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Les fondements de la politique de développement régional de l’Arabie Saoudite

Chapitre premier : Une politique de développement régional qui repose sur la diffusion des services

I- Les fondements de la politique de développement régional de l’Arabie Saoudite

Toute organisation territoriale ne peut être juste et efficace que si elle tient comme objectifs, à court et à moyen termes, d’une part, de mettre les citoyens à égalité devant les services publics en facilitant leurs accès, et d’autre part, d’assurer une répartition qui soit la plus égalitaire possible « il s’agit de réguler les localisations d’activités pour unifier le marché du travail et mettre tous les demandeurs d’emploi dans des conditions proches, sinon identiques, de compétition. Il s’agit de dessiner un réseau de circulation qui irrigue assez finement le territoire pour lutter contre l’enclavement » (Bret B., 1996).

Cependant, l’exigence d’une égalité devant les services implique la dispersion, et donc le saupoudrage, ce qui empêche les effets de synergie et réduit les performances du système dans sa globalité – alors que la concentration des équipements coûteux répondant à des logiques d’optimisation crée automatiquement une inégalité entre les personnes. Il s’agit donc de trouver le point d’équilibre entre les aspirations des populations d’une part, et le moyen d’éviter le gaspillage des ressources matérielles et humaines d’autre part.

1. Concentration ou dispersion : quel approche pour le modèle de développement régional saoudien ?

Le territoire saoudien est un territoire vaste d’une superficie de plus de deux millions de

kilomètres carrés constitué pour sa majorité de zone désertique et semi-aride notamment dans

le sud du pays ou s'étend le désert du Rub' al Khali (le « Quart Vide »). Cette situation a imposé une configuration spatiale particulière du territoire saoudien caractérisée par un déséquilibre notable dans la répartition de la population et des activités économique.

Ce constat a fait naitre chez les planificateurs une volonté de réduire les iniquités spatiales dès le milieu des années quatre-vingt et surtout lors des années 2000. Afin de réaliser ces objectifs qui répondent au principe d’équité, le modèle de développement régional adopté par les pouvoirs publics s’apparente à la théorie de la justice initié par John Rawls. Cette théorie prône les libertés et l’égalité des chances et rejette la répartition selon l’égalité arithmétique. Il s’agit de choisir, parmi les pires inégalités de distribution, celle du moindre mal. Cette forme de libéralisme économique diffère de l’ultralibéralisme qui justifie sans conditions les

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En effet, le système rawlsien repose sur le principe suivant : « faire que ceux qui ont le moins aient le plus possible, c'est-à-dire le maximum, la maximisation du minimum ». Il évoque la justice en termes d’équité, c'est-à-dire une justice qui ne se confonde pas avec l’égalitarisme, mais qui vise à l’optimisation des inégalités au bénéfice des plus pauvres. Il y a là un vaste champ de réflexion ouvert sur l’efficacité sociale des inégalités et notamment des inégalités territoriales, puisque le raisonnement laisse ouverte l’hypothèse selon laquelle certaines inégalités peuvent améliorer le sort de tous plus que ne le ferait l’égalitarisme (Bret B., 1996). Selon John Rawls « l’injustice est alors constituée par les inégalités qui ne bénéficient pas à tous » (Rawls J., 1971). De cette définition de l’injustice découle le principe de réparation, c'est-à-dire la nécessité de remédier aux injustices, en réorganisant le territoire, afin de le rendre moins inégal à l’échelle régionale, mais sans prétendre modifier en profondeur les déséquilibres anciens entre et à l’intérieur des régions. Dans cette dynamique, l’Etat doit se positionner comme « producteur » de justice en agissant sur les lieux avec la territorialisation des politiques publiques (Ben Jelloul M., 2015).

