CHAPITRE II LE MECANISME ECONOMIQUE ET FINANCIER DE
A. L’évolution des finances publiques chinoises dans les années 1980-1990
En général, dans les pays développés comme dans les pays en développement, les
gouvernements centraux disposent d’une large gamme de moyens financiers pour aider les
provinces à s’urbaniser. Dans le cas spécifique de la Chine, ces mesures financières incluent les
allocations budgétaires (les fonds, les subventions) et les prêts bancaires. L’Etat dispose avant
tout de plusieurs mesures d’allocation de ses revenus budgétaires pour aider les régions pauvres
à se développer.
a. Les moyens financiers directs
1. Les allocations budgétaires
Premièrement, le gouvernement central a mis en place des fonds de développement économique
pour certaines régions sous-développées. Une partie importante de ces fonds entre dans le cadre
de la politique de réduction de la pauvreté lancée en 1984 par le PCC et le Conseil des Affaires
d’Etat, dont l’objectif était d’aider les régions pauvres à se développer. A partir de 1984, le
Ministère des Finances a dégagé environ un milliard de Yuan par an pour aider ces régions. Par
ailleurs, après 1987, le gouvernement central a également participé à la construction de routes
et à la mise en place de facilités d’irrigation dans les régions défavorisées par le biais de la
rémunération en marchandises de la main d’œuvre locale. Une grande partie de ces fonds
provenait du budget de l’Etat et, dans une grande mesure, du budget du gouvernement central ;
bien que certains gouvernements étrangers et organisations économiques internationales aient
également participé. Enfin, bien que ces dernières années un nombre croissant de fonds ait été
créé au niveau des provinces et des municipalités, peu d’entre eux sont engagés dans des
opérations interrégionales ou pour diminuer les inégalités entre les régions (Song, 1992 ;
Ramgopol, 1992).
Par ailleurs, le gouvernement central a offert quatre types de subventions pour venir en aide aux
régions sous-développées. Il existe quatre différents types d’utilisation des subventions fournies
par le gouvernement central : premièrement, la compensation des déséquilibres budgétaires ;
deuxièmement, l’aide aux projets prioritaires pour le centre, tels que l’irrigation et le planning
familial, que les régions ne peuvent se permettre d’assumer elles-mêmes ; troisièmement, la
subvention de grands projets de construction et les réajustements de prix ; et quatrièmement,
l’offre d’une aide en cas de désastres naturels et autres accidents majeurs. La plus significative
est la « subvention de rééquilibrage », conçue spécialement dans le but de compenser le manque
de revenus au niveau local. Les subventions destinées aux huit provinces frontalières peuplées
de minorités relèvent de cette catégorie. Dans la mesure où la plupart de ces subventions
provenait d’allocations budgétaires, le déclin constant des revenus du gouvernement central a
eu un effet considérable sur le montant des subventions dédiées aux régions défavorisées,
comme l’illustre la diminution (en 1988) puis l’annulation (en 1993) des subventions accordées
aux provinces minoritaires.
Malgré toutes ces allocations budgétaires accordées aux provinces, dans le cadre du système de
partage de la totalité ou d’une partie des revenus de l’Etat, les taux de rétention au niveau local
était généralement déterminé sur la base des estimations faites par l’autorité centrale de la
situation fiscale des provinces l’année précédente. Celles qui avaient un déficit chronique ont
été inscrites sur la liste des « bénéficiaires » de subventions du gouvernement central. De même,
selon le régime fiscal, 16 provinces (dont huit provinces frontalières et peuplées d’ethnies
minoritaires) ont reçu des subventions budgétaires du centre dans le cadre du « programme de
subventions fixes ».
