• Aucun résultat trouvé

Les pôles de croissance de Jubail et Yanbu

Chapitre premier : Une politique de développement régional qui repose sur la diffusion des services

II- Planification économique et développement régional : Du pôle de croissance au centre de croissance

1. Les pôles de croissance de Jubail et Yanbu

Les politiques de développement régional dans plusieurs pays du monde, que ce soit du Nord ou du Sud, ont été largement influencé par la théorie des « Pôles de croissance » initié par Albert Otto Hirschman (1958) et François Perroux (1955), puis revue et amélioré par d'autres chercheurs.

Ce concept met en avant l’idée que le développement ne peut pas survenir partout, au même moment, et avec la même intensité, mais repose plutôt sur la polarisation spatiale des activités : « la polarisation va croissant, en particulier au profit des villes, dans lesquelles se co-localisent entreprises et salariés/consommateurs. Le développement des activités productives se réalise ainsi au niveau de grandes zones (régions, voire pays), par effets d’entraînement réciproques des productions et de la consommation (Torre A., 2015).

172

L’économiste Albert Otto Hirschman affirme, dans son ouvrage « The Strategy of Economic Development » publié en 1958, la spécificité des pays en développement, rejetant ainsi l'analyse économique standard pour étudier ces pays. Il suggère de concentrer les efforts d'investissement, d’une part, sur un nombre limité de secteurs (notamment l'industrie lourde), et, d’autre part, sur certaines régions, avant de s'étendre au reste, car la croissance, selon lui, se manifeste d'abord dans certains secteurs qui auront été sélectionnés pour leurs effets d'entraînement, et dans certains lieux ensuite, après quoi, elle se transmet à d'autres parties du territoire (Santos M., 1974).

Pour Perroux (1955), la croissance n’apparaît pas partout à la fois ; elle se manifeste en des points ou pôles de croissance, avec des intensités variables ; elle se répand par divers canaux et avec des effets terminaux variables pour l’ensemble de l’économie. Les effets de la croissance ne se propagent pas également au profit de tous les secteurs mais surtout dans les secteurs liés à ceux qui donnent les impulsions initiales.

Cependant, dès les années 1980, les enjeux ont glissé, avec les politiques libérales et les décentralisations, vers la promotion de l’insertion dans la mondialisation des territoires infranationaux, dont on encourage l’expression des dynamismes propres, en association avec des politiques d’intégration régionale (Magrin G., 2010).

En effet, la théorie des pôles de croissance comme outil de politique de développement régional a été reconnue dans les processus de planification régionale et adoptée pendant un certain temps dans plusieurs pays du monde. A titre d’exemple, cette théorie, en tant qu'outil de développement régional, a été appliquée dans les pays du nord, par exemple en Grande- Bretagne, depuis le début des années 1960 du siècle dernier. Cette expérience a été suivie par un certain nombre de pays du sud comme la Tunisie, qui a utilisé cette théorie dans sa politique de développement régional à la fin des années 1960 du siècle dernier avec la création de pôles de croissance, à l’image du pôle chimique de Gabes dans le sud tunisien (Haydar A. , 1986).

Pour le cas de l’Arabie Saoudite, cette expérience de pôle de croissance a été menée en 1976 avec la création de « la Commission royale pour Jubail et Yanbu », chargée de développer les deux villes industrielles, ainsi que leurs infrastructures de base et les équipements nécessaires à leur croissance démographique. La première évaluation de cette expérience a été menée par Auty (Auty R., 1987) dans le cadre d’une étude des politiques des pôles de croissance

173

industrielle et de leurs rôles dans le développement régional dans un certain nombre de pays exportateurs de pétrole, dont l'Arabie Saoudite.

À l'époque, le chercheur a constaté la faiblesse du niveau de liens en amont et en aval relatifs aux deux pôles de croissance saoudiens. Il a aussi noté la diminution des opportunités d'emplois qui ont résulté de l'émergence de Jubail en particulier. Auty a dressé une comparaison entre Jubail et le pôle de croissance industrielle Cedar dans la province de Joanna au Venezuela. Il en a conclu que ce dernier a bien atteint ses objectifs dans le domaine de l'emploi, en dépit des similitudes observées dans la ville de Jubail. Auty a également mis en évidence le fait que les impacts régionaux de l'émergence de Jubail et de Yanbu étaient faibles, qu'il n'y avait pas de « débordement spatial » de l’activité industrielle des deux villes vers les régions adjacentes.