Selon A. Reynault (1981), le modèle centre-périphérie selon lequel certains centres concentrent les pouvoirs décisionnels attirant les flux d’hommes, de produits et de capitaux constitue l’interprétation la plus achevée des inégalités territoriales. Les populations qui y résident, par effet de lieu, y jouissent de conditions de vie plus favorables qu’ailleurs en termes de niveaux de revenu, de marché de travail, d’accès aux services publics et privés. Les territoires périphériques, qui sont dans la dépendance des précédents, assurent à leurs résidents des perspectives de vie moins favorables (Bret B., 2009). Si cette différenciation spatiale est bien une inégalité, peut-on néanmoins la considérer comme une injustice ? Les métropoles régionales représentent des pôles de développement dans la mesure où elles sont capables, non seulement d’attirer la richesse et de la produire, mais aussi de la diffuser. C’est pour cette raison que Bret, en se basant sur la théorie de Rawls, considère que l’inégalité entre ces centres (métropoles) et leurs périphéries n’est pas une injustice, car la périphérie tire bénéfice de sa condition de périphérie et se trouve dans une situation plus favorable que s’il n’y avait pas le centre. « Spatialement, le développement s’appuie sur une croissance élargie pilotée par le centre. Celui-ci valorise les facteurs de production (la force du travail, les capitaux) que lui fournit la périphérie, parce que, par effet de synergie, leur co-présence crée une productivité systémique. Cette efficience territoriale peut comporter des effets positifs autour du centre. Cela se réalise par transfert vers la périphérie de richesses produites dans le centre ou par diffusion spatiale de la croissance vers la périphérie et mise en capacité de

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cette dernière de produire elle aussi de la richesse… L’effet de proximité ou la mise en réseau peut faire que la périphérie reçoive du centre une stimulation économique. Dire que le développement est un processus inégal ne signifie pas bien entendu qu’il viserait l’inégalité. Cela signifie qu’il utilise les inégalités pour produire de la justice comme équité, soit pour déclencher la dynamique d’investissements nécessaires, soit pour en redistribuer les retombées » (Bret B., 2009).

2. Equilibre régional et justice spatiale : deux paradigmes qui ont guidé la stratégie spatiale nationale saoudienne

En analysant les politiques de planification et de développement régional saoudiennes et leurs évolutions durant les cinq dernières décennies, on note la tendance de cette politique vers une prise de conscience enregistrée dès le début des années quatre-vingts envers les questions d’équilibre régional et de justice spatiale qui ont pris forme notamment dès le début des années 1990 avec le nouveau découpage territorial, la création de nouvelles provinces et la mise en place par le ministère des Affaires municipales et rurales (MOMRA) de la stratégie nationale de « peuplement », rebaptisée par la suite « stratégie nationale spatiale » (National Spatial Strategy). Le projet de cette stratégie a été achevé dans sa première version en 1992 mais il n’a pas été adopté officiellement par les autorités gouvernementales pour l’heure, de sorte qu’il n’a pas eu d'effet opératoire et que ses recommandations n'ont pas été retenues. Selon Jacques Seguin qui a étudié la structuration de l'espace et l'aménagement en Arabie Saoudite (1997), la logique sous-jacente à la stratégie spatiale du MOMRA n’en constitue pas moins une remise en cause partielle de la stratégie adoptée par le pouvoir central et des visions d’aménagement tracée par les autorités. « A une vision structurale, tenant compte des contraintes environnementales, historiques et morphologiques du territoire s’oppose en effet une vision plus politique. Cette dernière va s’attacher à préserver des intérêts acquis, à encourager une dynamique qui renforce l’autorité du centre, et surtout qui conforte la prééminence des pôles de pouvoir de la monarchie. La diffusion et l’extension des couloirs de développement se heurte également à des contraintes d’ordre financière. La conception du territoire telle qu’elle ressort des choix effectués par les souverains saoudiens est fondée d’une part sur le renforcement du « fait urbain », d’autre part sur le lien établi entre les trois noyaux de peuplement initiaux, qui constituent les trois pôles d’une légitimité encore fragile. Tout d’abord les pôles de sédentarisation sont renforcés, les nœuds de fixation et de

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prospérité sont privilégiés. Ils permettront l’éclosion et le développement des fortunes basées sur le commerce, l’immobilier ».