En face de ce déséquilibre budgétaire, il est devenu de plus en plus difficile pour le
gouvernement central de compter uniquement sur les mesures budgétaires pour réduire les
disparités urbaines. En plus de dépenses traditionnelles comme celles concernant les services
administratifs et la défense nationale, le gouvernement central a mobilisé des fonds importants
sous formes de subventions spéciales destinées au déficit des entreprises publiques et des
mesures de réajustement des prix pour lutter contre l’inflation. Par conséquent, le volume des
fonds en circulation à la disposition du gouvernement central a diminué de 6,7 milliards de
Yuan en 1978 à 1,7 milliard en 1994. Le taux annuel d’augmentation des subventions du centre
aux provinces peuplées d’ethnies minoritaires a été réduit en 1988 de 10 % à 5 %, puis annulé
en 1993. Le gouvernement central a, avec l’adoption de la réforme fiscale de 1994, mis en
œuvre des mesures de centralisation fiscale.
2. Les prêts bancaires
Les investissements publics pour la construction d’infrastructures constituent depuis longtemps
un moyen d’obtenir des financements publics pour les régions. Alors que 83% de tous ces
investissements provenaient, durant la période 1950-1978, du budget de l’Etat, cette situation a
changé pendant la période de la réforme. En 1978, les investissements provenant des allocations
budgétaires représentaient 78% de tous les fonds destinés à la construction de base. Vingt ans
plus tard, leur part n’était plus que de 8,8%. De la même manière, la part des investissements
budgétaires en capital fixe dans la totalité des investissements budgétaires est passée de 85%
en 1978 à 2,8% en 1997. Ces changements sont en grande partie dus à la politique de
remplacement des subventions par des prêts, à une plus grande décentralisation des autorités
responsables des investissements et à la diversification des sources d’investissements. Cette
décentralisation a permis aux régions côtières en pleine urbanisation d’utiliser leurs propres
richesses pour accélérer les investissements locaux. La part régionale des investissements en
capital fixe en 1996 était de 79% pour la région est, de 61% pour les régions du centre et de
l’ouest. La diversification des sources d’investissements a aussi eu un impact très marqué. La
part des investissements privés dans l’ensemble des investissements en Chine est passée de 18%
en 1980 à 45% en 1998. Même pour les investissements de l’Etat, la part des fonds non budgétés
levés par les unités administratives et commerciales était de 48% en 1998, alors que les chiffres
correspondants pour les prêts intérieurs, les capitaux étrangers et le budget de l’Etat étaient de
25%, 12% et 9% respectivement.
C’est pourquoi les prêts bancaires ont peu à peu remplacé les allocations budgétaires comme
principale source de capital au développement. Dans les années 1980, le gouvernement central
a mis en place des prêts spécifiques destinés à aider les régions intérieures pauvres et
sous-développées. On peut les regrouper en trois catégories : 1) les prêts spéciaux pour la réduction
de la pauvreté, 2) les prêts pour les régions minoritaires, frontalières et pauvres, 3) les prêts
pour les entreprises gérées par les districts dans les régions intérieures. Dans les années 1990,
le gouvernement central a commencé à utiliser ses propres banques pour venir en aide aux
régions intérieures. Par exemple, la Banque Commerciale de Chine a été contrainte de mettre
70% de ses prêts à la disposition des régions du centre et de l’ouest, la Banque Chinoise du
Développement a dû offrir des prêts aux régions intérieures à des taux très favorables, la Banque
Chinoise de l’Agriculture a été obligée de réduire les taux de ses prêts d’aide à la réduction de
la pauvreté. Ainsi, en 1996, les régions de l’ouest recevaient 63,1% de la totalité de ces prêts.
Etant donné que la part des régions de l’est dans la totalité de l’épargne et de l’emprunt du pays
était de 62% en 1996 et de 51% en 1995, il est évident que les régions de l’ouest (15% et 16%
respectivement) n’auraient jamais pu avoir accès à ces ressources financières sans l’intervention
directe du gouvernement central.
