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Chapitre 5 La théorie de l’autopoièse

C. Les notions de centralisation et décentralisation

On observe de fréquentes confusions au moment d’aborder le thème de la centralisation /décentralisation. Aborder ce thème a un sens si, et seulement si l’on se situe dans la composante allopoiètique des organisations (là où règne la régulation par la commande). Elle n’est guère applicable si l’on se situe dans la

composante autonome, puisque par définition, il n’y a ni centre ni périphérie, ni haut ni bas : il y polycentricité, c’est à dire libre jeu entre centres de décision variés. Cette confusion semble à l’origine des déboires des processus de décentralisation stimulés par les organismes multilatéraux256, qui n’ont peut être pas perçu les implications de la régulation par l’autonomie, ni vraiment voulu en jouer le jeu.

Si l’on se situe donc dans la composante allopoiètique de l’organisation, on peut constater que, du fait de la récursivité et du fait de la commande :

“La régulation du tout ne peut être effectuée, à partir du bas, par un niveau de régulation inférieur agissant selon ses propres finalités.” (René Passet, 1979, p. 220) Le fait que l’on reste sur le terrain de la commande suscite aussitôt la discussion sur le niveau adéquat de décentralisation (c’est-à-dire le niveau adéquat de délégation de décision). René Passet décrit ainsi le principe de subsidiarité :

“Le principe (de la décentralisation par niveaux d’organisation) paraît être que toute décision devrait être prise “au” et “par” le niveau d’organisation où elle développe ses conséquences; “plus” et “moins” sont également néfastes.” (René Passet, 1979, p. 233)

D’autre part, la discussion de centralisation et décentralisation prend un sens du moment que l’on précise l’organisation considérée et ses différents niveaux. Qu’est-ce qu’on identifie comme centre : est-ce les instances mondiales, est-ce la nation? Qu’est-ce qu’on définit comme périphérie?

“A further critical area is that of the appropriate levels of decision making. The current situation is somewhat of a paradox. The complexity and highly technical nature of problems encourages centralization for their analysis and solution which it would be difficult for regional and provincial bodies to replicate. Also the global coverage of so many of the problems demanding attention on the world scale would seem to require centralized national decisions. At the same time there is an increasing clamor for decentralization, regional autonomy and greater participation of the individual citizen in decisions which affect them closely.” (Alexander King, Bertrand Schneider, 1991, p. 193)

256 “In some Latin American countries, rapid decentralization has outstripped systems of accountability and civil service institutions at provincial and local government level, fueling already unsustainable deficits.” (IBRD, 1991, p. 2) Decentralization is sometimes seen as the means of reducing an overload of central government responsibilities by relying on local decision making, micro-level accountability and through participation of beneficiaries in the design and monitoring of service deliveries. However, decentralization must be managed with care if it is not to result in fiscal imbalances, wastage and corruption due to a lack of adequate oversight from national authorities, weak administrative capacity at local levels and the risk of capture of institutions by local elites.” (IBRD, 1991, p. 9).

Si la discussion sur les notions de centralisation / décentralisation est seulement pertinente dans les systèmes allopoiètiques, il faut noter qu’un effort conscient de décentralisation dans une organisation fortement dominée par la commande, peut permettre de générer intentionnellement l’émergence de comportements autonomes recherchés257. C’est là que les multiples recommandations en matière de décentralisation puisent leur signification258. Un effort décidé de décentralisation permet de rompre la routine des organisations régies par la commande, devenues trop compliquées et trop rigides face à un environnement changeant (Michel Crozier, Erhard Friedberg, 1977, p. 360 note 18). La décentralisation permet aussi, au sein d’organisations majeures régies par la commande, de créer des perturbations vers des sous-systèmes ayant une tendance vers l’autopoièse. Elle permet alors d’exploiter les avantages de l’autonomie et de la polycentricité259.

“Closely related to this is the role of decentralized societal guidance. This is intended to avoid the problems which attend blind evolution (incrementalism, muddling through, chance) and central planning (inflexibility, inefficiency, external costs) by providing a forum for determining common objectives and then facilitating processes of self-regulation and self-commitment in the pursuit of these objectives. The aim of such procedures is to enhance the sensitivity of operationally closed systems to their environment and to take account of their resource dependence, functional interdependence and contextual interpretation whilst safe-guarding their operational autonomy.” (Bob Jessop, 1990, p. 331)260

L’idée de décentralisation permettrait alors de favoriser l’auto-organisation par des structures organisationnelles flexibles, qui s’adaptent selon les situations

257 “Décentraliser et augmenter les degrés de liberté.” (Dominique Genelot, 1992, p. 205).