L’auteur considère que tout ce qui peut tendre à l’affaiblissement du contrôle des piliers sociogéographiques, voire géopolitiques, du régime est perçu comme une menace et que la légitimité de la famille royale repose en premier lieu sur la garde des lieux saints et le contrôle du Hedjaz, en second lieu sur la maîtrise de la région pétrolifère et de ses populations chiites, gage de distribution de la richesse ; enfin sur la prospérité du Nejd, berceau tribal et sectaire des Al Saoud. Les deux pôles « exogènes » de la légitimité saoudienne se devaient donc d’être réunis à celui du centre, endogène, qui constitue l’émanation de la légitimité tribale et religieuse originelle. Le même auteur va très loin en considérant que l’option politique envisageait les décisions d’aménagement comme des moyens de relier entre eux les trois pôles structurants, plutôt que de favoriser la progression en couloirs indépendants.

Cependant, les questions d’intégrité et d’unité du territoire national mais aussi de complémentarité entre ses composantes ne constituent-elles pas l’essence même de l’aménagement du territoire ? D’ailleurs, cette stratégie sera adoptée quelques années plus tard (en 2000) et il est certain que la diminution de la manne pétrolière et des moyens d’intervention de l’Etat qui ont caractérisé la deuxième moitié des années 1990 expliquent en partie ce retard à se prononcer officiellement en faveur de cette stratégie.

En effet, la « stratégie nationale spatiale »20 "SNS" est alors reconnue et adoptée, constituant

de ce fait un cadre général pour l’orientation du développement spatial dans le royaume et visant à " atteindre un développement équilibré entre les régions du Royaume " en réduisant la migration vers les grandes métropoles. Cette stratégie a reposé sur trois fondements : En premier lieu, usage du concept d’axes de développement appelé par les planificateurs saoudien « corridors de développement », en deuxième lieu, le renforcement des petites et moyennes villes pour qu’elles puissent jouer un rôle efficace dans le développement et en

dernier lieu, le classement des centres de croissance21 en trois niveau (national, régional et

local) en leurs accordant des prérogatives fonctionnelles plus élaborées.

Au départ, les concepteurs de la stratégie nationale spatiale ont travaillé sur des scénarios de croissance spatiale qui tenaient compte de deux dynamiques contradictoires : la première est celle de la concentration, qui permet, d’une part, des économies d'échelle et se base d’autre part, sur les acquis de l'urbanisation et cherche à tirer parti des structures existantes. Cette

20 Cette stratégie a été adoptée officiellement par le Conseil des Ministres le 28 mai 2000 puis appliquée en 2001. 21 Ce concept a été retenu dès le troisième plan de développement (1980-1985) avant son adoption par la SNS

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stratégie repose sur les effets d'entraînement des agglomérations et des concentrations d'équipements et d'industrie. Son principal écueil est d'inhiber la diffusion des richesses et de déséquilibrer le territoire (Hathloul M., 1990). La deuxième propose d'intensifier la délocalisation des activités, de diffuser au maximum les services à la population pour maintenir des noyaux de peuplement susceptibles de générer des agglomérations plus importantes et d'irriguer les territoires limitrophes. Cette optique a bien évidemment un coût plus élevé et risque à terme de freiner la croissance globale de l'économie. Face à ces deux options, les planificateurs ont proposé un modèle synthétique, qui tente de concilier les deux approches de concentration et de diffusion. L'intérêt de leur démarche est qu'elle se base sur la structuration du territoire en pôles et centre de croissance d’un côté et des corridors de développement de l’autre. La conjugaison d'une base urbaine et productive en développement et d'une zone où est susceptible de se manifester la diffusion de peuplement forme la proposition initiale (Seguin J., 1997). Les deux options proposées, à savoir les centres de croissance et les corridors de développement, vont former durant des décennies les deux bases de la politique de développement territoriale du royaume.

Cette stratégie nationale a été actualisé en 2018 avec notamment le lancement d’une étude stratégique prospective « les politiques de la stratégie nationale spatiale à l’horizon 2030 » et la publication d’un livre blanc qui constitue une véritable stratégie nationale d’aménagement et de développement du territoire.

Comment a évolué la politique de planification territoriale ? Quel impact des différentes politiques de développement régional sur l’atténuation des disparités régionales ?

II-

Planification économique et développement régional : Du pôle de