Si l’aide financière directe présente des avantages tant par la facilité de sa mise en place que
par son efficacité à court terme, son impact ne peut être maximisé lorsque le gouvernement
central dispose de ressources suffisantes. En d’autres termes, la mise en place effective de l’aide
financière présuppose un gouvernement central fort dont la Chine n’était pas pourvue dans les
années 1980. La Chine a engagé une réforme fiscale en 1994. Cette réforme fiscale a renforcé
la capacité fiscale du gouvernement central vis-à-vis des localités. Mais si l’élargissement des
ressources du centre est une chose, l’utilisation efficace de ces ressources par les gouvernements
locaux en est une autre. Nous étudierons cet aspect avec la question des politiques
préférentielles de développement.
b. Les politiques préférentielles de développement
L’application de politiques préférentielles ciblées géographiquement constitue une alternative
importante pour le gouvernement central. Alors que l’apport d’une aide financière a pour but
principal d’urbaniser les villes chinoises notamment dans les zones sous-développées par le
biais d’allocations, comme les subventions et les prêts ; les politiques préférentielles se
différencient de cette approche financière pure dans la mesure où elles cherchent à donner des
fonds nécessaires en faveur du développement économique local. Les politiques préférentielles
constituent une économie de ressources importante au sens administratif dans la mesure où il
suffit au gouvernement central de sélectionner quelques villes exemplaires et d’améliorer leur
environnement économique en leur offrant un cadre de fonctionnement préférentiel à la place
d’une aide fiscale ou financière.
Depuis la transition économique chinoise de 1979, les priorités du gouvernement central ont
totalement changé. Alors que l’intervention de l’Etat devenait moins rigide dans l’imposition
de son environnement stratégique, il commence à se consacrer au développement économique
d’une manière très différente de celle de la période de l’économie centralisée planifiée. Par
ailleurs, dès le début de la réforme économique du pays, le gouvernement chinois a poursuivi
une stratégie discriminatoire qui favorise les régions côtières. C’est pourquoi nos trois grandes
agglomérations métropolitaines sont toutes situées dans les zones côtières. En effet, la
quasi-totalité des villes et régions ouvertes dans les années 1980 étaient situées dans les régions
côtières qui jouissaient d’un traitement préférentiel tant en matière de taxes que
d’investissements. Par exemple, des taux préférentiels de rétention des devises étrangères ont
été accordés aux zones économiques spéciales (100%) et à certaines provinces côtières (50%
pour le Guangdong et le Fujian), alors que les provinces de l’intérieur n’étaient autorisées à
conserver que 25% de leurs revenus en devises (Koukai, 1997).
Cette stratégie préférentielle de développement, par son aspect discriminatoire, a permis aux
villes côtières d’accélérer à leur niveau d’urbanisation par des taux d’investissement public
élevés. Pendant les années 1980-1990, le gouvernement central était davantage préoccupé par
la croissance économique du pays et l’amélioration du niveau de vie de la population, qui
dépendaient fortement de l’augmentation de l’efficacité du capital plutôt que par les inégalités
de revenus. Il y a des difficultés toujours plus grandes pour trouver les financements nécessaires
à l’urbanisation des régions de l’intérieur. On a accepté la théorie du développement par
capillarité (trickle down), selon laquelle les riches devraient être le moteur du développement,
et que les coûts (de main-d’œuvre, de transaction, etc.) s’élèveraient dans la zone à forte
croissance et inciteraient les entreprises à investir ailleurs (Sowell, 2012). A cet égard, les
progrès économiques des régions côtières déborderaient naturellement sur les régions de
l’intérieur. Par contre, depuis le début des années 1990, de plus en plus de capital des régions
intérieures aboutissait dans les régions côtières où les retours sur investissements étaient
beaucoup plus importants. En 1993, par exemple, le gouvernement central a contracté un prêt
de cinq milliards de Yuan pour soutenir le développement des entreprises de villages et de
bourgs désignés dans les régions intérieures. En un an, plus de 40 % de ces prêts avaient été
détournés vers les régions côtières (Woo, 1999).
