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Les outils utilisés pour capter la plus-value foncière

CHAPITRE II LE MECANISME ECONOMIQUE ET FINANCIER DE

B. Les outils utilisés pour capter la plus-value foncière

Dans les littératures économiques, le périmètre de définition des outils de CPVF varie selon les

auteurs et leur angle d’approche de la question, et leur classement en grandes catégories est

également variable. En pratique, les outils peuvent être classés entre « instruments basés sur le

développement » (aménagement – promotion immobilière, y compris redéveloppement) d’une

part, et « fiscalité » d’autre part (Morris-Suzuki, 2015). Nous nous focaliserons uniquement sur

les instruments directs pouvant générer des revenus ponctuels ou récurrents en fonction de la

manière dont ils sont utilisés comme la vente des terrains ou le transfert des droits d’utilisation

du sol.

a. La vente de terrains publics

La vente de terrains par l’Etat est une pratique très répandue en Chine, qui est utilisée également

par les gouvernements locaux chinois selon le cadre législatif national spécial

10

. Parce qu’elle

permet de capter une grande partie de la plus-value foncière liée au développement urbain pour

financer des prestations de services publics (infrastructure, éduction, logement social, etc.), en

revendant ou louant une partie aux acteurs privés par la suite. En pratique, il s’agit donc

d’utiliser le terrain public urbain ou rural à vocation commerciale comme un outil de

financement et de mise en œuvre des politiques publiques, à travers la vente des terrains et

bâtiments publics non utilisés (qui souvent constituent un coût pour le gouvernement local).

Ensuite, la location immobilière après la construction peut constituer une variante permettant

de générer des revenus récurrents. Enfin, la valeur potentielle de la vente de terrains peut

également permettre d’anticiper les revenus en utilisant le foncier comme garantie d’emprunt

bancaire.

Le foncier peut être vendu préalablement à son développement, une fois mis sur le marché

11

,

construit, ou conservé dans le patrimoine public et loué sous forme de produit immobilier. Le

risque, le coût et le potentiel de captation de plus-value foncière augmentent avec le degré de

participation du gouvernement local. Il est donc indispensable pour le gouvernement local de

disposer d’un savoir-faire public en matière de gestion foncière, immobilière (location) et de

planification urbaine. Une bonne planification de l’usage futur des terrains est notamment

indispensable pour éviter des portages financiers coûteux. Une anticipation sérieuse de l’état

du marché au moment de la revente est également indispensable pour contenir le risque

commercial. Cette expertise peut utilement être mutualisée au travers d’une entité publique

spécialisée regroupant d’autres investisseurs publics, et capitalisée au sein de structures

opérationnelles spécifiques de type aménageurs urbains, comme les plateformes de financement

des gouvernements locaux (PFGL) - Local Government Financing Platform

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. Dans chaque

ville chinoise, on trouve en général un plan d’urbanisation qui oriente la valorisation foncière

sur les territoires stratégiques et une certaine flexibilité dans les paramètres d’aménagement

urbain (usages, densités, etc.) qui visent à optimiser la valorisation foncière. En cas

d’acquisition ou d’utilisation de terres agricoles, un processus de compensation des

propriétaires/usagers initiaux permet d’éviter des conflits coûteux politiquement mais aussi

financièrement. Dans le même ordre d’idée, l’ensemble des institutions impliquées dans le

11 Depuis 2004, afin de limiter les phénomènes de corruption, une loi oblige à ce que les transactions visant à transférer des droits d’utilisation du sol se fassent sur le marché, et non plus par des négociations s’effectuant directement auprès des collectivités.

processus de valorisation doit y trouver son intérêt pour éviter des blocages institutionnels (Li,

2009).