258 “From a more practical standpoint, the implications of Lindblom’s model carry the following three prescriptions : 1) Decentralize decision analysis to many small actors, none of whom controls a very big slice of the total action. 2) Give each actor substantial autonomy over decisions. 3) Improve the network of communication between all actors in the system.” (John Friedmann, 1987, p. 131).

259 “En décentralisant, en augmentant les degrés de liberté des individus, on les met en position favorable pour percevoir ces signes infimes, mais qui peuvent être annonciateurs de grands changements. En développant l’information de tous les acteurs, leur capacité à réagir aux sollicitations extérieures, la rapidité et la pertinence de leurs réflexes, c’est la capacité d’ensemble du système à faire face aux fluctuations déstabilisantes, ou au contraire à amplifier certains changements recherchés, que l’on décuple. (Dominique Genelot, 1992, p. 205).

260 “Certaines entreprises, dont la culture est forte au point de figer les évolutions, ont comme politique explicite de recruter un certain nombre de personnes atypiques par rapport à leur culture dominante. Toutes sortes de dispositifs volontaristes peuvent être mis en place pour introduire de la différence dans un corps social considéré comme trop uniforme, et de ce fait pauvre en contexte.” (Dominique Genelot, 1992, p. 205).

rencontrées. Cependant, rien n’indique que l’auto-organisation produise toujours des solutions parfaites261. Il en est ainsi pour la décentralisation :

“Ce plaidoyer en faveur de la décentralisation ne veut pas dire qu’elle doive devenir le seul mode de gouvernement. Au contraire, il convient là aussi de diversifier et combiner les méthodes. Comme dans un organisme humain, certaines fonctions de l’entreprise doivent être centralisées, d’autres décentralisées, et d’autres encore doivent être centralisées autour de pôles eux-mêmes décentralisés. C’est dans une combinaison de “centrisme, d’a-centrisme et de polycentrisme” (Edgar Morin) qu’on trouvera les réponses les mieux adaptées à la complexité. “(Dominique Genelot, 1992, p. 205)

C’est pourquoi il est important de rappeler que la centralisation et la décentralisation représentent deux conceptions “complémentaires et non antagonistes” (René Passet, 1979, p. 233). De fait, comme le rappelle Dwight Waldo en faisant référence au mot pertinent de Paul Appleby :

“That which is to be decentralized must first be centralized. (…) I take this to mean that until a condition of order and control exist, one cannot meaningfully speak of decentralization -chaos cannot be decentralized.”. (Dwight Waldo, 1971, p. 258) Il en conclut :

“In the presence of the turbulence created by contesting forces, prudent, constructive action by public administration will start from two premises. One is that neither centralization nor centralization is right or wrong, but that both are right and wrong. The other is that the application of any dogmatic solution will not solve problems of the present level of complexity. We need more centralization and more decentralization. We also need less of both. The arduous task, the urgent necessity, is to find the particular combinations that will “work” for our time.” (Dwight Waldo, 1971, p. 260)

De même, dans son style devenu familier, Stafford Beer défend ainsi son concept de système viable :

“This concept is integrative and organic. It does away with sterile models

of institutions as being for instance

261 “How, then are institutions and policies to be designed? The answer, according to Lindblom, is “by social processes of interaction that substitute for conclusive analysis” (Lindblom, 1977, 253). Suppose, he says, a large society wants to decide how to allocate its resources. In centrally planned systems, an elite would study the question in an attempt to find correct decisions. In polyarchies like the United States, it would establish an interaction process that would make a diagnostic study unnecessary : “the market system is the obvious example” (ibid.). (...) However “it is not assumed that interactions produce perfect solutions to problems, only that they will often be superior to the solutions produced by the intellect. Either can be a disaster.“ (John Friedmann, 1987, p. 132).

centralized or decentralized

since any viable system is both at once.” (Stafford Beer, 1975, p. 388)

III. Les caractéristiques des structures et leurs implications pour la nature des limites organisationnelles

A. Toute organisation est constituée de composantes allopoiètiques,

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