optimale N*, le nombre de villes n
= p/N*. p est supposé être suffisamment grand pour assurer que n soit une variable continue. n
= p/N* est un équilibre stable puisqu’il correspond au niveau d’utilité le plus haut, u*, de tous
les consommateurs dans toutes les villes. Aucun consommateur n’a intérêt à migrer. Tant que
n<p/N*, il n’y a pas assez de villes dans l’économie, et chaque ville est trop grande par rapport
à la taille optimale, par conséquent, l’utilité des consommateurs dans les villes reste inférieure
à u*. Les aménageurs peuvent avoir des profits positifs, alors de nouveaux aménageurs entrent
pour former de nouvelles villes. Et comme la formation des nouvelles villes épuise les profits,
les entrées des nouveaux aménageurs s’arrêtent. L’équilibre s’établit quand le profit est nul,
l’utilité remonte au niveau u*, et le nombre des villes atteint l’optimal, soit n=p/N*.
d. La diversification dans une agglomération urbaine
Dans une agglomération urbaine réelle, les villes ont souvent des structures industrielles
différentes et des tailles différentes. La spécification ou la diversification dans la production
des villes sont traitées dans les modèles plus complexes du système de villes. Ces modèles
donnent également des explications à l’existence des différentes tailles optimales dans un
système urbain. En effet pour certains auteurs comme Black et Henderson, l’agglomération
urbaine n’est plus composée de villes identiques et « isolées » (Black et Henderson, 1999). Il y
a deux types de villes (I et II) dans le modèle. Chaque type de villes produit un type de produit
spécial et échange ses produits avec l’autre type de villes. Dans une ville de type I, le travail est
le seul input dans la production ; les entreprises bénéficient de deux sources d’externalités
locales : les économies de localisation qui sont internes dans une industrie, déterminées par la
taille de l’industrie et les économies externes en provenance des connaissances et des
informations, dépendant de la taille globale de la ville. La structure interne des villes de type I
est déterminée de la même manière que dans les modèles des villes mono-centriques, avec
l’équilibre du marché foncier marqué par une échelle des rentes foncières. La taille d’équilibre
de ce type de villes est réalisée par la maximisation des profits des aménageurs de ville. Dans
les villes de type II, un bien échangeable est produit avec le travail, mais aussi en utilisant les
produits des villes de type I comme un input intermédiaire. La production de chaque entreprise
des villes de type II s’assujettit également aux économies d’échelle locales qui sont liées à la
taille de l’industrie, d’une part, et au spillover des connaissances locales dépendant de la taille
des villes, d’autre part. La taille optimale et la formation des villes de ce type se réalisent
similairement comme pour les villes de type I. Le modèle combinant ces deux types de villes
contient deux équations suivantes : une équation de l’égalisation des revenus disponibles entre
les villes, réalisée par la mobilité des travailleurs et une équation de l’équilibre entre la demande
et l’offre sur les marchés des deux types de villes. Dans les analyses statiques, le modèle est
bouclé en ajoutant une contrainte de plein emploi dans l’économie. Les nombres de chaque type
de villes et le prix relatif des deux produits sont résolus en tant que fonctions des paramètres.
Dans les villes de type plus grand, les coûst de déplacement et les rentes foncières sont plus
élevés ; pour que les revenus disponibles soient égalisés dans les deux types de ville, le salaire
dans les plus grandes villes doit être aussi plus élevé et compenser la différence des coûts de
localisation.
diversifiées dans différents secteurs industriels ; étant donné que le degré des économies de
localisation varie entre les industries et que le degré des économies d’urbanisation entre
industries varie aussi entre les villes de différentes structures industrielles, et que, d’autre part,
les déséconomies d’agglomération dépendent principalement de la taille totale de la ville.
Chaque ville doit avoir une taille optimale spécifique dépendant de sa structure industrielle. En
revanche, l’utilité des résidents représentatifs dans chaque ville doit être au même niveau. Il en
sort que le niveau des salaires dans les villes plus grandes est plus élevé pour compenser les
coûts de localisation plus élevés.
IV. L’évolution des métropoles chinoises à l’ère de la
métropolisation
Depuis le milieu des années 1980, les analyses scientifiques expliquent directement ou
indirectement les mutations économiques et le développement des villes. Toutefois, ces
analyses demandent de mobiliser les recherches en géographie urbaine car elles traduisent le
contexte dans lequel les métropoles se situent et quels rôles elles jouent dans cette nouvelle
configuration économique. L’étude du contexte économique constitue donc la base de l’analyse
des processus de métropolisation qui permet de comprendre le constat selon lequel les
métropoles ont subi des mutations importantes. Il convient d’apporter un éclairage sur les
conséquences que ces phénomènes produisent sur le fonctionnement des métropoles. Pour cela,
nous allons dans un premier temps nous intéresser aux mutations économiques en mettant les
changements produits au niveau du système productif et des emplois présents dans les
métropoles. Dans un second temps, nous analyserons le fonctionnement de ces agglomérations
sur le territoire chinois.
A.L’agglomération urbaine dans un contexte économique en
Dans le document
L'urbanisation de l'est de la Chine : entre mégalopolisation et métropolisation
(Page 148-154)