Comme cela était prévu, cette situation ne pouvait pas durer très longtemps, car les
gouvernements locaux des provinces intérieures montraient leur mécontentement au
gouvernement central. Ce dernier a finalement décidé de faire bénéficier la plupart des régions
intérieures de certaines mesures préférentielles qui étaient jusque-là réservées aux provinces
côtières. En 1991, le gouvernement central a autorisé toutes les unités au niveau provincial à
conserver la même proportion de leurs revenus en devises, éliminant les privilèges sélectifs
dont bénéficiaient plusieurs provinces. Les cinq Zones Economiques Spéciales continuaient
cependant de conserver 100% de leurs revenus en devises. Plus généralement, la politique
d’ouverture a été considérablement étendue pour inclure beaucoup de régions intérieures. En
1992, le gouvernement central ouvre 17 villes et districts frontaliers dans le Heilongjiang, en
Mongolie intérieure, au Yunnan, au Guangxi, au Xinjiang et au Tibet. En juin 1992, Beijing a
déclaré 17 autres villes ouvertes côtières de l’intérieur, leur permettant ainsi d’avoir des
relations économiques avec l’étranger dans des termes plus avantageux qu’auparavant.
Les effets véritables de ces politiques n’ont pas été aussi efficaces que prévus pour plusieurs
raisons différentes. Tout d’abord, l’impact des politiques préférentielles prenant une base
géographique est plus forte quand celles-ci ne concernent qu’un nombre limité de villes autour
de trois agglomérations côtières, où les investissements sont précisément concentrés dans ces
zones. Si le pays tout entier devient désormais une grande « zone spéciale », l’efficacité même
de cette politique est remise en question. En fait, les propositions faites dans les années 1990
de supprimer les avantages réservés aux provinces côtières pour les offrir aux régions
intérieures a provoqué un débat tant sur les aspects économiques que sur les domaines politiques.
Ces propositions n’ont pas été retenues, parce que le gouvernement central ne voulait pas
remettre en question les investissements étrangers déjà très présents dans les régions côtières.
En fait, il semble que depuis 1993, le gouvernement chinois ait plutôt tendance à contrôler le
nombre des Zones Economiques Spéciales. Alors que la plupart des provinces côtières était,
pour des raisons historiques ou par dessein, connue par des partenaires commerciaux étrangers ;
en revanche, la plupart des provinces de l’intérieur était isolée, ou bien leurs partenaires
étrangers potentiels (les pays de l’ex-Union Soviétique) étaient dans l’incapacité d’offrir le
capital et le savoir technologique nécessaires à leur croissance économique.
Enfin, le fait, que les régions bénéficient de politiques préférentielles en termes de fiscalité et
d’investissement étranger, ne veut pas dire que les investisseurs vont s’engager, en l’absence
d’infrastructures suffisantes et de main-d’œuvre qualifiée. Il faudrait que les incitations offertes
dans les régions intérieures surpassent de beaucoup celles des régions côtières pour compenser
leur faiblesse. En tout cas, toute tentative de suppression des avantages offerts aux régions
côtières suscitait une opposition forte, et un tel changement est fort peu probable étant donné
l’influence qu’exercent ces régions sur le gouvernement central. Par conséquent, dans la
première période de la réforme économique chinoise, comme les villes autour des trois grandes
agglomérations métropolitaines sont exclusivement situées dans les régions côtières du pays,
elles ont bénéficié du double avantage à la fois financier et politique de la part du gouvernement
central pour se développer.
Cette tendance a véritablement changé à partir de l’année 2000, année consacrée au
développement des régions intérieures. En effet, beaucoup des propositions et requêtes faites
au gouvernement central depuis ces quinze dernières années ont enfin été formulées. Un bureau
pour le développement de l’ouest a été mis en place en 2000 par le Conseil des Affaires d’Etat
6
. Mais par rapport au changement de politique préférentielle de l’Etat, la réforme fiscale de
1994 a exercé un impact beaucoup plus important sur les modalités de financement public dans
l’urbanisation chinoise. Les trois agglomérations, notamment l’agglomération de
Beijing-Tianjin, ne comptent plus sur les avantages financiers et administratifs accordés par le
gouvernement central pour financer leurs urbanisations. Dans les paragraphes suivants, nous
aborderons les impacts de la réforme fiscale sur les finances publiques des villes chinoises dans
les agglomérations métropolitaines.
B. La réforme des finances publiques de 1994-1995 et ses effets sur
Dans le document
L'urbanisation de l'est de la Chine : entre mégalopolisation et métropolisation
(Page 71-78)