Dans une autre étude menée par Muchkass (Muchkass M., 1997), l’auteur émet l’opinion que les résultats auxquels est parvenu Aut y devraient être replacés dans le contexte du champ d'étude et du cadre spatial de l'expérience des deux villes industrielles de l'époque. Muchkass rappelle qu’Auty a traité l'expérience du Royaume dans le domaine des pôles de croissance industrielle au sein d'une étude qui comprenait un groupe d'autres pays, ainsi il considère que l’étude n’a pas été suffisamment approfondie d’autant plus qu’elle se limitait à suivre l’expérience saoudienne à ses débuts de 1983 à 1988. Par conséquent, Muchkass a tenu à suivre plus largement l'expérience pour déterminer la fiabilité des résultat s de l'étude d’Auty en tenant compte du fait que le délai prévu pour les effets spatiaux de la politique des pôles de croissance devrait être supérieur à quatre ans. Ainsi, le chercheur (Muchkass) a examiné l'expérience des deux villes et les a suivies sur une période allant jusqu'à quatorze ans (1983-1997).

Le résultat final est que, en 1997, les deux villes étaient encore dans la première phase de l'application de la théorie des pôles de croissance. Cette phase correspond à la création du premier pôle de croissance pour les industries primaire et secondaire et la stagnation à ce stade était due au fait que cette dernière catégorie d’industrie n'atteignait pas la taille requise en raison de la faible demande du secteur privé pour y investir, qu’il s’agisse de l’une ou l’autre des villes nouvelles.

L'étude a montré que les industries de base n’ont pas stimulé la croissance industrielle dans la région au profit des industries secondaires. Bien au contraire l’effet bénéfique de ces industries a été plutôt ressenti dans les villes de Djeddah, Riyad et Dammam en relation avec le secteur privé qui s’est investi à récupérer la production des industries de base

174

installés à Jubail et Yanbu pour les utiliser comme matière première à leur industrie de transformation.

Au terme de cette étude, Muchkass conclut que les conclusions rapportées par Auty sont vérifiées si on les considère pour la période allant jusqu’aux années 90 du vingtième siècle. D’une manière générale et en se basant sur les conclusions précédentes, Mushkass a noté une faible propagation géographique des industries pétrochimiques de transformation (celles qui se basent sur les produits des industries pétrochimiques de base qui se localisent dans les deux villes de Jubail et Yanbu) vers les villes de la région Ach Charquiya (le cadre régional de Jubail) et celles de la région de Médine (cadre régional de Yanbu). Cela signifie que les deux villes de Jubail et Yanbu n’ont pas réussi à jouer leur rôle dans le développement régional. Ainsi, Il n'y a pas de transition vers les stimuli de la croissance et les stimuli de l'industrie (en tant que concept économique) des pôles vers les zones géographiques environnantes.

Dans une autre étude (Mushkass M., 2010) sur le rôle des industries manufacturières dans le développement régional saoudien, l’auteur est arrivé au même constat ; le déversement spatial (spatial spill over) projeté sur l'environnement régional n'a pas été atteint.

Dans notre étude nous avons traité le rôle du secteur industriel dans le développement régional et nous avons conclu que la structure spatiale actuelle de l’industrie dans le Royaume est caractérisée par des indicateurs négatifs de développement régional en raison de la concentration claire de ce secteur dans les régions de Riyad, Ach-Charquia et La Mecque, et plus particulièrement dans leurs capitales administratives à savoir les villes de Riyad, Dammam et Jeddah. Ceci nous amène à constater la limite de la capacité de l'industrie à générer de la croissance économique grâce à l'expansion spatiale de l'industrie vers le reste du Royaume.

On peut dire que l'expérience du Royaume dans les pôles de la croissance industrielle apparut comme un outil de développement régional pour les régions administratives d’Ach-Charquia et de Médine, en raison de la nature et des caractéristiques de l'aspect géographique de ces deux régions, mais n’a pas été transféré sur d’autres régions ; elle a cependant été relayée par une nouvelle politique dite des « centres de croissance ».

175

2. Les centres de croissance : une place stratégique dans la politique de