Dans l’agglomération de Beijng-Tianjin, la vente de terrains publics décrite ci-dessous prend

généralement la forme d’un partenariat avec des entreprises publiques et des acteurs privés pour

le développement immobilier et urbain des territoires. Le partenaire public-privé apporte le

foncier, peut modifier les règles d’urbanisme, et éventuellement participer à l’effort

d’investissement, et est rémunéré par une participation des acteurs publics aux bénéfices (à la

revente ou location des produits immobiliers). Le partenaire privé (principalement le promoteur

immobilier) investit ses capitaux dans l’opération et assure la maitrise d’ouvrage de

l’aménagement et/ou de la promotion immobilière. Il bénéficie également de l’expertise

publique en matière de construction d’infrastructure (train, aéroport, métro par exemple). La

mise en œuvre de cette modalité de financement implique l’existence d’un cadre réglementaire

adapté, qui autorise et sécurise notamment ce type de partenariat. Son avantage majeur relève

du partage des risques et des bénéfices entre le public et le privé. La convergence d’intérêts

entre les diverses instances publiques impliquées, l’existence de partenaires privés compétents

et intéressés, et l’accès à des modes de financement adaptés, constituent des facteurs-clés de

réussite de l’urbanisation chinoise notamment dans l’agglomération de Beijing-Tianjin.

b. La vente et le transfert des droits à construire

Il s’agit principalement de vendre un droit d’utilisation spécifique (usage, densité, etc.), durant

une durée déterminée généralement longue (70 ans en général). Ce droit d’usage est

généralement cessible. Dans le cadre législatif chinois, la propriété foncière est collective en

milieu rural et publique en zone urbaine. La distinction entre le terrain et l’immobilier

commercial constitue la façon la plus radicale de capter les plus-values foncières pour les

gouvernements publics locaux, puisque ceux-ci ont le monopole de la vente des droits à bâtir,

alors que ces droits constituent l’intégralité ou presque de la valeur du terrain.

A la différence de la vente de terrain public dans les pays occidentaux, la vente de droits d’usage

en Chine implique la définition de ces droits d’usage, et leur modification (à la vocation

commerciale par exemple) doit donc faire l’objet d’un avenant. Cela permet de donner lieu à

un paiement complémentaire de la part du bénéficiaire plus facilement que dans le cas d’une

modification de la réglementation urbaine sur une propriété privée. En effet, il est possible de

vendre ou de transférer des droits à construire additionnels dans des secteurs déterminés lorsque

la législation distingue le droit de propriété du droit à construire, c’est à dire qu’elle permet que

le droit à construire ne soit pas organiquement associé à un terrain spécifique, mais puisse être

utilisé pour différents terrains, ou être transféré d’un terrain à un autre, devenant ainsi un bien

spécifique distinct de la propriété du foncier. En pratique, le gouvernement local chinois cède

alors ses droits à construire, à un prix fixe ou aux enchères. Ces droits à construire peuvent

également être utilisés par le gouvernement local comme paiement de terrains acquis pour des

opérations publiques ou comme compensation des coûts supportés par l’acteur privé pour des

actions d’intérêt général (par exemple entretien d’un bâtiment de valeur patrimoniale, maintien

d’un quartier historique, etc.).

Le principal avantage de ces modalités de financement est de faire assumer le coût des

investissements publics par des investisseurs privés, et, dans le cas des ventes aux enchères,

d’optimiser la captation de la plus-value foncière. Une planification urbaine qui stimule un

renforcement adapté aux capacités des infrastructures en place ou prévues, constitue un des

éléments-clés de mise en œuvre de ce type d’instrument.

c. Le transfert des terres rurales constructibles à vocation commerciale,

l’extension urbaine ou la rénovation urbaine

Les opérations de transfert des terres rurales à vocation commerciale consistent à convertir des

terres (principalement ou exclusivement rurales) au sein d’un périmètre donné pour faciliter

l’urbanisation. Une partie de ces terres est récupérée par les pouvoirs publics. Ces derniers y

réalisent des équipements d’infrastructure et des espaces publics, et en vendent une partie pour

financer tout ou partie de ces infrastructures publiques. Le foncier revenant in fine aux

propriétaires privés est de valeur au moins égale au foncier initial malgré la surface inférieure,

du fait de la valorisation de ces investissements. Des transferts peuvent avoir lieu sur des zones

peu construites ou en secteur urbain sous-utilisé. Les terrains (ou la surface construite dans le

cas de rénovation urbaine) sont redistribués entre les propriétaires sur la base de leur valeur

après opération.

Cet outil peut être mis en œuvre à l’initiative des pouvoirs publics ou des entreprises publiques.

Il permet d’intervenir dans des secteurs dont la propriété est morcelée et majoritairement en

périphérie urbaine. Potentiellement moins conflictuel et plus équitable que l’expropriation, il

implique qu’un processus participatif soit mis en place. En premier lieu, il s’agit de prendre un

système précis et consensuel d’évaluation de la valeur des terrains avant et après l’opération,

les acteurs publics prenant majoritairement les coûts d’investissement. En second lieu, il

convient de s’assurer que les infrastructures locales et les équipements construits bénéficient

effectivement à l’intérêt général et au développement de la zone.

Le troisième plénum du 18

ème

Comité central du PCC (2013) s’est engagé à « approfondir les

réformes jusqu’au bout » et a introduit une série de mesures qui cherchent à étendre le rôle du

marché dans l’économie. L’un des secteurs-clé de la réforme est la terre – une source importante

de troubles sociaux en Chine – au sujet de laquelle les dirigeants chinois ont renouvelé leur

promesse de donner plus de droits aux paysans en leur accordant plus de liberté pour transférer,

louer ou hypothéquer sur le marché les terres rurales collectives.

Pour certains, le troisième plénum a effectué un pas en avant important en réformant le système

foncier. Parmi les mesures prises, la plus importante est la mise sur le marché des terres rurales

constructibles, terme qui désigne les terres rurales collectives destinées à un usage non agricole.

En Chine, les terres urbaines sont la propriété de l’état alors que les terres rurales relèvent d’un

régime de propriété collective. Les terres rurales se divisent principalement entre terres

agricoles et terres rurales constructibles (voir la figure ci-dessous).

Figure 4 : Système foncier rural en Chine

Source : Loi sur l’Administration foncier de la Chine, Haltong Securities (Yuen, 2014).

Les premières sont régies par le système de responsabilité des ménages, adopté au début des

années 1980 comme la base des réformes économiques, dans lequel des fermes en propriété

collective pouvaient être confiées à des ménages agricoles individuels grâce à des contrats de

longue durée qui pouvaient à leur tour être loués à d’autres ménages. En revanche le transfert

des terres rurales constructibles est resté strictement contrôlé par les gouvernements locaux. La

décision du troisième plénum laisse perdurer la « construction d’un marché unifié pour les terres

constructibles urbaines et rurales », alors que la ligne officielle était d’avancer « graduellement

» vers l’unification

13

. Cela signifie que le transfert de terres rurales constructibles ne sera plus

soumis à des restrictions. Les paysans, sous réserve que la taille de leur exploitation reste

inchangée, seront autorisés à transférer leurs droits d’usage des terres rurales constructibles à

n’importe qui, de les louer ou de les hypothéquer.

Les transactions de plein droit sur le marché ne s’appliquent toutefois qu’aux terres

13 Décision relative aux problèmes majeurs liés à la promotion de la réforme et au développement des zones rurales, Comité central du PCC, 12 octobre 2008.

constructibles rurales à vocation commerciale. Bien que la réforme sur les terres constructibles

rurales destinées au logement, qui servent aux paysans pour y construire leur habitation, ait

également été mentionnée dans la décision, l’attitude du gouvernement central reste bien plus

prudente. La décision n’engage qu’à « encourager avec soin et précaution, la garantie et le

transfert des logements ruraux pour accroître les revenus d’actifs des travailleurs agricoles dans

quelques régions pilotes ». Dans toutes ces régions, les paysans auront le droit de céder leurs

parcelles d’habitation sur le marché immobilier. Toutefois, contrairement à la réforme portant

sur les terres à vocation commerciale, la prise de ces mesures pour le logement se fera sur une

étendue bien plus limitée et sera accompagnée de règles plus strictes. L’une des raisons

possibles de la prudence du Parti à autoriser totalement la mise sur le marché des logements

ruraux est liée à la quantité considérable de terres que cela rendrait disponible. Selon le

Ministère du Territoire et des Ressources, ce type de terres était estimé à 200 millions de mu (1

mu = 666,67m²) dans toute la Chine en 2010, quatre fois plus que les terres rurales

commerciales, qui représentent 50 millions de mu de superficie (Yuan, 2014). Si la

libéralisation complète de ce type de terres était également autorisée, le quadruple de l’offre

foncière serait non seulement extrêmement difficile à gérer, mais aussi elle se ferait également

au détriment des prix des logements, ainsi que des revenus que les gouvernements locaux tirent

des ventes des terres.

C.Les Plateformes de Financement des Gouvernements Locaux